30 septembre 2008

Couvertures Deluxe

Les éditions Penguin ont fait appel à quelques uns des plus grands artistes de la BD contemporaine pour de nouvelles couvertures de leur collection Classics Deluxe.

Visiblement, Penguin a laissé la bride assez lâche sur le cou des dessinateurs, en tablant sur la reconnaissance du style unique de chacun des contributeurs. Fastoche pour des gens comme Seth ou Chris Ware qui font profession (annexe) de maquetter des livres entiers pour divers éditeurs.

Et du coup, passé un temps de simple jouissance à la vue de ces assez convaincantes réussites esthétiques, quelques questions me viennent malgré tout à l'esprit. Est-ce que la BD a besoin de la reconnaissance du "vrai livre" pour exister ? Le "vrai livre" est-il si mal en point qu'il ait besoin de vampiriser l'image djeuns de la BD ? Ai-je vraiment besoin d'aller chercher midi à quatorze heures ?

Thomas Ott.
Julie Doucet.

Daniel Clowes.

Chris Ware.

Seth.

Charles Burns.

Jason.

Chester Brown.

Art Spiegelman.

28 septembre 2008

Une bonne pipe et au lit !

Si d'aucuns discutent parfois à plus ou moins bon escient la valeur sportive de notre club de foot préféré, tous doivent s'accorder à reconnaître qu'au moins on ne s'ennuie jamais avec l'AS Saint-Etienne. Dernier épisode en date : l'affaire Larqué-Sonor.

Peu après le derby perdu face à Lyon, Jean-Michel Larqué, ci-devant ancien capitaine de la formation forézienne (je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître) et actuellement l'un des commentateurs sportifs les plus en vue, avait laissé parler son cœur sur les ondes de la radio RMC Info et lâché tout le bien qu'il pensait de l'entraîneur stéphanois Laurent Roussey et de son tout nouvel adjoint : "Ce n’est pas avec Luc Sonor qui est une pipe que le staff technique va progresser. Laurent Roussey a pris un adjoint qui, lorsqu’il était footballeur n’était pas une flèche, et qui par la suite a prouvé qu’il était encore moins compétent."

Ceci n'est pas Luc Sonor.

Pour incompétent qu'il fût, Luc Sonor a tout de même de l'idée, car il vient de porter plainte cette semaine. Les dépêches que j'ai lues ne précisaient guère ni où ni pour quoi, mais on imagine assez bien qu'il s'est estimé diffamé par le terme assez imagé de pipe.
Apparemment, Sonor veut bien se faire traiter d'incompétent sur une station de radio nationale, se faire traîner dans la boue et rabaisser plus bas que terre, à condition qu'on ne l'apparente pas à un ustensile de tabagie. Je n'ose imaginer à l'avance les débats de la cour qui va devoir statuer sur le caractère diffamatoire ou non de la pipe. Notez que ça aurait pu être pire, sur l'antenne de la même radio officie chaque après-midi une certaine Brigitte Lahaie...

26 septembre 2008

Tranche napolitaine

Gomorra de Matteo Garrone.

Devenue synonyme de décadence morale et de corruption, la cité biblique de Gomorrhe fut détruite par le feu du ciel en même temps que sa voisine Sodome. Une aubaine d'allitération pour évoquer la Camorra, organisation criminelle clanique de la région de Naples.

Ce film halluciné est une plongée dans les bas-fonds d'une Campanie désertée par l'Etat italien, description quasi documentaire des trafics de drogue, d'armes, de déchets toxiques, d'influence, et des ateliers de confection clandestins. Ici la peur de mourir tient lieu de raison de vivre. Car en effet, le déluge de feu n'est pas loin.

Plusieurs histoires se juxtaposent : deux mômes se rêvant en caïds à la Tony Montana (le Scarface de Brian de Palma) promis au même destin, un gamin embringué dans une guerre des gangs qui ravage les familles d'un quartier, un spécialiste du déchet propre sur lui mais prêt à tout, un chef d'atelier de confection qui n'arrive pas à joindre les deux bouts. Nul romantisme sur les bandits d'honneur, tout est laid, les gens et leurs vêtements (le parrain qu'on aperçoit ressemble davantage à un verrat en survêtement qu'à un dandy de l'Actors Studio), l'architecture lépreuse, la campagne balafrée par un urbanisme anarchique.

On se croit presque dans un film de science-fiction tant tout nous paraît déconnecté de toute réalité connue. On voudrait penser à une société du futur régie par ses lois dévoyées, dirigée par un pouvoir invisible totalitaire et ultra-violent, sauf que ça se passe aujourd'hui en Italie. Comme une prémonition déjà réalisée. Sans entrer dans des détails explicatifs, Garrone parvient à merveille à montrer comment la Camorra a déjà pris possession de la société entière et de chaque individu qui la compose, au point de se confondre avec elle. Et c'est bien ce qui rend le film effrayant.

A cause de ce portrait assez peu flatteur de la Camorra, Roberto Saviano, l'auteur du livre qui a servi de base au scénario, a un contrat sur sa tête et ne sort plus sans ses gardes du corps. Je crois que les truands n'auront pas aimé le film non plus. C'est vrai qu'on peut y regretter l'absence de mise en perspective politique ou le manque d'unité du récit, mais de là à occire l'auteur, c'est peut-être pousser la critique un peu trop loin.


Crash-test :

24 septembre 2008

La lutte des classes

Entre les murs de Laurent Cantet.

Collège de France et cinéma de quartier. François Bégaudeau en fait des tonnes en adaptant lui-même son propre bouquin et en se réservant le rôle principal du prof principal. Et ça ne manque pas d'intérêt.

Dans un collège du vingtième arrondissement de Paris, un jeune prof de français se coltine une classe de quatrième haute en couleurs. L'essentiel du film se déroule dans la salle de classe, entre quatre murs, donc, et se concentre sur le dialogue à bâtons rompus qui s'instaure non sans difficultés entre le prof et ses élèves. Pour la Palme d'or, je sais pas, mais le personnage de Bégaudeau mérite largement la palme de la patience.

Ça n'est pas le premier film sur l'école et l'enfance, épargnons nous la liste de ses prédécesseurs. Et ça ne sera pas le dernier. Son intérêt réside tout entier dans son traitement quasi documentaire. C'est toute la qualité de la mise en scène de Laurent Cantet que de nous faire croire dur comme fer à la réalité de cette fiction. Ce traitement en cinéma-vérité fait malheureusement autant la force que les limites de cette œuvre. C'est à dire qu'hormis une succession de saynètes, le film, contrairement à un authentique docu, n'est pas animé par un véritable ressort dramatique : pas de véritable enjeu dans le récit, et somme toute peu d'émotion. Et c'est bien ça qu'on voudrait voir sur un grand écran.

Cette prétention à reproduire la vraie vie prend le risque du malentendu. Pour les enseignants, ils vont trouver là un miroir déformant de la réalité de leur métier, qui ne manquera toutefois pas de les interpeller sur leurs pratiques et leurs certitudes. Pour les autres, c'est un peu une cure de jouvence qui nous fait traverser une année scolaire comme si on y était, sauf qu'on ne voudrait pas vraiment y être. Risque de malentendu encore à paraître surfer sur une vogue de cinéma social "de banlieue" (terme tout à fait impropre pour un film qui se déroule en plein Paris), façon à la fois repoussante et rassurante de montrer les sauvageons au bourgeois-spectateur.

A mi-chemin entre l'école de Jules Ferry qui fait fantasmer les nostalgiques et les faits-divers parfois sanglants qui font les unes des journaux, Cantet et Bégaudeau donnent en tout cas une vision à la fois honnête et sincère. Vous pouvez le noter dans votre cahier de texte.

Crash-test :

22 septembre 2008

Météo France

Parlez-moi de la pluie d'Agnès Jaoui.

Film français. Film français français. Film français tellement français qu'à force il serait presque belge. En tout cas c'est pas à Hollywood qu'on produirait des trucs comme ça où il ne se passe quasiment rien, où ça blablate à longueur de plan, ou alors c'est le silence, où tout va de mal en pis, le tout assaisonné de musique baroque. Ça bacrisse, ça jaouite, ça jamelle, et ça marche.

Une écrivaine féministe parisienne se lance en politique près d'Avignon, où sa sœur occupe encore leur ancienne maison familiale. Sur place, elle se retrouve au milieu d'un jeu de quilles impliquant la bonniche arabe, le fils de celle-ci qui fait le réceptionniste dans un hôtel en attendant une carrière dans la vidéo, son mentor documentariste raté, le beau-frère, l'amant... Et pour finir, il pleut. Tout ça pour dire (un comble) l'incommunicabilité, la solitude, la frustration, les rancœurs, toutes ces belles choses qui font le sel de l'existence. Un tableau d'un noir profond, servi par une grande acuité psychologique, des dialogues percutants, une caméra sobre et efficace, et des acteurs au top, y compris les méconnus seconds rôles.

Malheureusement, Jaoui qui ne manque pas de talent en femme-orchestre (au stylo, devant et derrière la caméra) veut comme s'excuser de son pessimisme pourtant réjouissant en laissant une petite porte de sortie permettant d'imaginer des jours meilleurs. Sans parler de l'image gelée en guise de dernier plan qui ne veut rien dire. Une goutte d'eau qui ne fait pas déborder le vase.

Crash-test :

21 septembre 2008

Positive attitude

Joli concept que celui dont se gargarisent, depuis le séjour sur le sol français de sa présumée sainteté Benoît XVI, certains des plus érudits potentats de la République : la laïcité positive.

Quelle peut bien être l'intention qui se cache derrière ce tour de passe-passe sémantique, que les gazettes ont été priées de reprendre sans broncher ? Pour y voir plus clair, on peut se souvenir du tout aussi fumeux concept, manipulé avec le même très relatif succès, par les mêmes potentats, de discrimination positive. N'est-ce pas un oxymore que d'ajouter un épithète valorisant à un concept odieux ? Est-ce à dire que, si elle n'est pas positive, alors la laïcité est odieuse ?

Or bien évidemment, par définition, la laïcité est négative, car elle s'est construite historiquement en opposition à une Eglise toute-puissante qui tenait le pays sous sa soutane depuis des siècles. Elle est la négation de l'état de sujétion dans lequel l'Eglise entendait maintenir la France entière. Elle est la négation du rôle politique que nos bons Pères croyaient pouvoir se réserver au nom de leurs ouailles. Et elle n'a pas à s'en excuser.

La laïcité, pas plus que la discrimination, n'a pas besoin de qualificatif. La laïcité est ou n'est pas. Il y a discrimination ou pas. Les nuances ne sont introduites que par les véritables négateurs qui tentent insidieusement de nous faire accepter l'inacceptable.

En poussant plus loin l'exercice, ne pourrait-on parler un jour de dictature positive ? De génocide positif ? De colonisation positive ? Ah ben, je suis bête, ça c'est déjà fait.

Faudrait voir à se calmer, monsieur Siné !

19 septembre 2008

L'aloi des séries

La rentrée télévisuelle s'est bien passée ? Courbet sur France 2, ça le fait bien ? Pour ma part, j'ai décidé de vendre mon poste, ou peut-être même de le donner, vu l'âge canonique du bidule (quatre ans), autant dire la préhistoire de la télévision. Je vous rassure tout de suite, je continue à regarder des conneries, genre les œuvres complètes de Raymond sur TF1, mais grâce à mon ordinateur. Et aussi, grâce à un lien pour ainsi dire télépathique avec les meilleurs diffuseurs US, je me tape de temps en temps quelques séries américaines bonnes ou moins bonnes, dont voici un rapide panorama pour ceux qui auraient envie de se faire leur propre programme, au grand dam des marchands de temps de cerveau disponible.

Pour ceux qui n'auraient pas bien suivi l'évolution à Hollywood, il faut savoir qu'aujourd'hui, en gros, les meilleurs talents, producteurs, scénaristes, techniciens, et même certains acteurs, préfèrent travailler pour la télé, où sont traités des thèmes adultes de plus en plus crus, plutôt que pour le cinéma, ou les âneries adolescentes se succèdent aux bandes-annonces pour pop-corn. Voici donc, en gros ce qu'il faut avoir vu.

Damages.
Glenn Close dans un suspense judiciaire à rebondissements. Le diable en toge de prétoire. Une jeune avocate intègre un prestigieux cabinet d'affaires, pour s'apercevoir que sa si suave patronne la manipule, elle comme tout le monde, au delà de l'entendement. Intrigues alambiquées et retorses, qui ne sont pas sans rappeler la série culte Profit. Treize épisodes haletants pour la première saison, une seconde est dans la boîte.

Weeds.
Déjà la fin de la quatrième saison, la moins bonne, il faut l'avouer, des aventures parfumées de Nancy Botwin. Dans un décor oppressant de suburbia mythique, cette jeune veuve bien comme il faut s'est lancée dans le trafic de beuh pour assurer l'éducation de ses deux fils. Démarrée sur un ton un peu "commentaire social", la série a très vite bifurqué vers la franche comédie. Nancy a désormais un pied au Mexique. ¡Viva Marijuana!

Breaking Bad.
Un minable prof de chimie en Arizona se fait diagnostiquer un cancer en phase terminale. Que faire ? Réponse : des méthamphétamines, le plus possible, le plus vite possible. Sur un thème proche de celui de Weeds, ce qui révèle assez la place que la drogue peut occuper dans la société étasunienne, un traitement très différent, beaucoup plus froid et glaçant, mais non sans humour à même température. Avec le même (délicieux) acteur, Bryan Cranston, la série offre curieusement quelques similarités avec Malcolm in the Middle (voir plus loin), dans son portrait de la famille, thème évidemment central. Sept épisodes dans la première saison, on nous en promet treize dans la seconde.

Californication.
Attention, la deuxième saison va bientôt redémarrer aux Etats-Unis. David Duchovny, des pitoyables X-Files, se refait une réputation d'acteur dans le rôle déjanté de cet écrivain new-yorkais à côté des ses pompes à Los Angeles encore amoureux de son ex-femme. Des gros mots, du cul, de la critique sociale et familiale en veux-tu en voilà. Du rythme, de bons dialogues, ça le fait, comme on dit à Elleh. Un point noir : la seule série qui ait bâclé son générique. Tout pourri.

Dexter.
Michael C. Hall s'était fait un nom avec Six Feet Under. Le revoici en tueur en série par ailleurs expert en traces de sang pour la police scientifique de Miami ! Ça fait beaucoup pour un seul homme. Surtout que son père (adoptif) était policier, et que sa sœur (adoptive) est détective dans le même service. Dexter tueur et homme de loi efface les frontières entre le bien et le mal. Pas une once de vraisemblance bien sûr. Assez jouissif une fois qu'on entre dans le trip. La troisième saison démarre elle aussi bientôt aux Etats-Unis.

Mad Men.
La diffusion de la deuxième saison s'achève en ce moment outre-atlantique. De bonnes critiques, mais grosse déception. Le milieu de la pub à New York au début des années 60. Tout le monde fume, de préférence dans la figure de sa petite amie, tout le monde picole, de préférence au bureau en pinçant les fesses des secrétaires. Passé le soin maniaque à recréer cette époque et tous ses aspects les moins glorieux, passée la tentative d'y chercher les racines de la folie de notre époque à nous, reste une réalisation qui se traîne en longueur. C'est lent, c'est lent, c'est lent, je me suis endormi avant la fin de la première saison.

John Adams.
Mini série historique en sept épisodes. Alors là je manque pas d'air d'en parler vu que je l'ai pas encore vue. Mais bon, les critiques sont dithyrambiques, et avec Paul Giamatti pour incarner le méconnu second président des Etats-Unis, je vois pas comment la mayonnaise aurait pu tourner.

Les Soprano.
Champion toutes catégories. La série qui a changé à jamais la face de la télévision. C'est pas d'actualité brûlante, vu que la sixième et dernière saison s'est achevée en juin 2007. Mais je ne l'ai vue que récemment. Sur le cul. Comment David Chase, le producteur-créateur a réussi à terminer sa série sans à proprement parler la conclure reste un tour de force. Brillant. Rappelons aux largués qu'il s'agit de la saga d'un boss de la mafia du New Jersey, et des ses deux familles, sa femme et ses enfants, et son autre famille. Capisce ?

Malcolm in the Middle.
Pour finir, j'ai presque un peu honte, cette série déjà ancienne qui a tenu sept saisons pour s'achever en 2005, peu diffusée en France, et quasi indisponible en DVD (histoire de droits musicaux). Papa, maman, et leur cinq garçons (pourtant les parents ont la télé) : chronique familiale pas si classique que ça, pas de morale lénifiante à deux cents, un peu les Simpson avec des vrais acteurs. Et c'est pareillement drôle à crever. Presque une famille modèle pour les jeunes pères de famille.

Ne figurent pas à ce catalogue subjectif, Seinfeld, qui vieillit, comme nous tous. Ni Curb Your Enthusiasm, déjà traité. Ni Rome, qui date déjà un peu, mais qui vaut le coup d'œil aussi. Ni Lost parce tout le monde le regarde de toute façon et qu'en ce moment c'est relâche.

Besoin de sous-titres ? SeriesSub.com.

17 septembre 2008

Rhode Movie

Coup de foudre à Rhode Island de Peter Hedges.

Comédie sentimentale américaine. Assemblez ces trois mots, et inexorablement vous connaissez la fin du film : un mariage. Cette fatalité serait assommante si ce film convenu ne savait sublimer un peu sa mièvrerie génétique par une facture de bon aloi, un grand soin apporté aux détails toujours justes, et quelques moments de vraie drôlerie.

Steve Carell et Juliette Binoche en tête, une brochette de comédiens inspirés parviennent à contenir la niaiserie de ce marivaudage : le temps d'un long week-end en famille, un journaliste columnist à domicile, veuf et père de trois adorables fillettes, tombe à l'insu de son plein gré amoureux de la nouvelle conquête de son frère, laquelle le lui rend bien.

Regrettons encore le pitoyable et tristement commercial titre français, à comparer au titre original Dan in Real Life, qui est aussi le titre de la column (le billet éditorial) du héros. D'autant plus comique que rien ne ressemble moins à la vraie vie que ce conte de fées cousu de fil blanc.

Emmenez toute la famille. Mangez du popcorn. Un bon moment à oublier.

Crash-test :

16 septembre 2008

Grenelle, mensonges, et vidéo

Un week-end de Ligue 1 ordinaire : un coup-franc et un pénalty généreusement accordés à l'Olympique Lyonnais face à l'OGC Nice, et le résultat du match s'en trouve quelque peu, comment dire, inversé. Là-dessus, le sang de Muriel Marland-Militello (ne retenez pas son nom), députée UMP des Alpes-Maritimes, ne fait qu'un tour. Elle interpelle le gouvernement pour réclamer, tenez-vous bien : un Grenelle de l'arbitrage ! (Je sais même pas pourquoi je me fatigue à mettre encore une majuscule à "Grenelle" tant l'expression se retrouve à toutes les sauces pour désigner toute réunion de plus de deux personnes à des fins non reproductrices).

Sous-entendu : j'ai bien vu à la télé, y avait pas plus coup-franc que pénalty, l'arbitre aurait du être remplacé par un car-régie ! Sous-entendu : le résultat escompté de ce bon sang de Grenelle de l'arbitrage est de faire en sorte que l'OGC Nice devienne septuple champion de France et que ça saute !

Le débat est donc ouvert : l'arbitrage vidéo dans le foot. Et la position de notre rédaction est ferme : over the dead body de Michel Platini. Et comme je suis pas chiche, je m'en vais même vous expliquer pourquoi.

Ceci n'est pas un pipeau.

Essentiellement, introduire le vidéo-arbitrage ne règlerait pas les problèmes, mais ne ferait que les déplacer. Une image, et notamment une image vidéo, est à la vérité ce qu'un Magritte est à une pipe. Certains cas seraient résolus par la vidéo, d'autres non, et les arguties reprendraient deux yards plus loin, on ne serait pas tellement plus avancés. Coupe du monde 1998, Brésil-Norvège, pénalty : les vingt et quelques caméras placées autour du stade n'ont pas vu ce que seul l'arbitre a vu, à savoir ce joueur norvégien ceinturé dans la surface. La vidéo a parlé : l'arbitre s'est trompé. Le lendemain, une seule caméra mobile de reportage, dans un angle pas possible, a vu l'action comme l'arbitre l'a vue. La vidéo révèle : l'arbitre ne s'est pas trompé. La vidéo, très bien, mais laquelle ?

Ensuite qui va au cours d'un match réclamer la vidéo et à quelle occasion ? L'arbitre ? Les joueurs ? Les entraîneurs ? Et pourquoi pas aussi le public pour rendre le jeu "interactif" ? Autant distribuer directement 80 000 manettes de PlayStation. Déjà si n'importe qui sauf l'arbitre peut demander la vidéo, y a plus besoin de porte-sifflet, un réalisateur de télé (tout aussi incorruptible...) fera très bien l'affaire. Et moi qui croyais qu'on voulait renforcer l'autorité des arbitres. Faudrait savoir. Et puis à quelle occasion la vidéo ? Pour savoir si le ballon est bien entré dans le but ? Pour savoir s'il y a faute dans la surface ? Pour savoir s'il y a faute à 40 mètres des buts (on a déjà vu des coups-francs marqués de plus loin) ? Pour savoir à qui est la touche (on a déjà vu, etc...) ? Dès qu'un joueur touche le ballon ? On en finit pas. Les matches vont durer trois heures. Même si l'arbitre reste maître de la vidéo, la pression sur lui sera telle qu'il sera tenté de se couvrir constamment.

Une nouvelle tenue pour les arbitres.

Derrière tout ça on voit une nouvelle application de l'illusion technologique, qui me désole, et qui consiste à croire que tout ira mieux quand il y aura des machines partout. Déjà je trouve consternant qu'on se soit résolu, comme au dernier Euro, à afficher les images du match en direct sur les écrans géants des stades. Outre qu'en faisant ça on transforme les spectateurs en autant d'arbitres, si on vient au stade, c'est quand même pour voir des vraies gens courir après une vraie baballe, pas pour regarder la télé. On peut faire ça à la maison. Mais la force de l'image animée est telle qu'on ne peut s'empêcher de tourner la tête vers l'écran, comme pour valider la réalité qu'on a pourtant sous les yeux. Comme si l'image vue par le prisme de la vidéo avait plus de réalité que celle transmise par nos seuls yeux, ce qui est une affolante ineptie.

Anecdote : lors des derniers JO, France 2 filmait l'ancien rugbyman Fabien Galthié qui se baladait un peu partout sur les sites olympiques. Invité en tribune de presse, il assiste à la finale du 100 mètres messieurs, en direct dans le stade. Mais que nous montre le reportage ? Galthié, vivant à une place privilégiée un moment d'exception, ne regarde pas les coureurs sur la piste à quelques mètres de lui, mais... l'écran de contrôle des journalistes ! Puis après les dix secondes de course, il relève enfin la tête pour vérifier que la réalité est bien conforme aux images qu'il vient de voir. Au secours ! Mais mon pauvre Fabien fallait rester chez toi regarder la télé et me laisser ta place dans le stade !

On nous dit que l'arbitrage vidéo, ça marche très bien au rugby. C'est pas faux. Mais au rugby, quand il y a un tas de trente joueurs avec le ballon en dessous, on ne saurait dire, arbitre ou pas, où est le ballon là dedans sans la vidéo. C'est uniquement pour valider un essai que la vidéo entre en jeu. Et dans le rugby, un joueur peut se faire exclure dès que le moindre son sort de sa bouche en direction de l'arbitre. Ne parlons pas d'intimidation physique, courante dans le ballon rond. Voilà un rayon où le football ferait bien de balayer devant sa porte avant de songer à saper l'autorité des arbitres en les subordonnant à une machine. Avant d'introduire tout un corpus mal ficelé de nouvelles règles qui seront conspuées et bafouées à peine édictées, peut-être faudrait-t-il d'abord travailler à changer l'état d'esprit du foot, et faire du respect de l'arbitre la pierre de touche de l'édifice.

Tiens, prends ça, sale arbitre !

Même si l'issue du combat est inéluctable, il faut résister le plus longtemps possible pour préserver un sport capable d'inspirer à ses acteurs les plus folles prouesses, comme les pires sottises et les plus funestes erreurs, bref, un sport à dimension humaine. A cet égard, le football tant décrié par ailleurs, et non sans raison, reste une anomalie en période normative. L'arbitrage vidéo finirait de l'asservir aux puissances financières de la télévision. L'accepter, même sous conditions, même uniquement pour les violeurs d'enfants avec actes de barbarie, signifierait le déclin du jeu. Le ver serait dans le fruit, le loup dans la bergerie, et la main de ma sœur dans la culotte de Juninho.

Notez que Muriel Marland-Militello (ne retenez pas son nom), afin de faire croire qu'elle n'est pas en service commandé pour l'OGC Nice, demande au ministre à ce que la vidéo s'applique à tous les sports en France. Ah là, on aurait pas fini de rigoler. On imagine assez bien les parties de pétanque endiablées avec écran géant sur le Vieux port. On imagine surtout la scène à Levallois-Perret ou à Drancy : "Eh, tu viens faire un basket au terrain de quartier ? - Ah ben non, le circuit de surveillance vidéo de la ville est encore en panne !". Une petite partie de fléchettes ? Ah, zut, plus de batterie dans mon caméscope.

Souriez, vous êtes filmés.

En tant que professionnel de la profession (la vidéo, hein, pas le foot) ça me fait d'autant plus mal au derrière. En tant que supporter de Saint-Etienne, je dirais même que ça m'écorche un peu les hémorroïdes, vu que lors de cette même dernière journée de Ligue 1, l'ASSE s'est fait refuser deux buts parfaitement valables par un trio arbitral un peu, comment dirais-je, distrait. Quelqu'un m'a entendu réclamer une commission d'enquête ?

14 septembre 2008

Siné qua non

Vite un petit topo sur le premier numéro de Siné Hebdo, paru le 10 septembre, avant que le second numéro ne paraisse mercredi prochain, et que la routine s'installe.

La routine, on la souhaiterait presque pour ce nouvel hebdomadaire, tant ce premier numéro né dans l'urgence due aux circonstances que l'on sait est un numéro d'exception et à vrai dire un peu décousu. En réalité c'est Delfeil de Ton qui nous donne involontairement la clé dans sa chronique en révélant que Siné a demandé qu'aucune contribution ne dépasse 2500 signes. Résultat : un collage sympathique mais disparate de points de vue et d'opinions, où se retrouvent côte à côte gauchistes, anarchistes, situationnistes, anticapitalistes, trotskystes repentants ou non, et auquel manque cruellement une ligne claire, une intention éditoriale, une identité.


Retenons quelques jolies formules par Guy Bedos ("Guaino, le nègre le mieux traité du pays"), Jackie Berroyer ("Faut-il chaque fois qu'on dit quelque chose, ajouter : ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ?"), Christophe Alévêque ("C'est même plus que la majorité des citoyens a baissé les bras, c'est qu'ils sont soudés au corps"). Et des dessins de certaines signatures parmi les plus prestigieuses qui égaient cette page, encore qu'on aurait pu espérer se plier un peu plus les côtes à la lecture des autres. Et ne comptez pas y trouver trop de Siné : à part la couve, il semblerait que le vieux était trop pris pour en faire beaucoup. Dommage quand le journal porte son nom.


Mais on se demande, malgré l'extrême sympathie que suscite la démarche, ce qui restera une fois que le soufflé sera un peu retombé. Combien de tous ces contributeurs aujourd'hui bénévoles auront la foi du charbonnier pour continuer l'aventure ? Quelle sera surtout l'âme de la publication et sa place dans la presse hebdomadaire ? Parce qu'entre afficher son soutien à Siné, et pleurnicher contre qui vous savez (pour encore quatre ans), on ne voit pas encore très bien le lien qui permettra à Siné Hebdo de se distinguer et de perdurer. Ce qui serait tout le mal qu'on lui souhaite.


Aujourd'hui, malgré la consigne de ne pas piper mot sur Charlie Hebdo et son directeur de la rédaction Philippe Val, on voit surtout une intention en creux : couper l'herbe sous le pied de cette concurrence honnie, en espérant que le diagnostic qui croit Charlie à bout de souffle voit juste. On peut douter que la France soit assez grande pour deux journaux similaires, appelant au même lectorat désormais scindé en deux chapelles. Peut-être si Siné Hebdo parvient à se décrisper et à se dégager de l'esprit de réaction de bêtes traquées qui a présidé à sa création, alors sera-t-il le dernier survivant... C'est un peu Koh Lanta sur Seine.

13 septembre 2008

Bonne fête Momo

C'est pas encore la Sainte-Edvige, mais apparemment, c'est un petit peu la Sainte-Anastasie, en ce moment. Non, je déconne, en vrai c'est la fête à Anastasie tous les jours.

En fait c'est surtout qu'après avoir laissé parler mon cœur dans l'affaire Fouad Mourtada (eh oui, j'en vois plus d'un surpris, c'est comme ça, moi aussi, j'ai un cœur, et qui bat à gauche, encore), je me sens obligé de ne pas passer sous silence cette nouvelle nouvelle consternante qui nous vient du Maroc : un blogueur marocain, Mohamed Erraji, a été condamné lundi à deux ans de prison ferme.

Ça lui apprendra. Ce goujat avait écrit (je cite, qu'on me pardonne, un concurrent gothique du web) : le roi "encourage le peuple à la paresse". Il y critiquait la politique "d'assistanat" pratiquée, selon lui, par le souverain marocain, et citait une anecdote d'après laquelle Mohammed VI, se promenant en ville, aurait fait cadeau d'une "grima" (licence d'exploitation d'un taxi) à un homme qui avait réussi à l'approcher et avait chanté ses louanges. Dénonçant cette attitude "de mendiant implorant la charité du glorieux trône", et l'absence, au Maroc, de "loi égale pour tous", Mohamed Erraji affirmait que ses pairs en sujétion n'avaient plus "qu'à ajourner leurs rêves d'un Maroc de justice et d'égalité des chances". Fin de citation.

Non mais attends ! Et puis quoi encore ? Il voudrait pas aussi un cybercafé en libre-service au palais royal ? Une corne de gazelle offerte à tout visiteur ? Ou des tours de jet-ski gratos avec M6 ? Allez hop, deux ans au frais. T'as trop pas de bol, mon gars, on a fermé Tazmamart. Y a avait pas le wifi.


Et voilà, encore une fois, pas le temps d'écrire ces lignes, Mohamed Erraji est libéré (jeudi dernier) sous caution, et surtout à l'initiative du seul parquet... Qu'on ne t'y reprenne plus mon garçon, rentre chez toi, et attends sagement ta future nouvelle convocation en appel devant notre juste justice, et joue à WoW en attendant. Bon, encore quelqu'un qui moufte dans ce royaume ? On ne compte pas les touristes bien sûr...

Ah, je lis ça, ben voilà, j'ai la barbe qui pousse.

11 septembre 2008

Zapiro, Zuma, et autres zinzins

L'encre de mon billet sur Zapiro n'était pas encore sèche, que l'actualité (sud-africaine) propulsait son nom à la tête des gazettes. A cause de ce dessin paru dimanche dernier dans le Sunday Times au Cap.

Décodage : le président de l'ANC, et probable futur président du pays, Jacob Zuma, se déboutonne et s'apprête à violer une justice plaquée au sol par l'ANC, son organisation de jeunesse, et ses alliés du Parti communiste sudaf, et de la Confédération des syndicats. Zuma est actuellement jugé pour une affaire de corruption dans un contrat d'armement impliquant la société française Thalès, et a été acquitté il y a quelques années dans une affaire de viol. La victime (présumée) étant séropositive, Zuma avait affirmé s'être protégé du HIV en prenant une douche. D'où le pommeau de douche dont Zapiro le coiffe immanquablement.


Qualifiant le dessin de "dégoûtant", les parties concernées, celles qui se sont reconnues ici, hurlent au scandale, à l'abus de liberté de la presse (sic), et pour finir, à court d'arguments, et pour faire bonne mesure puisque Zapiro est blanc, au racisme. Les habituelles voix de la bonne conscience se font entendre pour exiger la tête du caricaturiste. Zapiro a pour l'instant gardé la tête sur épaules, tout comme la direction du Sunday Times (le rédacteur en chef, Mondli Makhanya, est noir). Et j'ai pu retrouver sans peine le dessin sur leur site. Pourvu que ça dure.

Si Zapiro est viré, nul doute qu'il trouvera asile dans Siné-Hebdo.

D'autant que sur la lancée, certains lui reprochent aussi cet autre dessin paru cette semaine dans le Mail&Guardian, où il compare Obama et Zuma, ce dernier discourant dans un stade rempli de ses femmes, ses enfants, et ses avocats...


Rappelons parce que ça ne mange pas de pain que l'une des qualités d'un bon dessin de presse est souvent d'emmerder ou "d'offenser" (rien que cette expression fourre-tout est déjà odieuse) un maximum de gens. Ou sinon, y a Babar.

Nos lecteurs ont du talent : merci à Provisus d'avoir levé ce suricate, et de m'avoir communiqué l'article de Rue89. De bonnes lectures en english : toute l'histoire narrée par l'indispensable Mail&Guardian, et un petit retour en arrière sur les impertinences des cartoonistes sudafs.