28 février 2009

La nuit des crash-tests Dummies®

Voilà bientôt un an, cette cyber gazette gothique désormais célèbre dans tout le Bourget publiait sa première critique de film, consacrée au Paris de Cédric Klapisch, créant à l'occasion le fameux système de notation des crash-tests, la nouvelle échelle de Richter du cinéma que le Neuf-Trois entier nous envie. Depuis cette date, la rédaction des Carnets du cinéma a pondu soixante-sept chroniques, décernant avec un discernement à peine discutable bons et mauvais points indistinctement aux tâcherons et aux génies et aux surprises et aux déceptions et aux découvertes du cinéma contemporain de ce millénaire naissant.

Et tout ça c'est bien joli. Mais alors, se demande-t-on légitimement, quels pouvaient bien être les tout meilleurs films évoqués dans ces colonnes lors de l'année écoulée ? C'est là qu'une idée géniale a germé dans mon fertile cerveau : créer ma propre cérémonie de remise de médailles en chocolat, les crash-test Dummies®. A qui ira le Dummy® d'or du meilleur film ? Dans mon infinie sagesse, j'ai choisi de laisser mes lecteurs en décider, en leur qualité de membres d'office de l'Académie des crash-test Dummies®, en distinguant trois des films ayant reçu dans l'année écoulée quatre ou cinq étoiles à nos désormais célèbres (dans tout le Bourget) crash-tests.

Quatre ou cinq étoiles, car il n'est pas exclu que j'aie au cours de mes humeurs, affectées peut-être par le classement de l'ASSE en Ligue 1, surnoté ou sous-noté chefs d'œuvres ou navets. Il vous appartient donc, lecteurs chéris mon amour, de redresser aujourd'hui ces torts, et de vous exprimer enfin.


Vous avez une semaine pour voter par le truchement du courrier des lecteurs de cet article (ci-dessous), en me donnant votre tiercé gagnant. Et comme j'ai une confiance aveugle en vous, amis lecteurs, je ne doute pas que vous ne ferez entrer dans votre top trois que des films que vous aurez réellement vus. Un classement sera établi à partir de vos choix selon une fonction logarithmique dont le secret est soluble dans le rhum arrangé. Je rends les copies dans une semaine le 7 mars, pour la toute première NUIT DES CRASH-TEST DUMMIES® !

Haaaa ha ha ha ha ! Igor, où as-tu trouvé ce cerveau ?

Et les nominés sont :

Paris de Cédric Klapisch
There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson
A bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson
J'ai toujours rêvé d'être un gangster de Samuel Benchetrit
Cloverfield de Matt Reeves
Agnus dei de Lucia Cedron
Horton de Jimmy Hayward et Steve Martino
Phénomènes de M. Night Shyamalan
Valse avec Bachir d'Ari Folman
JCVD de Mabrouk El Mechri
Ciao Stefano de Gianni Zanasi
Wall-E d'Andrew Stanton
La fille de Monaco d'Anne Fontaine
Parlez-moi de la pluie d'Agnès Jaoui
Entre les murs de Laurent Cantet
Gomorra de Matteo Garrone
Séraphine de Martin Provost
Blindness de Fernando Meirelles
Burn After Reading de Joel et Ethan Cohen
Stella de Sylvie Verheyde
Mia et le Migou de Jacques-Rémy Girerd
Il Divo de Paolo Sorrentino
L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher
Gran Torino de Clint Eastwood

25 février 2009

Hmongs et merveilles

Gran Torino de Clint Eastwood.

Vieux schnock et jeunes chinetoques. Un veuf vétéran de la guerre de Corée, également vétéran des usines Ford, maugrée jour et nuit contre les faces de citron de son quartier avant de se prendre d'amitié pour deux gamins bridés de la communauté Hmong de cette banlieue pourrie de Detroit, donner une bonne leçon à un gang de racailles bridées elles aussi, et trouver une voie détournée pour entrer au paradis catho polac. Et Gran Torino, parce qu'il a lui même assemblé son légendaire modèle Ford, métaphore de la mythologie du rêve américain, mécanique qu'il chérit plus que tout au fond de son putain de garage, excusez son langage.

Un film limpide, avec bien peu de fioritures, une histoire simple sans jamais être simpliste, triste mais parsemée d'humour glacial et sophistiqué, d'analyse sociale pertinente et juste, explorant les recoins de la morale personnelle sans jamais être manichéenne. Les personnages sont remarquablement dessinés, à commencer par le vieil emmerdeur joué par Eastwood soi-même, et même si chacun des types représentés ont déjà été vus ici ou là ailleurs au cinéma, si les situations paraissent au fond peu neuves, Clint parvient à laisser le spectateur être gagné par l'émotion et surtout ménager une fin à la fois cohérente et surprenante. Et là on est obligé de s'incliner devant l'incontestable maîtrise du gars.

Bon en chipotant un peu, on peut regretter qu'Eastwood acteur contrôle sans doute moins bien son tournage que s'il restait sagement assis sur la chaise du metteur en scène, parce quelques plans paraissent un peu moins chiadés, voire parfois superflus. Peut-être pas un des tout meilleurs Clint, mais ce film tendu comme un arc est en tout cas redoutablement efficace, et vous remue aussi sûrement qu'un huit cylindres à injection.

Crash-test :

24 février 2009

Kiwi de la Baltique

Sur la page d'accueil de Pirate Bay, on trouve en ce moment un incunable de Dylan Horrocks. Les flibustiers de la Baltique comparaissent ces jours-ci devant la justice suédoise pour défaut de lettres de marque. Notre département traduction minute aurait dû se fendre d'une adaptation en français mais et d'un c'est pas loin d'être clair comme ça, et de deux j'ai la flemme.

23 février 2009

Turnip® Academy

Deux solutions aujourd'hui pour remporter à coup sûr un Oscar® à Hollywood. Petit un, faire un film racoleusement positiviste qui flatte bassement l'aspiration tiers-mondiste des stars californiennes qui font leur marché de progéniture d'adoption dans les pays pauvres en donnant une vision qui conforte les pires clichés impérialistes repeints d'une couche de politiquement correct. Petit deux, mourir.

C'est ainsi que Slumdog Millionaire et le défunt Heath Ledger ont pu triompher comme prévu à la quatre-vingt unième cérémonie des Academy Awards®. Les polyglottes émérites pourront lire l'avis d'un réalisateur indien (un jaloux, sûrement) sur le film de Danny Boyle sur le site de l'Hindu. Quant au malheureux Heath Ledger, sa prestation en Joker dans le batmanesque Dark Knight était effectivement remarquable, mais le côté émotionnel lié à la disparition tragique de l'acteur a certainement pesé lourd pour l'attribution d'une statuette posthume.

Les représentants français repartent bredouilles, comme d'hab, Laurent Cantet et Entre les murs, Alexandre Desplat, le musicien de Benjamin Button, et les étudiants des Gobelins avec leur excellent court-métrage animé Oktapodi, visible en streaming ici (lien aimablement fourni par la maison Totoche de Paris).

Turnip® = navet.

22 février 2009

Le changement dans la continuité

Le code a changé de Danièle Thompson.

Etats d'âme bourgeois. Quelques couples d'amis à la quarantaine désabusée se retrouvent pour dîner, se déchirent, se trompent, se mentent et remettent ça l'année suivante. La belle affaire. Du cinéma de papa estampillé Label qualité France.

Et encore du cinéma, le terme est peut-être un peu exagéré pour qualifier ce gros téléfilm calibré pile poil pour un dimanche soir sur une grande chaîne de télévision commerciale, suivez mon regard. Tout juste si le montage ne prévoit pas déjà les coupures pub. On peut discuter de l'utilité de refaire aujourd'hui mais en couleurs les films de Duvivier ou Guitry, en moins bien écrit. S'il est permis de sourire à quelques bons mots, force est de reconnaître que le scénario est expressément conçu pour les servir sur un plateau d'argent aux interprètes. Pas une once d'invention visuelle, et chaque moment d'émotion, téléguidé avec du câble de force triphasé, est finement souligné de quelques mesures de guitare sirupeuse. Mieux qu'un chauffeur de salle qui commanderait aux larmes.

Les acteurs, heureusement, parviennent à faire passer le temps dans ce film insipide et dégoulinant de bons sentiments prétendûment au goût du jour, à part Patrick Bruel qui est aussi convaincant en cancérologue que le professeur Schwartzenberg l'était en idole des jeunes. Gare aux métastases.

Crash-test :

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19 février 2009

Cris de singe en hiver

Tout a commencé par un fait divers presque comique : la police d'un bled du Connecticut, aux Etats-Unis, avait dû abattre un singe enragé qui avait attaqué violemment sa maîtresse. Un certain Sean Delonas, caricaturiste qui officie au New York Post, un tabloïd pour bas de plafond édité par Murdoch, en a tiré ce dessin particulièrement peu drôle, et qui met à rude épreuve les convictions de notre rédaction en matière de liberté d'expression.

Ils vont devoir trouver quelqu'un d'autre pour rédiger la prochaine loi de relance.

Allusion fine et délicate, ont cru comprendre certains lecteurs, qui ont pensé que peut-être, éventuellement, c'était le tout nouveau tout beau (mais aussi un peu noir) président Obama qui était éventuellement peut-être un tout petit peu comparé à un singe. Tollé outre-atlantique, d'autant que le spirituel dessinateur a déjà, comment dire, un certain passif en matière en matière d'analyse sociale fine et avant-gardiste. Mais qu'en pense Obama ?

Il pense sûrement que si pareille affaire avait eu lieu en France (impensable, heureusement), c'est la victime des insultes racistes qui récolterait un carton rouge et serait aimablement priée de quitter le terrain. N'allez pas croire que je m'égare dans la métaphore sportive. Pas du tout. C'est ce qui vient d'arriver au footballeur de l'Olympique lyonnais John Mensah, qui fut lors du dernier match face au Havre abreuvé d'injures racistes rythmées de cris de singe, et, les nerfs en pelote, reçut deux-cartons-jaunes-égalent-un-rouge, allez ouste, dehors. On voit par là que la Ligue nationale de football prend visiblement le problème à bras le corps, décidée à supprimer les effets en s'attaquant à la cause la plus évidente : la présence de joueurs noirs sur les terrains. John Mensah n'aura pas tout perdu puisqu'il a eu droit à un coup de fil de soutien du tout nouveau tout beau ministre de l'identité nationale, impayable Eric Besson.

Tiens Eric, pendant que tu y es, tu voudrais pas téléphoner à quatre-cents mille Guadeloupéens pour leur dire que tu les soutiens aussi, qu'on va cesser de leur payer des SMIC et des RMI au rabais, que tes keufs vont arrêter de leur demander leurs papiers dans le métro toutes les cinq minutes, bref, qu'il font partie intégrante de notre identité nationale, doudou dis-donc ? Et tu les préviens charitablement : la prochaine fois que quelqu'un leur lance des bananes, hop, carton rouge. Pour la Guadeloupe.

16 février 2009

Vol au dessus d'un nid de prolos

Ricky de François Ozon.

Manuel de puéraviculture. Une pauvre ouvrière mère célibataire se fait engrosser par un travailleur immigré aux gènes pas très clairs et donne naissance à un bambin qui très vite se sent pousser des ailes, et quitte prématurément le nid familial. L'anti Tanguy. Le film finit par un mariage cinématographique improbable, celui de la veine sociale et du fantastique.

On démarre sur un ton réaliste naturaliste, banlieue glauque, appartement ruiné, boulot de merde, misère sociale mais dignité humaine, et insensiblement, on bascule petit à petit dans le surnaturel le plus ridicule qui soit, sauf que comme par miracle, les interprètes aidant (formidable Alexandra Lamy d'Un gars, une fille), Ozon parvient à nous faire accepter tout doucement cette histoire invraisemblable de bébé pas comme les autres qui finit dans l'abracadabrantesque mais sans faire pschiiitt. Ça n'est finalement pas désagréable d'être ainsi pris à contre-pied et quelque peu désarçonné, interloqué, avec pas mal de blancs à remplir.

Reste à savoir ce qu'on a essayé de nous raconter, par le biais de cette métaphorique parabole, à moins que ce ne soit le contraire, et là je suis plus circonspect. Peut-être Ozon a-t-il passé sa jeunesse à fumer la moquette en écoutant Michel Fugain à fond sur son mange-disque : "Fais comme l'oiseau, ça vit d'air pur et d'eau fraîche, l'oiseau, et jamais rien ne l'empêche, l'oiseau, d'aller plus hauuuuuut !". Ou bouffé des space cookies en ouvrant la cage aux oiseaux. Ou alors c'est le fils caché de Marie Myriam. Je suis très circonspect.

Crash-test :

14 février 2009

Autant en emporte le temps

L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher.

Le contresens de la vie. Né avec le corps d'un (tout petit) vieillard de quatre-vingts ans, Benjamin Button va traverser la majeure partie du vingtième siècle pour s'éteindre peu avant celui-ci dans la peau d'un nouveau-né. La vie, l'amour, la guerre, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.

On avait laissé David Fincher avec Zodiac, histoire de tueur en série où c'était la ville de San Francisco qu'on avait numériquement maquillée pour lui faire traverser une partie du siècle. Quasiment pas un plan qui n'ait été passé à la moulinette informatique, et ce presque à l'insu du spectateur. Pour Benjamin Button, on ne peut pas dire qu'on ne soupçonne pas un trucage en voyant Brad Pitt rajeunir en proportion inverse du vieillissement de la sublime Cate Blanchett, mais c'est si bien fait sans coutures apparentes qu'on finit par s'en fiche et se concentrer sur l'histoire.

Car c'en est une, grande et belle histoire, biographie picaresque, faite de savoureuses autres histoires plus petites, habitée de personnages ordinaires hors du commun, et qui finissent par composer un tableau trop grand pour la galerie des batailles à Versailles. Une histoire comme dans ces livres d'images qu'on lit le soir aux enfants de sept à soixante dix-sept ans. Un récit comme un conte à mourir debout qui tente, en deux heures quarante qu'on croirait un clin d'œil, de philosopher sans emphase ni sentimentalisme mais avec beaucoup d'émotion sur la condition humaine et les rapports étranges que peuvent entretenir les corps et les âmes.

La facture peut sembler classique, mais le ton, mâtiné d'humour triste, est juste. Le scénario évite la facilité qui aurait consisté à s'intéresser de trop près aux nombreux paradoxes que doit résoudre un enfant vieillard ou un père de famille juvénile, comment justifier son tarif jeune quand on a l'air cacochyme, sa carte Vermeil quand on suce son pouce, etc... Pas de freak show, pas de voyeurisme temporel, et Kronos ne bouffe pas ses enfants sous nos yeux.

Ça fait un peu mal aux fesses d'écrire ça, mais Fincher pourrait donner des leçons de cinéma à Coppola qui, sur un sujet similaire, s'était assez lamentablement planté avec son soporifique et cucul Homme sans âge.

Un petit mot encore pour signaler que ce film long et touffu et grandiose est tiré d'une toute petite nouvelle de rien du tout de Francis Scott Fitzgerald, et pour conseiller aux producteurs américains de m'engager comme consultant la prochaine fois qu'ils tournent des scènes censées se passer à Paris (voire au Bourget), parce que personne ne risque de se faire renverser par une voiture en sortant de l'entrée des artistes de l'opéra Garnier comme le donne à voir Fincher. Ego te absolvo a peccatis tuis.

Crash-test :

13 février 2009

Roupies de sansonnet

Slumdog Millionaire de Danny Boyle.

Cinéma nouveau riche. Un pauvre bougre sorti d'un bidonville de Bombay et qui n'a pas eu la vie facile facile se retrouve Dieu sait comment à Qui veut gagner des millions, répond à toutes les questions, remporte le jackpot, et devient un riche bougre. A-t-il triché ?

Faux suspense à deux roupies, auquel je vais m'empresser de mettre un terme, tant tout est prévisible dans cette comédie dramatique qui se voudrait sociale. Les gentils gagnent, les méchants sont punis, le traître rongé de remords se sacrifie pour se racheter, et l'amour triomphe. Le spectateur est constamment brossé dans le sens du poil, pour être bien sûr qu'il ressort avec la banane, persuadé d'avoir passé un moment tellement positif.

Tout repose sur une seule et unique idée : pour chaque réponse improbable que donne le pauvre bougre, un flashback sur sa vie antérieure nous explique laborieusement pourquoi il connaît la réponse improbable. Une réalisation bling-bling pour clubbers cocaïnés se charge alors de nous détailler un catalogue des tares sociales de l'Inde contemporaine, avec carte postale du Taj Mahal : "Tellement pauvre, mais tellement beau". Pas de quoi casser trois bras à Shiva.

Crash-test :

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12 février 2009

Faune d'Afrique australe

Rats et chiens de Conrad Botes.

Je me suis interdit jusqu'ici d'ouvrir une rubrique copinage, parlant d'ouvrages de miens amis : soit j'en dis du mal et je me fâche avec mes amis, soit j'en dis du bien et je passe pour un flagorneur inconsistant. Je fais toutefois une exception pour ce livre de mon pote sudaf Conrad Botes (prononcer Boteusse) qui vient de sortir après une longue attente chez Cornélius, facteur de jolis livres d'images qui a goupillé une bien jolie couve en couleurs pour ce recueil de récits courts en noir et blanc. Exception d'autant plus excusable que cet auteur africanophone ne comprend ni ne lit un traître mot de français, et ne risque donc pas de lire ceci, alors j'en profite. Et d'ailleurs les premiers lecteurs de cette publication électronique mais gothique se souviendront que le premier article avec un semblant de sérieux en ces pages fut déjà sur un sujet proche du coquinage.


Bref. Alors que Conrad Botes et son compère Joe Dog, les créateurs de la revue d'avant-garde subversive Bitterkomix, sont les superstars incontestées de la bande dessinée en Afrique du Sud, où presque personne ne les connaît, ce qui indique assez bien l'état quasi rupestre du secteur, les voilà, après diverses collaborations à diverses publications depuis le Comix 2000 de l'Association, qui publient enfin leurs premiers vrais livres traduits en France, où pour le coup rigoureusement personne ne les connaissait, à moins d'avoir assisté à l'un des festivals Cyclone BD à la Réunion où ils se rendirent. Vu que la Réunion, c'est aussi la France.

Le chacal et le corbeau en français.

Même page en africain, et que j'ai eu l'outrecuidance de tenter de colorier pour rire.

Voilà donc, j'en reviens à mon sujet, cinq histoires originales de Conrad Botes alias Konradski : Le chacal et le corbeau, Caïn et Abel, Esaü et Jacob, Dieu et rat, Histoire pour les enfants. Cinq récits d'inspiration biblique, ou onirique, selon les cas, plus une adaptation de Grimm. Mais le tout avec un parfum assez nettement sud-africain, notamment par les décors, et les thèmes graphiques. Un style apparemment brut et instinctif, mais qui est le fruit d'années de pratique dans la BD comme les arts plastiques, peinture comme sculpture. Etonnamment, le trait au pinceau se rapproche de certaines gravures sur bois, alors qu'à ma connaissance, Conrad n'y a jamais touché, mais disons qu'il y puise des idées de simplicité et d'efficacité qui contribuent à rendre ses pages particulièrement percutantes.
Et puis c'est pas pour dire, mais ce bouquin a tout de même été remarquablement traduit.

10 février 2009

Haut et court

Pixar Short Films
volume 1.

Retour en arrière sur l'histoire de Pixar, qui est à elle seule un peu un résumé de l'histoire de l'animation 3D, avec cette collection de treize courts-métrages produits par la firme pionnière entre 1984 et 2006. Des petits films conçus pour illustrer le savoir-faire maison, bancs d'essai de nouvelles techniques ou de nouvelles applications, parfois projetés en compléments de programme de longs-métrage ou en bonus DVD. On retrouve d'ailleurs sur certains des personnages sortis de Monstres et Compagnie, ou Les indestructibles, ou encore Cars.

Ce voyage dans le temps permet d'apprécier le chemin parcouru sur le plan technique dans ce champ nouveau de l'animation qu'est la 3D. Les premiers films paraissent lourds, grossiers, et à peine digestes visuellement aujourd'hui, alors qu'ils semblaient à la pointe de la modernité la plus absolue en leur temps. Le tout premier de 1984, The Adventures of Andre and Wally B, animé par un certain John Lasseter, avait vu le jour grâce au prêt d'un super-ordinateur Cray X-MP 48 (pour les connaisseurs) ! La maladresse des premiers pas du genre était particulièrement apparente quand on tentait de reproduire la complexité des mouvements d'une machine organique comme un être humain. On voit le problème quasiment résolu, et avec quelle aisance, dans le dernier film de 2006, Lifted, où un alien gélatineux tente de passer son examen de permis d'enlever des terriens. Film d'ailleurs hilarant.

La leçon principale de ce petit panorama, c'est que Pixar, détail déjà souligné lors de la sortie de Wall-E, n'a jamais tenté de péter plus haut que son cul en faisant un étalage d'esbroufe technologique, mais a toujours mis son savoir-faire au service de ses histoires, et non pas le contraire. C'est bien cette philosophie qui les a menés au sommet aujourd'hui, et qui est déjà apparente depuis les débuts. Et du coup même des films courts peuvent ressembler à de petits chefs d'œuvre, comme Geri's Game ou Boundin', avec des scénarios simples et touchants, toujours sans une once de niaiserie.

Enfin on retrouve avec plaisir les héros devenus l'emblème de la firme : Luxo et Luxo Jr, les lampes d'architecte déjantées. Comme disaient les frères Auguste et Louis, que la lumière soit !

Crash-test :

7 février 2009

Le bon Dieu sans confession

Il Divo de Paolo Sorrentino.

De la merde dans un bas de soie. Ce n'est pas un jugement de valeur sur ce fort bon film, mais le cri du cœur de Napoléon à propos de Talleyrand. Et c'est ce qui vient à l'esprit, mode vestimentaire mise à part, à la vue de cet aperçu touffu, confus et virtuose, de la personnalité de Giulio Andreotti, incarnation de la politique italienne pré-berlusconienne, vingt et une fois ministre, sept fois président du conseil, scorpion dans un panier de crabes, alchimiste génial qui transforma les années de plomb en âge d'or de la démocratie-chrétienne.

La copie distribuée en France a beau se fendre d'un glossaire en guise d'avertissement, on a vite fait de se perdre dans les allers et retours chronologiques depuis la mort du président du parti démocrate-chrétien Aldo Moro assassiné par les Brigades Rouges en 1978 jusqu'aux procès d'Andreotti du début à la fin des années 90, où le divin Divo parvint à passer entre les mailles du filet. Entre les deux, clientélisme, trafic d'influence, assassinats politiques ou non, liés ou non à la mafia, ou à la sulfureuse loge maçonnique P2 (dont fit partie le petit Berlusconi...). Mais cette confusion, ce halo de soufre, suffisent en eux-mêmes à servir le sujet, qui n'est pas l'histoire de l'Italie récente, mais bien un homme politique hors du commun : gentil garçon, catholique dévôt, sans vices connus, convaincu de la justesse de sa mission, Andreotti les enterrera tous, au propre comme au figuré.

En laissant planer peu de mystères sur les responsabilités réelles du personnage dans un certain nombre d'affaires, et notamment sur ses liens à géométrie variable avec la Mafia, ce film va au delà d'un simple portrait. Il questionne assez profondément la nature de l'action politique. Raillé abondamment par ses adversaires pour sa morgue et sa grisaille, Andreotti illustre à merveille comment rien n'est justement ni tout blanc ni tout noir, et comment les circonstances peuvent amener un homme à agir à l'encontre de ses convictions pour mieux les servir. Une machiavélique piqûre de rappel à l'heure où nombre de politiciens se drapent dans la morale. Même en France. Si si.

La composition de l'acteur principal Toni Servillo, est étonnante, en bossu rabougri, rongé par les migraines. Le seule ligne politique constante d'Andreotti semble d'ailleurs d'avoir tenté de maintenir, en vain, son médicament préféré sur la liste des spécialités remboursables. Réalisation vive et intelligente de Sorrentino, cédant parfois à quelques effets de caméra un peu superflus, mais truffée d'idées visuelles proches du génie, comme cette cène (Jésus-Christique, veux-je dire) ou Andreotti trinque avec ses amis politiques pour fêter sa candidature à la présidence en cognant son gobelet d'aspirine contre les coupes de spumante.

Le spectateur se prendrait bien un petit remontant aussi, tant à la fin du compte c'est la nausée qui l'emporte devant le champ de ruines politique laissé en héritage, et la solitude désespérante pour seule récompense du coupable.

Crash-test :

3 février 2009

L'aloi des séries, épisode 2

Je vous confirme que Sabatier est bien de retour. Koh Lanta est venu nous gâcher l'hiver après nous avoir pourri l'été. Louis la Brocante n'a toujours pas fait passer sa camionnette au contrôle technique. Plus belle la vie résonne comme un slogan gouvernemental rabâché par Brice Hortefeux. Vous n'allumez plus votre poste de peur de voir encore une de ces daubes dont la télé française a le secret ? Heureusement, une fois encore, Hobopok Dimanche est là pour vous tirer d'embarras, et vous guider dans l'univers impitoyable des séries de bon aloi. Demandez le programme !

The United Sates of Tara.
Nouvelle digression autour de la famille suburbaine : cette fois, c'est la mère qui souffre de personnalités multiples : elle se transforme en ado libidineuse, en femme modèle des années 50, ou, plus surprenant, en routier imbibé de bière. J'ai vu trois épisodes de cette première saison, et jusqu'ici, nonobstant le travail remarquable de l'actrice principale, l'aussie Toni Collette (enfin voyons, Muriel !), on se demande bien où on veut nous emmener... Une parabole sur la féminité, peut-être.

Lost.
C'est reparti pour une cinquième et avant-dernière saison. Il serait vain de vouloir résumer l'ensemble des péripéties qu'ont dû endurer les survivants du vol Oceanic 815 échoués sur une île déserte surpeuplée du Pacifique sud. Toujours les mêmes andouilles qui brandissent des flingues surgis d'on ne sait où pour un oui pour un non, et toujours autant de mystères enveloppant des énigmes. D'ailleurs c'est bien simple, plus il y a de réponses, plus il y a de nouvelles questions qui surgissent. C'est idiot à crever, et c'est la quintessence du feuilleton au sens le plus pur : la suiiiiiiiite ! Et j'adore le non-générique ultra-conceptuel.


House of Saddam.
Beaucoup de ramdam autour de cette production BBC rassemblant une distribution internationale, mais la montagne accouche d'une souris. Il était pourtant ambitieux de s'attaquer à ce personnage, Saddam Hussein, à la fois emblématique et pour le moins controversé, mais faute manifeste de moyens, on doit se contenter d'une litanie de dialogues didactiques en champ/contre-champ filmés dans un décor qui finit par sembler unique de palais de marbre et d'or meublé chez Roméo du faubourg Saint-Antoine. Mini-série de quatre épisodes. Prévoir les fish & chips pour tenir le coup.


Band of Brothers.
Ça date de 2001 mais je ne l'ai vu que récemment. Une idée de Tom Hanks et Steven Spielberg suite à leur collaboration sur le Soldat Ryan : une série en dix épisodes qui suit une unité de parachutistes américains depuis leur instruction, en passant par le débarquement et toute la campagne de France, jusqu'à l'annonce de la paix en Allemagne. Autant le long-métrage sus-cité, malgré de bien bonnes scènes, était inutilement sentimental, autant cette série, avec ses prétentions réalistes, tient ses promesses. Notamment parce qu'elle s'appuie sur des témoignages de survivants, interviewés en général en début ou fin de chaque épisode, qui ont servi de modèles aux personnages. Une vision de la guerre sans complaisance qui vaut bien des cours d'histoire.


Columbo.
Et pour finir, je le gardais pour la bonne bouche, contrepied total parfait, ça ne date pas d'hier : la série policière par excellence, et je dis pas ça parce que l'inspecteur conduisait une 403. En fait, je n'ai pas l'intention de faire un topo sur toute la série, qu'on ne présente plus, mais sur un épisode bien particulier de la saison quatre, Troubled Waters (Eaux troubles), réalisé par Ben Gazzara. Ingrédient classique : le meurtre est connu des téléspectateurs depuis le début. Mais on est cette fois à bord d'un paquebot en route pour le Mexique, qui va vite empester le cigare, car s'y trouve fortuitement le couple Columbo en goguette. Inutile de vous dire que, sous divers prétextes de plus en plus fallacieux, on ne verra jamais madame. En dehors de sa juridiction, Columbo opère sous l'autorité du capitaine du navire (britichissime Patrick McNee en short) et doit rendre ses conclusions avant que la police mexicaine ne s'en mêle. Episode hors norme, donc, où la réalisation tire avec brio le meilleur parti des espaces confinés, coursives, cabines exiguës, etc... ambiancés du murmure permanent du diesel. Je ne suis pas sûr qu'on n'aperçoit pas l'ombre de Cassavetes au détour d'un couloir.

Previously dans L'aloi des séries.
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1 février 2009

Le nain de fer

Pinocchio de Winshluss.

Une fois encore, votre publication gothique en ligne préférée a eu le nez creux, car, avant même l'annonce du prix du meilleur album 2009 à Angoulême, cet ouvrage se voyait remettre un Hob d'Or lors d'une cérémonie à la bonne franquette dans un lieu tenu secret du Bourget. Rappelons qu'un Hob d'Or consiste en une canette de bière descendue par mes soins à la santé du récipiendaire à la mi-temps du match Croatie-France (et aussi à la bonne santé des handballeurs croates).


Encore un bon gros bouquin bien massif, pas loin de deux-cents pages, au coût un peu élevé, il faut quand même cracher trente brouzoufs, mais non seulement on a le sentiment d'en avoir largement pour son pognon, surtout ça n'est pour une fois pas pour engraisser une multinationale de l'édition, mais plutôt la seule cirrhose du sud-ouest qui ne produise pas de foie-gras, j'ai nommé les Requins-Marteaux, basés à Albi. Déjà rien que la couverture forcerait l'admiration même sans ses aplats métallisés réfléchissants, un choix technique peu banal.


Winshluss m'énerve un peu, avec ses airs de dandy intello-bobo post-punk, à jamais décrocher un sourire, et à théoriser et analyser en permanence la moindre de ses remontées de lunettes. Seulement voilà, derrière ces grosses lunettes piquées à Elvis Costello, y en a là-dedans, et ça redescend dans les terminaisons nerveuses digitales, et que voilà du papier noirci à bon escient !


Mais bon, déjà on savait le gars graphiquement à l'aise, il a trouvé avec cette adaptation ambitieuse et réussie du roman de Collodi un support de choix pour remâcher ses obsessions habituelles, recyclage de codes graphiques passéistes qui, rhabillés à la sauce trash, retrouvent ici une étonnante modernité. Winshluss donne l'air de savoir tout faire avec un crayon : de la ligne claire, de la ligne crade, du noir et blanc, de l'aquarelle, du dépouillé minimaliste ou le plafond de la chapelle Sixtine. Et d'ailleurs il nous le prouve avec ce livre où plusieurs traitements graphiques cohabitent. S'il y avait un petit reproche à lui faire serait de quelques fois se regarder un peu dessiner et de surcharger certaines images au point d'en compromettre la lisibilité et l'efficacité.


Mais ce qui fait aussi la force de ce livre, c'est son scénario, quasiment muet (encore ! souvenez vous de Shaun Tan l'an dernier) hormis quelques planches consacrées à un Jiminy Cafard qui a élu domicile dans la tête de Pinocchio. Lequel n'est pas un petit bonhomme en bois mais un petit robot en fer, de conception militaire, et qui va vivre des péripéties en tout point comparables à celles imaginées par Collodi, quoique radicalement différentes car pleines de sang, de larmes, et de divers autres fluides corporels ou non. En croisant une multitude de personnages, de points de vue, et d'intrigues qui finissent par se recouper, Winshluss peint une critique acerbe du monde moderne. Avec une prétention assumée à l'universel, égalant et dépassant même ainsi son modèle italien.

Il n' a donc pas volé son Hob d'Or. Tiens même je lui en file un autre pour fêter le nul des Verts à Lyon.


Sur cette même question retrouvez l'avis du Dernier des blogs , d'Appollo qui trouve le moyen d'en dire du mal, et celui de l'estimé Li-An quant à Wizz et Buzz du même Winshluss.