31 janvier 2010

Mon fils, ma bataille

Mother de Bong Joon-ho.

Mélodrame policier et thriller familial. Dans un mileu populaire en Corée, une mère tout entière dévouée à son grand benêt de fils unique se démène comme un beau diable, prête à tout pour prouver l'innocence de son rejeton quand celui-ci est accusé de meurtre.

Bong Joon-ho nous avait franchement épatés avec son précédent film Host, où un monstre saurien géant s'installait dans les égoûts de Séoul pour semer la terreur dans la ville, et qui curieusement tenait déjà davantage de la chronique familiale que du fantastique à grand spectacle. On le voit ici, sans effets spéciaux numériques à son secours, donner toute la mesure de son talent de metteur en scène, maîtrisant le rythme crescendo de son récit, ménageant tension et rebondissements imprévisibles. Il sait surtout mettre en valeur ses interprètes, à commencer par la remarquable Kim Hye-ja dans le rôle de la mère, qui laisse son humilité traditionnelle voler en éclat quand son amour inconditionnel pour son fils est contrecarré par la tournure de plus en plus fâcheuse que prennent les événements.

Derrière cette puissante épopée familiale, doublée déjà d'un suspense policier haletant, à la modernité soulignée par le rôle central joué par la technologie devenue ordinaire, on se demande s'il ne faut pas voir encore un film social très politique, tendance lutte des classes, où les petites gens ne sont que des jouets aux mains des puissants, où le pouvoir et l'argent se confondent. Presque du néoréalisme coréen.

Crash-test :

29 janvier 2010

Clair de ligne

Saul Steinberg, l'écriture visuelle, au musée Tomi Ungerer, Centre international de l'illustration, Strasbourg, jusqu'au 28 février.

Jolie découverte lors de mon passage à Strasbourg que ce petit musée au nom plus long que le bâtiment n'est grand. Trois étages d'un petit hôtel particulier consacrés à l'œuvre de l'immense dessinateur alsacien Tomi Ungerer, qui prête un niveau à une ébouriffante expo consacré à un de ses maîtres, Saul Steinberg.


Né en Roumanie en 1914, Steinberg est conduit, par les hasards d'une époque pas de tout repos pour les Juifs d'Europe orientale, tout d'abord en Italie où ses premiers dessins paraissent, puis aux Etats-Unis après la promulgation de lois antisémites par Mussolini. Il fait alors partie de ces Européens, notamment juifs, qui vont transformer la culture américaine en de nombreux domaines. Steinberg n'est pas loin de révolutionner le sien, celui du cartoon et de l'illustration, en donnant au dessin une profondeur à la fois intellectuelle et graphique jusqu'alors jamais vue. Il devient vite l'un des chefs de file du prestigieux magazine The New Yorker.


Rendu populaire par ses couvertures pour le magazine, notamment celles fameuses avec sa perspective du monde vu de New York, tarte à la crème internationale des boutiques d'affiches, Steinberg était un dessinateur dans l'âme, pensant et respirant avec son crayon (ou sa plume). Toute forme était pour lui une idée, et réciproquement. Touche à tout de la technique, il transformait et détournait aussi structures et matériaux. L'une de ses créations les plus rigolotes visibles dans l'expo sont ces faux diplômes constitués de gribouilis inintelligibles et qu'il offrait en cadeau à ses amis.


Simplifiant son dessin en le concentrant en un trait le plus pur possible, Steinberg aura eu une influence durable sur les dessinateurs de toute la planète, aussi bien sur ses contemporains que sur des générations actuelles, comme le montre une petite section d'hommages. C'est le cadeau bonus de l'expo : des originaux de Sempé, Ronald Searle, Chas Addams, Geluck, Chaval, Pierre Etaix, entre autres, et naturellement Tomi Ungerer (dont d'autres dessins sont bien sûr visibles dans le reste du musée).



A noter la parution d'un (pas donné) catalogue accompagnant l'exposition, sous le même titre de Saul Steinberg, l'écriture visuelle, incluant la reproduction de la totalité des œuvres présentées, et enrichi d'une fort pertinente biographie et d'analyses sémantiques.

27 janvier 2010

Popes moujiks

Tsar de Pavel Lounguine.

Languissante épopée. En plein délire paranoïaque à connotation religieuse, Ivan le Terrible, tsar de toutes les Russies, mais surtout moujik cousu d'or, s'opposant à un pope qu'il vient de nommer métropolite de Moscou, croit asseoir son autorité par la terreur, mais finit par faire le vide autour de lui.

Il va falloir faire chauffer le samovar et se bourrer de théine pour garder les yeux ouverts devant ce film pas exactement bardé d'action, où le méchant tsar et ses homme de main sanguinaires citent les saintes écritures à longueur de plan. En s'attaquant à cette figure incontournable de l'histoire russe, Lounguine prend surtout le risque de se mesurer au diptyque qu'Eisenstein avait réalisé à la gloire de Staline, et même s'il paraît qu'il faut voir dans ce nouveau film une fine allusion au pouvoir poutinien, on ne peut pas dire que le compte y soit, en terme de mise en scène, de pertinence politique, ou d'ampleur épique.

Au contraire, Lounguine semble s'ingénier à faire du tsar passablement édenté un pauvre type médiocrement quelconque seulement égaré par la folie meurtrière, donnant une reconstitution étriquée d'un moyen-âge miteux, où l'idée d'un bon moment se résume à une chouette scène de torture élaborée. L'idée aurait pu être intéressante, si seulement le rythme du récit avait compensé ce retour à une esthétique plus ordinaire. Malheureusement ce film de presque deux heures paraît long comme un jour sans borchtch.

Crash-test :

26 janvier 2010

Le choix du rabbin

A Serious Man de Joel et Ethan Coen.

Torah t'auras pas. Quelque part dans les années 60, accablé par une avalanche de tuiles tant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle, un prof de physique quarantenaire d'une petite ville du Midwest se tourne vers trois rabbins du coin pour tenter d'y voir clair. En vain.

C'est avec une constance qui force l'admiration que les frères Coen labourent sempiternellement le même sillon, réalisant encore et toujours le même film enrobé de quelque nouvel emballage scénaristique : rien n'a de sens ici-bas sur terre. Et en l'occurrence, il ne semble pas que les promesses d'au-delà portées par le judaïsme soient d'un grand secours. Les Coen se sont largement inspirés de leurs souvenirs de jeunesse dans le même Midwest pour tailler des personnages complètement perdus, dotés pour certains de tronches absolument pas possibles, répondant à des codes sociaux où l'incongruité semble être la règle cardinale. En puisant ainsi dans leur enfance, et bien que les principaux protagonistes soient d'âge mûr, ils donnent à voir le monde avec l'étonnement effaré d'un ado pré-bar mitzvah.

La mise en scène ironique et sèche fait toujours merveille, et bien sûr pas plus les spectateurs que les personnages ne trouveront dans le film, notamment pas auprès de rabbins insaisissables ou abstrus ou les deux, de réponses aux questions qui s'accumulent sur l'écran. On ne pourrait mieux parler de la vie.

On va pas se convertir au judaïsme pour autant, mais enfin il y a fort à parier que les goys doivent perdre une bonne partie de la pertinence du film, à commencer par le prélude, scène fantastique sise dans un shtetl du temps jadis et toute en yiddish. On se console en lisant au générique qu'aucun Juif n'a été maltraité durant le tournage.

Crash-test :

24 janvier 2010

Mais où sont passées les gazelles ?

Invictus de Clint Eastwood.

Ons is die Bokke (Nous sommes les Boks) ! En 1995 pour la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud, le madré Nelson Mandela fraîchement porté à la tête du pays flaire un bon coup politique à jouer, monte une gigantesque opération de relations publiques, à vocation tant intérieure qu'extérieure, et transforme l'essai avec la victoire pour le moins inattendue des Springboks.

Selon la grande tradition hollywoodienne, voici encore un film sur l'Afrique du Sud où les rôles principaux sont tenus par des acteurs nord-américains (voir Une saison blanche et sèche, Cry, the Beloved Country) qui font de leur mieux pour bredouiller avec un accent du cru, ce qui nous vaut à l'écran de présumés Afrikaners parlant anglais entre eux, ou de présumés Xhosas parlant anglais entre eux. Le syndrome Slumdog Millionaire. C'est redoutablement cucul, dans le sens où ça retire toute espèce de crédibilité à la tentative d'authenticité visée par le réalisateur. Mais soit, admettons qu'il faille en passer par là pour contenter des spectateurs étasuniens allergiques aux sous-titres.

S'inspirant d'un livre à succès, Playing the Enemy de John Carlin, Eastwood livre encore un film au scénario très classiquement linéaire mais cette fois-ci sans grand suspense puisque la fin est archi-connue. L'essentiel du récit se résume à l'opposition de caractère entre le président Nelson Mandela doté d'une exceptionnelle hauteur de vue qui lui permet d'avoir toujours un coup d'avance, notamment sur les plus fanatiques de ses supporters, et le capitaine des Springboks, François Pienaar, présenté comme un gentil couillon pensant avec ses jambes, et qui ouvre doucement les yeux aux nouvelles réalités. Et pour symboliser la difficile réconciliation au cœur de la nouvelle Afrique du Sud, on a droit à quelques chapitres sur la fusion entre les anciens services de sécurité de la présidence De Klerk et ceux de l'ANC. Ça reste un peu court, surtout que les scènes de rugby sont elles tout de même un peu longuettes, et pas totalement convaincantes de surcroît.

On regrette ainsi comment le scénario en forme de légende manque de nous éclairer sur la symbolique politique du rugby en Afrique du Sud, le ballon ovale faisant partie intégrante de l'éducation des jeunes mâles afrikaners, troisième pilier de l'apartheid, aux côtés de l'Eglise réformée hollandaise et du Parti national. Impasse aussi sur l'aspect un peu moins légendaire de la Coupe du monde 95, où pour nombre de spécialistes, le fabuleux destin des Springboks, alors au fond du panier du rugby international, reçut quelques providentiels coups de pouce avec achat d'arbitres, ou de mystérieuses intoxications alimentaires d'adversaires...

Côté réalisation, Clint se laisse aller à quelques étonnantes facilités, avec une bande-son encombrée de romances sirupeuses assez ridicules, ou des ralentis d'une finesse éléphantesque, substituts d'une émotion assez largement absente de l'écran. Heureusement, l'interprétation assez brillante de Morgan Freeman, qui joue d'une certaine ressemblance physique avec son modèle, sauve le vrai sujet du film, à savoir comment Mandela a fait du pardon une puissante arme politique.

Crash-test :

23 janvier 2010

Perses et police

Les chats persans de Bahman Ghobadi.


Compil alternative. Un jeune couple de musiciens téhéranais marginalisé par des choix artistiques peu goûtés des mollahs essaie de monter un groupe dans le seul but d'obtenir des visas de sortie au prétexte d'une tournée de concerts à l'étranger.

A près A propos d'Elly, voici encore un film, à vertu quasi documentaire, puisque tourné à l'arrache, quasi clandestinement, avec de jeunes acteurs musiciens jouant à peu de choses près leur propre rôle, qui jette un éclairage cru sur la société iranienne actuelle, secouée comme on le sait de quelques soubresauts ces derniers temps.

Ghobadi s'appuie sur une trame scénaristique assez sommaire, qui tourne un peu au catalogue musical, pour nous donner un aperçu de ce qu'il est convenu d'appeler la scène alternative, nous faisant découvrir une jeunesse avide de musiques modernes, indie rock, blues, heavy metal, electro, rap, foisonnement de talents claquemurés derrière des frontières hermétiques, s'enterrant au plus profond des bas-fonds de la ville à la recherche d'insonorisation salutaire. Heureusement, le film se charge aussi de suspense au fur à mesure que la date prévue du départ approche et que les espoirs de triompher des embûches administratives et policières s'amenuisent. Deux personnages notamment se détachent : la jeune chanteuse aussi désespérée que désabusée, et le manager autoproclamé, tchatcheur impénitent, qui finit lui-même par ne plus croire à ses propres boniments. La meilleure scène du film le montre s'expliquant dans un commissariat de police, filmé longuement par le mince entrebâillement d'une porte.

En alternant habilement description et émotion, scènes comiques et scène tragiques, révélant un talent de mise en scène survolté par l'urgence, Ghobadi donne non seulement des clés pour l'Iran contemporain, mais signe aussi un vrai bon film de cinéma, au nez et surtout à la barbe des gardiens de la révolution islamique.

Crash-test :

9 janvier 2010

Mort subite sans prolongations

Comme beaucoup d'observateurs, les membres de la Confédération africaine de football (CAF) croyaient la guerre civile en Angola terminée depuis 2002 quand ils ont confié à ce pays l'organisation de la Coupe d'Afrique des nations 2010. C'était compter sans la violente guerrilla séparatiste du Front de libération de l'enclave de Cabinda, un mince territoire angolais fiché entre les deux Congo, où le comité d'organisation avait cru malin de prévoir sept rencontres. Habile stratagème pour réaffirmer la puissance et la souveraineté de l'Etat angolais à Cabinda au nez et à la barbe des irrédentistes. La démonstration s'est avérée particulièrement convaincante après la mort d'au moins deux personnes dans l'attaque du car de l'équipe nationale du Togo qui se rendait à Cabinda pour disputer son premier match de la compétition. A l'évidence, les autorités angolaises ont masqué la réalité de la situation sécuritaire à Cabinda pour mieux servir leur dessein politique. A l'évidence, la CAF a été soit extrêmement naïve en prenant pour argent comptant les assurances fumeuses données par l'Angola, soit particulièrement cynique en fermant les yeux sur une situation hors de contrôle mais potentiellement profitable. Au vu du drame récent qui endeuille la compétition, au vu de l'incurie des autorités angolaises, la CAF a d'ailleurs sagement décidé de maintenir toutes les rencontres à Cabinda malgré le retrait du Togo de la compétition. Et alors ? On avait pas annulé les JO de Munich non plus.

Aux dernières nouvelles, la CAN va déjà mieux.

A ce train là, le mieux serait de confier une prochaine édition de la CAN à la Somalie, avec des matches à jouer à Mogadiscio, Berbera, Baidoa... Ou au Congo prétendûment démocratique qui pourrait voir un quart de finale à Goma en plein pays hutu. Ou alors tiens, encore mieux, une organisation conjointe du Maroc et du Front Polisario avec match d'ouverture à El Ayoun, en plein Sahara occidental. Non, Maroc méridional ! Sahara occidental ! Paf ! Pan ! Boum ! Ratatatatata ! A quelques mois de la Coupe du monde en Afrique du Sud, j'imagine la police sudaf flipper grave et réviser de toute urgence ses fiches sur les Fronts de libération afrikaner ou hottentot...

Ce qui est énervant surtout, c'est que pendant ce temps là, le Dakar sud-américain n'en est qu'à un seul mort cette année. Et encore, même pas par balles.

3 janvier 2010

Le dernier mot de Jean-Pierre

Qui veut gagner des millions ?, spéciale associations, sur TF1.

Je suis tombé dessus le 1er janvier, mais il faut bien dire que ce n'est pas la seule émission à se donner ainsi l'apparence de la charité bien ordonnée. Le principe : en lieu et place des candidats lambda habituels, des vedettes viennent jouer face à Jean-Pierre Foucault pour remettre leurs gains éventuels à une association méritante. Formidable et émouvante générosité. Unanimité compassionnelle.

Je ne sais si les associations bénéficiaires sont vraiment choisies par les joueurs invités, ou si les invités le sont en raison de leur soutien de longue date à telle ou telle œuvre, ou si la production intervient pour souffler le nom d'une charité à une vedette en panne d'inspiration. En tout cas pour TF1 comme pour la production, voici un bien beau geste qui ne coûte rien, pas plus qu'une émission ordinaire, voire moins vu que le total des gains doit être inférieur avec des candidats un peu moins motivés que les habituels RMIstes, et qui rapporte gros, davantage peut-être même qu'une émission ordinaire. Que je sache, dans son grand élan de générosité, TF1 ne va pas tout de même jusqu'à reverser une partie des sommes encaissées au titre des écrans de pub entrelardant ces émissions à forte audience. Par contre, en termes d'images, c'est tout bénef : oh la gentille chaîne de télévision qui offre ainsi argent et temps d'antenne à de gentilles associations !


Quant aux associations, certainement pas dupes de la mystification opérée en leur nom, on peut difficilement les blâmer de récupérer un peu d'argent et d'exposition médiatique au passage. Ainsi, en apparence, tout le monde est content, tout va pour le mieux dans le meilleur des PAF possible. A moins bien sûr que les vedettes ne soient vraiment trop nulles : ah désolé, chère association, on était prêts à vous offrir un million d'euros, mais votre people n'a pas été fichu de décoller, pour vous ce sera mille cinq-cents. C'est déjà pas mal, et estimez vous heureux !

2 janvier 2010

Un bateau en Espagne

The Limits of Control de Jim Jarmusch.

Film d'inaction sans queue ni tête. De mystérieux commanditaires envoient un mystérieux tueur taciturne faire un tour d'Espagne. Rencontrant de mystérieux contacts selon de mystérieux rituels, le tueur se rapproche finalement de sa mystérieuse cible avant de s'éclipser mystérieusement. A première vue, on ne peut pas dire que tout ça rime à grand chose.

Jim Jarmusch, qui se prend tout d'un coup pour David Lynch, titre ésotérique en prime, nous mène sacrément en bateau. Une embarcation tout sauf légère que d'aucuns n'hésiteront pas à assimiler à une galère. Comme à la vision d'une déroutante lyncherie, on se demande un peu si on a affaire à un brillant exercice de style ou si le réalisateur ne se fout pas un tout petit peu de notre gueule. Bien difficile en l'occurrence de trancher.

Il est possible aussi de se laisser bercer par cette ineptie certes un peu prétentieuse, mais qui à la réflexion joue avec intelligence et même assez drôlement des codes du cinéma, et distille une impression diffusément poétique, voire carrément onirique, comme un rêve qui se répète inlassablement au prix de légères variations, invitant pour de fugaces apparitions à l'écran une brochette de comédiens sympathiques. La présence finale quoique brève de Bill Murray, immortel héros d'Un jour sans fin, pourrait accréditer la thèse hasardeuse du rêve éveillé. Pour ceux qui ne se seront pas endormis avant.

Crash-test :

1 janvier 2010

L'avenir est pour demain

Merci Chaval, et bonne année à tous nos lecteurs du monde entier.