24 décembre 2011

Le cauchemar avant Noël

Mission : Noël - Les Aventures de la famille Noël de Sarah Smith.

Décompte de Noël. Pendant la nuit de Noël, la petite entreprise familiale du Père Noël, devenue un conglomérat du cadeau à la pointe du progrès, commet une légère bévue, due à un excès de technologie : une enfant a été oubliée à l'issue de l'impressionnante tournée de livraison. Le plus maladroit des fils du Père Noël va s'allier à son grand-père gâteux pour sauver la mise, à l'ancienne, en traîneau, sans GPS.

On comprend dès l'argument le propos subtil du film : c'était mieux avant, et toute cette technologie envahissante, ce culte de l'efficacité, l'objectif zéro défaut, sont autant d'excès qui nuisent à l'esprit de Noël, cher aux anglo-saxons. Pas d'une finesse absolue, ni d'une grande originalité, mais soit, on on peut simplifier pour des enfants. Malheureusement, l'animation et la réalisation ont beau être honnêtes, ils sont surtout aussi convenus que le propos : les gags s'enchaînent sans surprise, l'armée des elfes reste un magma indistinct, et les trois générations de pères Noël tendent à diluer la fonction. Seule la fin, avec la passation de pouvoir au fils nigaud mais au grand cœur, ménage enfin un peu d'émotion.

On se demande surtout quelle cible ce film vise vraiment : des très jeunes enfants qui croient au gros bonhomme rouge, auquel cas le film va leur paraître bien brutal et confus ? Ou des plus grands qui se moquent du Père Noël mais sont trop occupés à jouer avec leur DS pour entendre un début de critique sociale ? En tout cas pour les adultes, la magie n'opère plus.

Crash-test :

23 décembre 2011

Esquimaux givrés

On The Ice d'Andrew Okpeaha MacLean.

Du sang sur la banquise. Partis chasser le phoque à trois, des ados un peu paumés en Alaska reviennent à deux, après un tragique mais inavouable accident. La culpabilité du drame sera comme une patate chaude que se refilent les survivants, sans parvenir à faire fondre la glace.

En basant son récit dans la petite ville arctique de Barrow, qu'il connaît bien pour y avoir grandi, MacLean donne une tonalité autobiographique et quasi documentaire à sa description d'une communauté aléoute contemporaine. On y voit une jeunesse étasunienne plus désorientée encore que la moyenne, car souffrant d'un certain décalage entre ses rêves de modernité et son mode de vie d'inspiration traditionnelle, perverti par l'alcool, la drogue, et le rap. Mais le film n'arrive guère à concilier chronique sociale, étude de caractère, et mystère criminel, roulés ensemble dans la même peau de phoque.

On peut surtout s'étonner que le réalisateur ait noyé la quasi totalité de son film dans une musique lancinante et pesante qui recouvre le silence ouaté des paysages de neige, et empêche les spectateurs de respirer à pleins poumons l'air glacial de cette histoire.

Crash-test :

22 décembre 2011

Bœuf tropical : mise à jour

Musiques créoles, collectif.

Aux dernières nouvelles, cet indispensable florilège exotique de bandes dessinées musicales de l'océan Indien, au prix modique sans commune mesure avec le plaisir qu'il procure à ses lecteurs, est désormais disponible en France hexagonale, et ailleurs, grâce à la magie d'internet. On peut maintenant le commander ici, sans trop d'espoir toutefois d'être livre avant Noël 2011. Mais bon, il y a toujours les étrennes.

21 décembre 2011

Les enfants d'Hergé

Les aventures de Jo, Zette et Jocko d'Hergé.

C'est la face cachée de l'œuvre d'Hergé, qui n'a bien sûr pas la portée métaphysique de Tintin, mais qui pour autant ne mérite pas tout à fait l'obscurité à laquelle elle semble condamnée, et d'où cette réédition parue en 2008 tente - en vain ? - de l'extraire. A moins bien sûr qu'il ne s'agisse d'une nouvelle tentative de convertir le simple nom d'Hergé en bon gros euros sonnants et trébuchants, mais qui pourrait raisonnablement en soupçonner Casterman ?

Commençons par noter que pour pour une intégrale un rien onéreuse, il y a une sacrée belle coquille page 262 où le calque du texte anglais s'est subrepticement glissé à la place du texte français dans la bulle de l'une des cases. Franchement ça la fiche mal. De là à accréditer la théorie que Casterman ferait le boulot à la va-vite pour convertir... gnagnagna... etc... Et cette coquille est bien dommage car l'objet, ramassé et compact, est bien pratique et agréable à lire à défaut de déborder du charme désuet des rééditions en fac-similé.



La série fut créée en 1936 pour répondre à la demande du magazine catholique Cœurs vaillants, qui voulait des petits héros issus, pas comme cet imbécile hors sol de Tintin, d'une vraie famille avec un vrai papa qui travaille vraiment dans un boulot vachement intéressant et une vraie maman qui fout rien.


Malgré ces funestes prolégomènes, Hergé (et ses assistants) sut faire de cette série de cinq titres une bande dessinée marquée par l'extrême fantaisie d'aventures picaresques mâtinées de scientisme aptes à saisir l'imagination des enfants. Plus abouti, plus mûr, mieux construit, le dernier album, La vallée des cobras, rappelle étrangement le Tigre du Bengale de Fritz Lang. Affranchi de ses obligations par le succès de Tintin, Hergé finit par perdre tout intérêt et renoncer à cette série secondaire après ce titre.


Il est piquant de remarquer que pendant que certains s'échinent, avides de publicité, à faire interdire Tintin au Congo, Jo, Zette et Jocko continuent en toute impunité à trôner dans les rayons des librairies pour la jeunesse, alors que les petits nègres cannibales n'y sont pas beaucoup plus avantageusement dépeints. Pourvu que ça dure...

19 décembre 2011

La fée électricité

Oh my god ! de Tanya Wexler.

Y a pas de mal à se faire du bien. A la fin du XIXème siècle à Londres, un jeune médecin qui traite l'hystérie féminine à la force du poignet soulage ses crampes grâce à l'électricité en inventant le vibromasseur. Un bienfaiteur de la moitié au moins de l'humanité.


Le spectateur est averti en préambule que cette histoire invraisemblable est tirée de faits réels. Elle renvoie à une époque pas si lointaine où la médecine apportait volontiers son concours à la castration sociale des femmes, taxant d'hystérie toute bouffée de chaleur ou tout comportement menaçant pour le mâle dominant. Ce film au sujet original, quoique de facture très classique, appuie (contrairement à son héros) là où ça fait mal, mettant en évidence comment le contrôle de la sexualité féminine est éminemment politique, sous couvert d'une comédie flegmatiquement britannique et diablement efficace.

Le film souligne ainsi le paradoxe de cette société victorienne, patriarcale et machiste sans l'assumer, dirigée par une souveraine élevée au rang de demi-déesse. Mais la reine saura bien se sauver elle-même sans l'aide de Dieu.

Plaignons-nous une fois encore de l'ineptie coupable des distributeurs français qui ont affligé ce bon film d'un titre pitoyable dans le franglais à deux pennies dont ils ont le secret. Le titre original était bref et concis : Hysteria. Etymologiquement : l'utérus...

Crash-test :

18 décembre 2011

Cesaria

Imbibée de whisky, la plus belle chanteuse du monde.

17 décembre 2011

Tristes tropiques

Rhum express de Bruce Robinson.

Ne visitez pas Porto Rico. Débarquant dans la colonie étasunienne des Caraïbes, un jeune reporter traîne ses guêtres, boit du rhum, fait de vagues rencontres, ne comprend pas grand chose à rien. Passionnant...


Aveuglé par sa passion pour le journaliste et écrivain Hunter S. Thompson, qui a servi de modèle, Johnny Depp s'est égaré dans ce film qu'on croirait réalisé par un (mauvais) scénariste qui n'entrave rien à l'image et au cinéma en général. Pas une idée ne surnage pendant les 120 minutes (de trop) que ça dure. Les personnages n'ont ni épaisseur ni cohérence, le film ne raconte rien d'intelligible, il ne s'y passe pas grand chose et ce pas grand chose ne fonctionne pas. En fait de rhum, il ne distille à flot continu que de l'ennui du plus fort titre. Si on en retirait toutes les scènes inutiles ou mal ficelées, on se retrouverait avec les génériques début et fin, dont l'utilité à son tour pourrait sembler discutable.

On peut par contre être amené à réfléchir sur la somme de promotion et de marketing qui a accompagné la sortie de ce, euh, comment dire, film ? Une montagne de brouhaha médiatique capitalisant sur la notoriété de la tête d'affiche, pour accoucher d'une souris qui ne vaut pas tripette.

Mais qui donc est ce Bruce Robinson qui signe ce semblant de film ? A la surprise générale, et celle de notre rédaction, il fut l'auteur en 1987 d'une savoureuses comédie autobiographique culte, notamment au Royaume-Uni, qui narrait avec un subtil mélange de verve et de morgue les malheurs d'une jeunesse aussi déshéritée que désabusée, Withail et moi. Il est donc des bouteilles qui vieillissent bien mal.

Crash-test :

15 décembre 2011

Laissez tomber les petits papiers

Après L'Aurore, Le Matin de Paris, Le Quotidien de Paris, les éphémères La Truffe et Infomatin, on déplore le décès hier d'un nouveau quotidien français. France Soir disparaît des kiosques. On pourrait se réjouir de la disparition d'un journal devenu crypto-nazi entre les mains de son dernier propriétaire, le mystérieux fils d'oligarque russe Alexandre Pougatchev, mais on n'en fera rien car, même s'il n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait été, France Soir restait un monument du paysage médiatique, qui avait révolutionné le journalisme français dans les années 50 sous la houlette de Pierre Lazareff, avec un tirage qui flirta à certains moments avec les deux millions d'exemplaires dans une France de 50 millions d"habitants..

Parmi les survivants qui suivent le cortège funéraire, personne n'ose se réjouir non plus, tant on se dévisage du coin de l'œil pour savoir qui sera le prochain sur la liste des chers disparus. Car si France Soir doit ses malheurs en grande part à des années de management erratique, c'est aussi qu'il n'a pas su se réinventer au moment où la presse entame une phase de mutation technologique qui rebat les cartes du grand jeu de l'information dans le monde entier, et qui risque de laisser quelques autres cadavres laminés par les rotatives, en France et ailleurs.

C'est pur jésuitisme que de croire aux déclarations du propriétaire qui clame que son titre va survivre sur le net. France Soir est mort, buvons un coup à sa santé.

On peut quand même encore rire (jaune) en se souvenant de la campagne de publicité qui avait accompagné la pénultième tentative de relance en mars 2010, un oxymore temporel de toute beauté : France Soir, chaque matin !

14 décembre 2011

Le garçon au pyjama rayé

New York en Pyjamarama de Michaël Leblond et Frédérique Bertrand.

Parmi toutes les merveilles qu'on pouvait découvrir au récent Salon du livre jeunesse de Montreuil, voilà un ouvrage qui sort spectaculairement de l'ordinaire, du genre qu'on est pas près de trouver en version Kindle.

Il a été conçu et réalisé par l'illustratrice Frédérique Bertrand, dont on avait pu précédemment admirer l'astucieux Ding dang dong chez Memo, et Michaël Leblond, qui a remis au goût du jour une ancienne technique japonaise d’animation : l’ombro-cinéma, qui permet par le truchement d'un transparent finement rayé, de donner vie comme par magie à des pages de dessin, en l'occurrence les visions d'un petit garçon en pyjama qui ne veut pas dormir et qui voyage dans un New York de rêve.


Le résultat est proprement stupéfiant, et fascine des heures durant les plus petits comme les grands. Le mieux, c'est encore de voir comment ça bouge.



Avant même de savoir que le livre allait être un immense succès, les éditions du Rouergue avaient programmé une suite, Luna Parc en Pyjamarama, qui doit sortir en mars prochain. On a hâte d'y être déjà.

13 décembre 2011

Fils de pub

C'est un "artiste de rue" (l'expression laisse beaucoup à désirer) anglais qui se fait connaître sous le nom d'Eyesaw, la "scie à yeux". Dans l'esprit des casseurs de pub français, il se spécialise dans le vandalisme sournois des magnifiques affiches publicitaires que le capitalisme aime à placarder sur les abribus des villes pour nous inciter, Dieu seul sait pourquoi, à acheter des produits trop chers dont personne n'a besoin.


C'est efficace et rigolo. Combien de temps Eyesaw continuera-t-il à faire ce travail de fou, récompensé par quelques heures de gloire anonyme, avant de se retrouver en galerie pour pouvoir s'acheter plein de produits trop chers dont il se passe très bien aujourd'hui ? En attendant, joyeux Noël de la part d'Eyesaw !

12 décembre 2011

Fahrenheit 452

Voilà quelques jours à la une du New Yorker, le magazine chicos de la capitale du monde, Daniel Clowes lançait un avertissement un rien désabusé à tous les insensés (ou les imbéciles) qui voudraient aujourd'hui se lancer dans la librairie (voire l'édition). Un dessin qui a tapé dans l'œil de notre rédaction, et qui fait tristement écho à un écho récemment publié ici même.

11 décembre 2011

Quadrille

Carnage de Roman Polanski.

L'enfer, c'est les autres. Réunis dans un appartement new yorkais pour aplanir un différend violent qui a opposé leurs enfants, deux couples pleins de bonnes intentions oublient progressivement toute politesse ou convention sociale et s'envoient à la figure les vérités qui ne sont pas bonnes à dire, chacun n'oubliant pas de passer au lance-flammes son propre conjoint.

Inspiré d'une pièce de théâtre de Yasmina Reza, ce huis clos donne corps à quelques fantasmes sociaux courants comme le vomi sur la table du salon des pédants, ou le téléphone du téléphoniste compulsif jeté dans l'eau des fleurs, qui ont traversé l'esprit de tout un chacun. Polanski y aura opportunément trouvé de quoi conforter son dégoût purulent de l'humanité qu'il cultivait alors au fond d'un cachot suisse. Mais malgré l'admiration que suscite la construction psychologique parfaitement maîtrisée, où il est bien difficile de repérer à quel moment les bornes de l'irrationnel sont franchies, malgré la qualité du quatuor d'interprètes, malgré les moments de franche rigolade que provoque ce jeu de massacre, on serait bien en peine de deviner exactement de quoi le film parle au fond.

Au delà de la critique assez convenue des hypocrisies bourgeoises, où donc Reza et Polanski auront-ils voulu nous emmener ? Les spectateurs ne le sauront jamais. Ça se termine d'un coup, abrupt, sans qu'on sache bien ni comment ni pourquoi, au point qu'on se demande si ce n'est pas simplement le stylo du scénariste qui est tombé en panne d'encre quelques pages avant la conclusion, l'inhabituelle brièveté du film pouvant paraître accréditer cette thèse.

Crash-test :

10 décembre 2011

Le fjord de la plata

On sait depuis cette semaine à quels sommets de xénophobie nauséabonde on peut atteindre en imitant l'accent à couper au couteau des Norvégiennes. Il n'est décidément pas bienvenu de moquer les Norvégiennes et leur accent. Les Argentins, par contre, on peut.

9 décembre 2011

Répétition d'orchestre

Musiques créoles, collectif.

Après un premier ouvrage collectif consacré à la gastronomie, Marmites créoles, paru en début d'année, le Cri du Margouillat (de la Réunion) récidive opportunément à l'approche des fêtes de fin d'année avec cet album de bandes dessinées qui rassemble quatorze histoires courtes signées des plus grands talents de la Réunion et de l'océan Indien.

C'est avec son habituelle modestie que l'auteur de ces lignes se croit contraint de mentionner sa participation à ce volume par ailleurs remarquablement maquetté. Les célèbres personnages de Coco et Bwana se retrouvent en effet dans une mince historiette comiquement titrée Disque d'or, signée Hobopok, lequel auteur a également servi comme scénariste pour une désopilante narration d'un concert des Beatles à la Réunion qui n'a jamais eu lieu, introduisant (si l'on ose écrire) les savoureux personnages de Chouchou et Chouchou, chochottes tropicales dessinées par la talentueuse Crainte.


Deux dessinateurs qui ne brillent pas par leur traitement de la perspective.


Aux dernières nouvelles, cet indispensable florilège exotique, au prix modique sans commune mesure avec le plaisir qu'il procure à ses lecteurs, n'est pas disponible en France hexagonale. Mais plutôt que de se lamenter en maudissant l'histoire et la géographie, on peut toujours tenter sa chance en contactant l'éditeur ici.

Et pour finir en beauté un dernier dessin signé Grégoire Loyau :

8 décembre 2011

Un fauteuil pour deux

Intouchables d'Olivier Nakache et Eric Toledano.

La tête et les jambes. Un richissime tétraplégique roulant carrosse embauche un repris de justice banlieusard en tant qu'aide de vie. Comme de juste, les deux vont s'entendre comme larrons en foire pour faire fi des préjugés.

Encore une comédie franchouillarde qui casse la baraque en recyclant de vieilles recettes éculées, en capitalisant sur de numéros de cabotinage éhonté, en flattant les plus bas instincts du spectateur ? Eh bien non, pour une fois, voici un film qui rencontre du succès et qui le mérite, à la stupéfaction générale, à commencer par celle de la rédaction de cette cyber gazette, qui a pourtant vu suffisamment de daubes pour en reconnaître immanquablement l'indigeste fumet . Et effectivement, le film des deux réalisateurs, Nakache et Toledano, manque tellement peu d'atouts, qu'on peut sans risquer de se tromper le ranger au rayon pas si garni du cinéma populaire de qualité, ce label français que le monde entier nous envie.

La principale prouesse aura été de réussir à faire rire de sujets éminemment casse-gueule, le handicap, le racisme, la banlieue, en dépassant (ou presque) tous les clichés, en se moquant de la pitié et du misérabilisme, sur un ton corrosif et désinhibé à rebrousse-poil de tous les lénifiants discours politiquement corrects qui emplissent les autres salles de cinéma. On rit d'ailleurs assez rarement à gorge déployée, tant les effets comiques, même s'ils sont parfois un peu attendus, restent assez retenus et ne sont jamais surjoués, s'effaçant surtout derrière la justesse et l'intelligence du propos.

Evidemment, le ressort de l'opposition entre deux caractères que tout oppose n'est pas d'une franche nouveauté, évidemment l'aperçu fugitif donné de la banlieue aligne quelques poncifs, mais tout s'oublie par la grâce notamment d'une interprétation impeccable, François Cluzet cloué sur un fauteuil qui cligne des yeux comme personne, et Omar Sy aussi ébahi que son personnage de se retrouver là où il est.

Il faut d'ailleurs souligner comment ce film met en avant un héros noir. Quand déjà un film français avait-il mis à l'affiche un héros noir avec succès ? Lucien Jean-Baptiste s'y était cassé les dents, c'est aujourd'hui chose faite, sans qu'on sache s'il faut enfin se réjouir, ou se lamenter du temps qu'il aura fallu attendre, ce qui ne dit rien de très positif sur notre société multiraciale.

Enfin félicitons chaleureusement les réalisateurs d'avoir fait un film qui parle de banlieue sans nous infliger une seule note de rap. C'est peut-être le vrai secret du mystère de son incroyable succès.

Crash-test :

26 novembre 2011

American graffiti

On rigole bien à Sofia, capitale de la Bulgarie. Des plaisantins ont cette semaine repeint à leur (mauvais) goût le monument à l'Armée rouge, que les Bulgares, soit par respect pour leur tumultueuse histoire, soit par économie, n'ont pas encore pris la peine de déboulonner. En quelques coups de pinceaux, les héros réalistes socialistes se sont transformés en icônes de l'impérialisme étasunien, super héros ou mascottes de multinationales.


La blague n'eut qu'un temps, car les couleurs étant lavables, elles furent promptement lavées par les autorités, qui pas davantage en Bulgarie qu'ailleurs, n'aiment qu'on se paie leur fiole.

Sans forcément aller chercher très loin une signification profonde au message délivré, critique du consumérisme, totalitarisme du capitalisme, résistance à toute invasion étrangère, on peut tout de même admirer le toupet de ces humoristes bulgares. A quand les Rude de l'Arc de triomphe transformés en Schtroumpfs ? Bah, en attendant, on peut toujours aller faire griller des merguez sur la flamme du soldat inconnu.

17 novembre 2011

La ligne confuse

Les aventures de Tintin : Le secret de la Licorne de Steven Spielberg.

Contrefaçon hollywoodienne. Un jeune reporter à houpette achète une maquette de bateau, se fait enlever, rencontre un vieux marin alcoolique, supporte le récital d'une stridente cantatrice, défait ses ennemis, retrouve son portefeuille, perce un mystère, trouve un trésor, le tout à 200 à l'heure.

Difficile de reconnaître Tintin et les autres personnages issus des bandes dessinées au delà des oripeaux empruntés aux créations d'Hergé. Spielberg, qui a au passage l'immodestie de prêter ses traits au personnage de Sakharine/Rackham le Rouge, commet un prévisible contresens dans son interprétation, en transformant le héros universel des jeunes de 7 à 77 ans en tête d'affiche pour jeunes Californiens de 7 à 17 ans.

En confiant le dessin et l'animation de ce film à de puissants ordinateurs, Spielberg a évacué la dimension profondément romanesque, fantasmatique, presque onirique, du Tintin de papier. Il ne reste qu'un divertissement à la mode hollywoodienne, thriller frénétique où l'écran est perpétuellement bombardé d'informations qui se succèdent plus vite que l'œil ne peut les décoder, chaviré par des mouvements de caméra abracadabrantesques au point de rendre presque superflu tout montage, au service d'un récit embrouillé où les protagonistes n'obéissent à rien d'autre qu'au bon vouloir d'un scénariste sous ecstasy. La référence à Hergé devient presque anecdotique tant les personnages pourraient aussi bien revêtir l'apparence de super héros en justaucorps ou d'archéologues à chapeau, sans que le film diffère de façon notable.

Fracas pour les yeux, vacarme pour les oreilles, disjonctage pour les méninges, Spielberg invente la ligne confuse, à des années-lumière d'une ligne claire qui n'est pas seulement une épure graphique, mais aussi et surtout une exigence narrative où chaque évolution d'une histoire obéit à sa propre cohérence, qualité qui fait assez cruellement défaut au film.

Beaucoup (trop) de cas aura été fait de la technique de motion capture, qui transmet les mouvements de véritables acteurs à des modèles informatiques. Le résultat est tout sauf convaincant . Un peu comme le rotoscope à son époque, cette façon donne naissance à des objets défiant aussi bien les lois de l'apesanteur que celles de l'animation. N'espérez pas reconnaître les acteurs plus ou moins célèbres qui se seront prêtés à l'exercice, on aurait pu employer des singes savants pour un résultat équivalent et un moindre coût.

Crash-test :

8 novembre 2011

Orbite familiale

Le skylab de Julie Delpy.

Film de vacances. A la fin des années 70, la grande famille se rassemble autour de l'anniversaire de la grand-mère pour une moment d'été dans la maison de Saint-Malo. On bouffe, on picole, on s'engueule, on engueule les mômes, et quand on a fini, on repicole et on s'embrasse. On a tous dans le cœur des vacances à Saint-Malo, et des parents en maillot qui dansent sur Luis Mariano.

Notre rédaction avait beaucoup apprécié Two Days in Paris, autre chronique familiale autobiographique de la même talentueuse réalisatrice, et attendait beaucoup de ce nouveau volet centré sur ses souvenirs d'enfance. Si les mêmes qualité d'écriture et de mise en scène sont bien au rendez-vous, il faut regretter malheureusement que tout ce talent soit dépensé au service d'un sujet plutôt creux. Malgré la grande justesse de la reconstitution historique, malgré des dialogues enlevés, on passe un peu tout le film à attendre qu'il démarre, qu'il se passe enfin quelque chose. La faute à la nécessaire multiplication des personnages de ce tableau de groupe. Aucune figure ne s'en détache particulièrement, aucune intrigue ne retient plus particulièrement l'attention, et on finit la projection presque gêné d'avoir été invité à déranger l'intimité d'une famille aussi banale.

Soulignons tout de même les francs sourires que nous aura arrachés Vincent Lacoste (Les beaux gosses) en adolescent aux prises avec ses afflux d'hormones et au peigne coincé dans le ceinturon.

Une explication sur le titre : le skylab était ce satellite en perdition qui avait vaguement menacé de s'écrabouiller sur la Bretagne en juillet 1979. Capillotracté.

Crash-test :

4 novembre 2011

Mon Dieu mon Dieu mon Dieu !...

Les locaux de Charlie Hebdo ont brûlé mercredi, à l'heure même où les premiers exemplaires de son numéro spécial finement sous-titré Charia Hebdo était distribués dans les kiosques. Ceci arrivant après l'épisode de 2006 et des caricatures danoises. Toujours les mêmes. Quelle injustice. Comme personne ne songe malheureusement à incendier les locaux de notre cyber rédaction, Hobopok Dimanche se doit d'employer tous ses efforts à essayer de collectionner à la fois une excommunication et une fatwa, et plus si affinités.

Il est temps en effet d'enfoncer le clou et d'appuyer là où ça fait mal. Car si l'attentat contre Charlie a fait l'unanimité en France, obtenant dans un beau concert d'union nationale condamnation des incendiaires et soutien au journal, certains arguments développés, y compris par des collaborateurs de Charlie, peuvent laisser pantois.


En substance, les membres du gouvernement, les politiques de tout bord, les "représentants de la société civile", défendent l'humour ciblé, qui s'en prend aux intégristes de la religion, et non pas à tous ses adeptes. Sous-entendu : heureusement que cette frontière (au demeurant parfois bien ténue, ou bien floue) n'a pas été franchie qui sépare les fidèles ordinaires et leurs intégristes violents, heureusement que l'humour de Charlie ne s'en est pas pris aux religions en tant que telles et aux fidèles en tant que tels.

Voilà, chers amis de l'humour bête et méchant, les prémices de l'autocensure qui pointent déjà. On n'en est pas encore à s'excuser de rire du sacré (ou supposé tel), mais on fait quand même bien remarquer qu'on ne visait que les extrémistes du sacré (ou supposé tel). Comme si l'on avait intégré qu'il est décidément plus convenable de s'abstenir à l'avenir de rire des religions parce qu'elles en sont, et des croyants parce qu'ils le sont. Remarquable reculade dialectique, défaite sournoise de la pensée libre et triomphe inespéré des fanatiques par la condamnation même qu'ils suscitent !

Si les musulmans ont pu se sentir visés par les dessins et les bonnes blagues de Charlie Hebdo, il faut remarquer comment les chrétiens se sont engouffrés dans la brèche pour souligner, à la lumière de quelques récents faits-divers péri-artistiques, qu'il faudrait peut-être aussi y aller mollo avec le petit Jésus. Les jaloux. Sans doute les juifs, il est vrai d'ordinaire un peu moins vocaux et moins physiques sur les questions purement religieuses, n'attendent-ils que l'occasion pour monter dans le même le train.

Tous ces sots n'ont peut-être pas remarqué que la loi, si bien faite, leur garantissait la liberté absolue de ne pas rire, de ne pas lire les journaux ni fréquenter les musées ni voir les pièces de théâtre qui les offusquent, et de passer leur triste chemin pour s'en retourner qui se noyer dans son bénitier, qui s'empaler sur son minaret, qui se fracasser la tête sur son mur des Lamentations, pour leur plus grand bien. Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

Supplément gratuit

Et par dessus le marché, Facebook a bloqué l'accès des administrateurs à la page de Charlie Hebdo sur le "réseau social", au centre d'une furieuse bataille de commentaires entre pro- et anti-, au prétexte légèrement fallacieux, notamment, que "la une publiée par Charlie contrevient aux règles d'utilisation du site qui interdisent les publications avec des contenus graphiques, sexuellement explicites ou avec des corps trop dénudés". Ça leur apprendra à aller se pavaner sur ce fichier mondial de la Stasi.

31 octobre 2011

Suicide mode d'emploi

21 recettes pratiques de mort violente à l'usage des personnes découragées ou dégoûtées de la vie pour des raisons qui, en somme, ne nous regardent pas, de Jean Bruller dit Vercors.

La vie est trop courte pour ne pas rire de la mort. C'est ce que s'est dit en 1926 le jeune Jean Bruller, pas encore Vercors, qui se croyait dessinateur en attendant de devenir écrivain, éconduit par une amoureuse, et qui conséquemment envisageait par dépit de mettre un terme à ses souffrances par tout moyen. Tâchant par le rire d'obtenir son indulgence, la séduction ayant échoué à gagner son amour, il avait en fait entrepris une correspondance humoristique avec la demoiselle. En vain. La demoiselle s'est envolée, et ce livre nous est resté, qui franchit les âges en se riant des modes.


"Un jeune homme vint me trouver un jour, les larmes ruisselant le long de son visage. On venait de lui faire un gros chagrin, et il demandait conseil à mon expérience. Je lui donnai le seul que ma conscience pût me dicter, et l'engageai à se tuer". En feignant de parler d'un autre pour parler de lui-même, Bruller ne parle-t-il pas de chacun de nous, qui contemple avec une fascination faite de dégoût et de désir mêlés la dernière liberté qui nous est assurée, celle de mourir comme on l'entend ?

Plein de commisération pour le candidat au suicide débutant et hésitant, il dresse en tout cas un très plaisant inventaire catégorique et illustré des différents moyens d'abréger son existence, pesant pour chacun les avantages et les éventuels inconvénients : par saut de cervelle, par asphyxie gazeuse, par section artérielle ou veineuse, par empalement, etc...


On ne sait dans ce petit et délicieux ouvrage s'il faut admirer davantage le dessin ou la prose. Il faut souligner comment en ce dessinateur sommeillait un écrivain qui s'ignorait, pour mieux regretter qu'ensuite, l'écrivain réveillé ait fait oublier le talentueux dessinateur.

C'est en 1977 que la maison Tchou fit à cette œuvre l'honneur de cette déférente réédition, additionnée de nouveaux commentaires de l'auteur, ayant trait notamment aux progrès remarquables dans les techniques d'éradication humaine. On trouve encore ce titre réédité par Portaparole.