28 avril 2011

Hare Rama

Sita Sings the Blues de Nina Paley.

Chagrin d'amour légendaire. Une artiste étasunienne trace un parallèle entre son grand amour contrarié avec son mari parti en Inde, et l'ancestrale mythologie indienne du Ramayana où la malheureuse princesse Sita est répudiée par son mari Rama. Nina Paley, a mesuré sa pitoyable autobiographie à l'un des mythes fondateurs de la culture indienne, pour en faire ressortir la portée universelle, et aboutir à une réussite narrative et graphique époustouflante.


Sita Sings the Blues est un film exceptionnel à plus d'un titre. Pour commencer, Paley a conçu, dessiné, et réalisé toute seule ce long-métrage sur son petit ordinateur portable, marnant sans relâche sur son clavier pendant cinq ans. Ensuite, méprisant l'argent qu'elle aurait pu se faire avec son chef d'œuvre, elle a choisi, au lieu de l'exploiter commercialement, de le rendre disponible gratuitement sous licence libre Creative Commons, qui autorise toute distribution et reproduction à l'exclusion de tout paiement ou verrouillage numérique. Il est donc depuis sa sortie en 2008 en libre accès en téléchargement ou en streaming sur internet. Paley a pris au sérieux le message d'universalité qu'elle entend propager au moyen de son film !


Son malheur amoureux faisant notre bonheur, Paley se révèle surtout une artiste inspirée, mélangeant plusieurs styles graphiques pour mieux articuler les différents éléments de son récit, autobiographiques ou mythologiques, recyclant vertigineusement l'imagerie populaire indienne, et travaillant avec l'aide de spécialistes, indiens ou non, une bande-son remarquable rehaussée des chansons d'une vedette oubliée du jazz des années 30, Annette Hanshaw. Elle ajoute aussi des commentaires ironiques délivrés par des marionnettes de théâtre d'ombres dotées d'un accent sous-continental à couper au kriss.


Succès mondial, le film a été presque partout encensé par la critique, et pour cause. Sauf en Inde. D'un côté les extrémistes hindous ont hurlé au blasphème, déniant à un étranger non hindou, une femme par-dessus le marché, le droit de s'approcher à moins de dix-mille kilomètres de leur légende sacrée. De l'autre, des gauchistes bien-pensants ont cru devoir dénoncer une œuvre néo-colonialiste produit d'un point de vue dominant de blanc impérialiste, ce qui revient un petit peu au même. Ça vaut tous les Oscars®.

On peut voir le film sur le site officiel. On le trouve aussi non-stop ici, et en VOSTF .

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