28 mars 2011

La rubrique vexillologique

Après quelques années de pénibles tergiversations, donnant lieu à des tentatives graphiques qui rivalisaient de mauvais goût, les autorités provisoires de la Libye libérée du joug kadhafiste viennent de décider l'adoption définitive de nouvelles couleurs nationales, un drapeau tricolore bleu-blanc-rouge d'une élégance impeccable. Pendant qu'ils y étaient, ils ont adopté comme nouvel hymne national Dolce Francia, décalqué de Douce France de Charles Trénet par la sublime et délicate Carla Bruni.


Aux dernières nouvelles, les Bahreinis, les Yéménites, les Syriens, hésiteraient encore à emboîter le pas à ces précurseurs libyens, alors qu'il suffirait de quelques bombes pour les décider.

27 mars 2011

Demi-pinte pygmée

Cheminant de biais dans les circonvolutions distordues de mon cerveau malade, le dernier mot du billet précédent m'a amené, du coq à l'âne, à offrir aux lecteurs de cette cyber gazette superfétatoire le plaisir de revoir l'un des films de Tex Avery que la Warner, détentrice des droits, a scandaleusement cru bon de devoir cacher à la vue du public, pour complaire préventivement à quelques putatifs crétins bien pensants qui n'avaient pourtant pas seulement eu le temps de donner de la voix avant de voir leur plus intimes désirs et leurs plus malsains fantasmes lâchement réalisés.



J'en profite pour signaler que le fameux ouvrage que Patrick Brion avait consacré à Tex Avery en1984, épuisé, a été réédité par le Chêne en 2009, grâce à quoi j'en ai fait l'acquisition à vil prix chez un soldeur des bords de l'Ill. Avis aux amateurs.

26 mars 2011

Girl Power

We Want Sex Equality de Nigel Cole.

Différenciation sexuelle. Dans une lointaine banlieue populaire de Londres, des ouvrières d'une usine Ford, grisées par l'esprit de mai 1968, se mettent en grève pour une poignée de pennies de plus. Se retrouvant à l'avant-garde des luttes sociales, elles finissent par réclamer ni plus ni moins que l'égalité salariale, concept alors exotique, et amènent la direction, le gouvernement, et leurs maris, à résipiscence.

Comme d'habitude, un grand bravo à nos amis distributeurs qui ont traduit en anglais le titre original en anglais, Made in Dagenham, pour un bénéfice escompté inconnu.

Alors bien sûr, cette édifiante comédie sociale, inspirée de faits réels (le générique de fin rend hommage aux véritables ouvrières qui ont servi de modèles), n'est pas exempte d'un certain simplisme. La façon notamment dont sont traités les pouvoirs syndicaux ou politiques peut sembler passablement schématique, pour ne pas dire caricaturale. Voir le fils de l'ouvrière et celui du directeur de l'usine fréquenter la même école peut encore sembler pour le moins surprenant dans l'Angleterre des années 60. Mais ces choix scénaristiques permettent au moins de faire passer clairement le message et de bien identifier les enjeux sociaux, politiques, et donc sexuels, de la lutte de ces dames.

Cole trouve par contre le ton juste dans sa description de la classe ouvrière, en empathie avec ses personnages, servi par des interprètes remarquables, au premier rang desquels Sally Hawkins. L'actrice n'est pas vraiment une bombe sexuelle hollywoodienne, mais sa personnalité et son charme crèvent l'écran et portent le film. Il en résulte une comédie à la fois populaire et intelligente, d'où l'émotion n'est pas absente, comme dans ce discours que fait l'héroïne devant le congrès de la centrale syndicale, qui n'est pas sans rappeler celui du chef d'orchestre dans Les virtuoses.

L'émancipation de la femme britannique devait paradoxalement culminer quelques années plus tard avec l'élection au poste de premier ministre de la très conservatrice Margaret Thatcher, cauchemar des syndicats, et qui elle non plus n'avait rien d'une demi-pinte.

Crash-test :

21 mars 2011

Méditez l'impartial message

Brassens ou la liberté, exposition à la Cité de la musique de la Villette à Paris jusqu'au 21 août.

Tellement j'ai le bras long dans l'élite des milieux culturels parisiens, que je faisais partie des VIP invités à se goberger d'onéreux petits fours au vernissage de la nouvelle expo temporaire à sensation de la Cité de la musique. La foule compacte se pressant devant les cimaises avec l'enthousiasme d'un lâcher de neutrons à Fukushima, il fut bien difficile de distinguer calmement tout l'intérêt des pièces présentées, ou de disputer un casque audio à la meute pour goûter méditativement les extraits musicaux offerts à nos oreilles. Tout laisse à penser toutefois que la collection rassemblée à la vue du public, incluant certains documents privés oubliés et retrouvés miraculeusement lors de l'élaboration de l'exposition a tout pour ravir les fans de Georges, dont je ne suis pas loin de faire partie, en dépit de mon assez large ignorance de pans entiers de son œuvre comme de sa vie. Une lacune que je comblerai peut-être en retournant malgré tout visiter l'expo aux heures creuses.

Margré tout, dis-je, car il faut bien avouer que cette exposition, officiellement consacrée à Brassens, et dirigée par un duo de commissaires, semble du début à la fin hurler le nom du second d'entre eux de façon assourdissante : Sfar ! Sfar ! SFAR ! SFAR !!! Pas un objet, pas une pièce présentée, qui ne souffre la présence d'un envahissant dispositif graphique signé Sfar, dans le but évident de les reléguer au second plan.

Plus dérangeant encore, on voit accrochés sous cadres des tirages numériques de dessins de Joann Sfar, pas même identifiés comme tels, mêlés à des documents originaux, photographies, textes, pages de carnets, pochettes de disques, estampillés Brassens. Des dessins issus de pas moins de deux ouvrages que Sfar publie opportunément et simultanément chez Dargaud et Gallimard. On en retire parfois l'impression étrange que l'exposition est conçue comme un dispositif publicitaire pour ces parutions.

Il ne manque que le son.

On se demande si les initiateurs de l'exposition à la Cité de la musique ont pu un instant escompter que la rencontre de Sfar et Brassens allait produire des étincelles, et que le talent de narrateur graphique du premier s'effacerait derrière l'œuvre du second. De ce côté là, c'est raté. On les soupçonne plus volontiers d'avoir fait appel au dessinateur comme on s'associerait à une marque, espérant qu'un petit peu de la gloire de Sfar rejaillirait sur Brassens, pour en retirer des bénéfices en termes de retombées médiatiques et de fréquentation, objectifs un peu commerciaux pour une institution publique pourrait-on faire mine de s'étonner. Pour ça ils n'ont pas dû être déçus, tant le résultat dépasse leurs plus folles espérances : une exposition Sfar avec des petits morceaux de Brassens dedans, encensée par la presse unanime, étalage d'immodestie qui confine à l'obscénité, et plonge le visiteur dans un malaise qui, lui, confine à la nausée.

Après avoir phagocyté au service de son immensité des génies (ou supposés tels) patentés officiellement consensuels non segmentants comme Gainsbourg, Saint-Exupéry, Chagall, on se demande qui Sfar va bien pouvoir ajouter à la liste croissante de ses défunts faire-valoir. Peut-être même que s'ils ne mouraient plus, Sfar crèverait de faim sur son talus.

20 mars 2011

I grec

L'heure est grave. Le conseil de sécurité de l'ONU vient de voter une nouvelle résolution, autorisant les états membres à intervenir par tous moyens pour la faire respecter. En vertu de quoi, toute personne qui s'obstinerait à écrire Lybie en lieu et place de Libye s'exposera à des représailles massives de la part de la communauté internationale, y compris des frappes aériennes, y compris non chirurgicales.

La sauvegarde de l'orthographe française est à ce prix, et les pertes de vie éventuelles qui ne manqueraient pas de découler de l'application stricte de cette résolution pèseront bien peu en regard du bénéfice qu'en tirera la postérité reconnaissante.

Cliquer sur la carte pour mieux comprendre la situation.

15 mars 2011

Cause toujours

Le discours d'un roi de Tom Hooper.

Orthophonie antipodique. Entre les deux guerres mondiales, l'héritier au trône d'Angleterre est affligé d'un terrible bégaiement, résultat d'une éducation répressive. Le futur monarque entreprend d'améliorer son élocution sous la direction d'un spécialiste auto-proclamé aussi australien que non-conventionnel. Grâce à quoi le nouveau roi George VI évite de faire rigoler l'empire au moment d'annoncer son entrée en guerre à la radio. Ouf.

Difficile de trouver à redire quoi que ce soit à redire à ce beau film basé sur un recoin méconnu mais véridique de l'histoire officielle. L'interprétation est effectivement remarquable, qui a valu un Oscar® à Colin Firth, alors que face à lui Geoffrey Rush est plus épatant encore. On admire surtout le travail conjoint du décorateur et du directeur photo qui réussissent de délicieuses compositions graphiques incluant notamment des motifs de papiers peints assez incroyables.

Pourtant cette belle histoire édifiante de héros courageux qui triomphe du handicap à force de volonté paraît surtout très attendue, quasi lénifiante. Elle est de plus servie de façon très académique, presque un peu désuète : le film aurait tout aussi bien pu être tourné à l'époque de son sujet, les années 30, il n'en aurait pas été formellement très différent, la couleur mise à part. Il n'est pas exclu que ce fût précisément le but des auteurs, auquel cas il faut saluer leur réussite.

Crash-test :

13 mars 2011

La cité merveilleuse

Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter.

Tourisme sexuel. Expatriés à Rio, une chirurgienne esthétique anglaise, la meilleure du monde car elle n'opère jamais personne, un ambassadeur étasunien en cavale, une tribu indienne amazonienne téléphage, et un couple de Français, font l'expérience de certaines réalités du Brésil, où l'énergie sexuelle semble être le principal moteur de la société. Les Cariocas ne pensent qu'à ça, ce qui n'a pas l'air de fortement défriser les touristes.

Le réalisateur Jonathan Nossiter restera pour toujours comme l'auteur de Mondovino, le fameux documentaire sur le vin, l'un des films les plus intelligents que j'aie jamais vus, raison suffisante pour s'intéresser à sa nouvelle fiction. Nossiter, américain polyglotte éduqué en Europe, avance en terrain connu, puisqu'il réside lui-même à Rio. Il tire ainsi le portrait de sa ville, avec un scénario à personnages et entrées multiples, qui lui permet d'aborder des questions graves de façon légère. Mais malgré sa mise en scène très libre et enjouée, flirtant sans cesse avec le documentaire, sa façon ironique de briser les clichés pour mieux en jouer n'est pas exempte d'un certain narcissisme cinématographique où l'auteur se regarde filmer avec satisfaction et semble oublier un peu en cours de route aussi bien son propos que ses spectateurs.

Carte postale ou anti-carte postale, le film de Nossiter est aussi rafraîchissant qu'un coco frio sur la plage de Copacabana, et aussi vite digéré.

Crash-test :

10 mars 2011

Un cran en dessous

True Grit d'Ethan et Joel Coen.

A l'ouest du western. Héritant quelques sous de son père mort bêtement assassiné, une gamine fraîchement pubère qui n'a pas froid aux yeux embauche un vieux marshal aussi borgne qu'alcoolique pour aller courser le coupable en territoire indien. Patelin sans foi ni loi, trognes patibulaires, coyotes à foie jaune, bivouacs au clair de lune, cavalcades, fusillades, collection de macchabées, l'aventure se paiera bien un jour, j'en mettrais ma main à couper.

Le titre énigmatique de ce film, adapté d'un roman du même nom, aura donné un peu de fil à retordre aux meilleurs anglicistes du Bourget. Grit désignant au sens propre un gravier très fin, une poussière minérale abrasive, et au sens figuré le cran dont peut faire preuve un caractère obstiné. Qualité du vieux marshal qui force l'admiration de la jeune fille, laquelle s'avèrera en être tout autant pourvue.

Le western ayant à peu de choses près le même âge que le cinématographe, les frères Coen ont dû juger indispensable de s'y frotter pour conquérir quelques galons supplémentaires à leurs épaulettes de cinéastes. On ne disputera pas leur capacité à digérer et régurgiter leur science du genre pour en faire un traitement à la fois moderne et fidèle à l'époque du sujet, reconstitution historique esthétiquement inspirée, en recyclant certaines des figures de style qui peuplent les westerns, le tribunal, la pendaison, la poursuite, le concours de tir, le duel, le sauvetage de vie. Mais finalement on les sent plus contraints que stimulés par cet exercice de style, plaisant à regarder quoique parfois un peu longuettement dialogué. Et il devient difficile d'y trouver la suggestion ironique du malaise existentiel qui fait leur marque de fabrique habituelle, au point qu'on se demande même au fond ce qu'ils ont bien voulu nous raconter.

Malgré une excellente interprétation, Jeff Bridges en vieux bougon, Matt Damon en matamore texan, et surtout la jeune et remarquable Hailee Steinfeld, on finit par se désintéresser des personnages, dont on se prend à espérer que leur destin s'accomplisse au plus vite tant il devient de plus en plus transparent.

Les meilleurs moments se situent en fait au début, quand la gamine arrive en ville pour régler l'inhumation de son père, solder les finances du défunt, avec l'idée en tête de le venger par tous moyens légaux. La scène ou elle marchande le prix d'un cheval et d'une selle est un morceau d'anthologie. Le seul du film malheureusement.

Crash-test :Lire aussi l'avis d'un cinéphile orléanais.

6 mars 2011

La nuit des crash-test Dummies® 2011

Eh bien dites donc, rarement cérémonie de remise de trophée aura provoqué un enthousiasme populaire aussi indescriptible ! Mon carnet à souches est resté quasi inviolé. La machine à popcorn n'a même pas été branchée. L'ouvreuse a filé un bas. C'est bien simple, j'ai dû congédier l'imposant service d'ordre, leur filer à chacun un ticket restaurant, et les envoyer se régaler au kebab L'étoile d'Istanbul, le meilleur restaurant du Bourget. Il en faudrait davantage pour doucher notre enthousiasme, aussi ai-je le plaisir de révéler le nom du lauréat du Dummy® d'or 2011, désigné à l'unanimité du jury :

Very cold trip de Dome Karukoski.

C'est pas si souvent qu'un film finlandais parvient sur nos écrans, surtout depuis que Kaurismäki l'a mise en veilleuse Pourquoi bouder sa joie ?

Comme d'habitude mon choix personnel n'est pas entré en ligne de compte, mais j'en tenais plutôt pour le brillantissime Ghost Writer de Roman Polanski. Un film avec rien à jeter dedans, c'est assez rare.

Restez tout de même après le générique de fin pour notre supplément gratuit.

Supplément gratuit

Avec le vrai titre en finnois.

1 mars 2011

Clones tristes

Never Let Me Go de Mark Romanek.

Le meilleur des mondes. Dans une terrifiante uchronie qui court des années 50 à 90 du siècle dernier, l'humanité a vaincu les maladies, et porté l'espérance de vie au-delà de cent ans. Alors qui sont donc ces enfants élevés dans de jolis pensionnats, coupés du monde extérieur, et qui semblent résignés à accepter un destin auquel ils comprennent bien peu ?

Le film est adapté d'un roman de l'auteur anglais (comme son nom ne l'indique pas) Kazuo Ishiguro (Les vestiges du jour). L'astuce majeure du roman d'Ishiguro (traduit en français par Auprès de moi toujours, que je m'empresserai de lire dès que possible), également au centre du film, est d'avoir choisi non pas de nous projeter dans le futur pour nous parler d'un monde à venir, mais de nous ramener à une époque fraîchement révolue, quasi contemporaine, qui nous place directement au cœur du sujet, comme si les événements auquel le récit fait allusion avaient pu déjà avoir lieu à notre insu. On y voit des avancées scientifiques se faire au prix d'une régression morale sans précédent, ce qui donne à réfléchir puissamment sur le coût civilisationnel de changements qui nous sont présentées comme autant de progrès per se, et imposés sans débat pour cette raison. Ce faisant, le film interroge subtilement notre propre indifférence, notre propre résignation, notre propre responsabilité face aux évolutions de notre société actuelle et leurs conséquences, qu'il s'agisse de sciences de la vie, de nanotechologie, ou de l'emprise technologique globale qui s'impose partout.

Car ce qui est effrayant dans le récit qui nous est fait, ce n'est pas une débauche d'hémoglobine, ou un suspense savamment ménagé, souligné de puissants effets sonores, mais c'est au contraire cette banalité glacée de l'horreur. Promis à une mort inéluctable, les personnages ne se rebellent pas, ne critiquent rien, ne questionnent même pas. Ils subissent sans broncher leur mise à l'écart, puis leur mise au rancart, encaissant avec une aimable tristesse les rares marques de commisération qui leur sont adressées. Comble du totalitarisme, ils approuvent la fin qui leur est réservée, et apportent même leur concours actif à sa mise en œuvre.

Prenant toute la mesure de la cruauté barbare son sujet, Romanek fait une mise en scène à la fois froide et délicate, aux antipodes du spectaculaire et tapageur The Island sur un thème proche. Il ne dévoile que très progressivement le mystère de ces êtres à part, instillant graduellement le malaise, jouant sur le contraste entre l'abjection de ce qu'on découvre, et l'extrême douceur avec laquelle elle nous est présentée. Difficile de rester indifférent.

Crash-test :