21 novembre 2012

Pas la peine

Into the Abyss de Werner Herzog.

Questions de vie ou de mort. Au Texas, champion étasunien de la peine capitale, un condamné à mort attend l'exécution de sa sentence. Werner Herzog, qui a pu le rencontrer, élargit le tableau pour donner la parole à toutes les personnes impliquées dans l'affaire : familles des victimes, des auteurs, complices, policiers, avocats, et met les certitudes à l'épreuve des faits.

On aura pu prendre peur, au vu des premières minutes du film, qu'il ne s'agisse d'un énième film qui revient en détail sur les circonstances d'un drame sanglant, démonstration accablante à charge ou à décharge, genre documentaire dont la télévision est friande. Heureusement, Herzog est plus malin que ça. Après un utile rappel des faits, il s'écarte des sentiers battus et fouille autour du drame, rencontre les familles, met à nu les personnalités, les motivations, les drames intimes, les plaies non refermées, et dresse un constat désolant à tout point de vue d'une société structurée par la violence, qui n'engendre que de la violence, dont la peine de mort n'est que l'ultime version institutionnelle.

Faussement ingénu, le réalisateur, qui s'exprime en anglais avec un accent bavarois à couper à la guillotine, ne peut s'empêcher à son tour de violenter un peu ses témoins en leur intimant l'ordre, d'une voix doucereuse mais ferme, d'oublier leur pudeur pour répondre à ses injonctions. Dans une scène cruciale, Herzog pousse dans ses derniers retranchements l'ancien capitaine d'exécution (délicate appellation locale du bourreau) qui a vu la lumière et préféré démissionner tant la peine de mort lui fait désormais horreur. Et c'est à pleurer.

Crash-test :


20 novembre 2012

Complot de famille


Une famille respectable de Massoud Bakhshi.

Persans sans père. Rentré au pays pour enseigner un semestre à l'invitation d'une université, un Iranien, exilé depuis vingt ans en Europe, découvre à ses dépens qu'il est plus difficile de sortir d'Iran que d'y entrer. Contraint de prolonger son séjour suite au décès de son père, le prof va mesurer durement à quel point il est devenu étranger à son propre pays.

On ne va pas dévoiler ici le retournement final du scénario qui va éclairer l'ensemble du film d'une bien cruelle lumière. Mais au fond, tout ça pour ça, est-on tenté de penser, rien d'autre que le récit d'une crapulerie bien ordinaire, dont on peine à percevoir la qualité purement iranienne, et, au fond, l'intérêt intrinsèque. Malgré une mise en scène honnête, on reste tout de même assez loin des chefs d'œuvre d'Ashgar Farhadi, autrement plus subtils.

S'il y a une critique du régime, elle est en filigrane assez fin, en ce sens que le film décrit l'utilisation à des fins privées des moyens d'oppression mis en place au service d'un Etat inique. Un propos tout de même un peu court, tant il ne tient pas de la révélation qu'un système politique dictatorial encourage vengeances personnelles et spoliations. Sous Vichy, les cas furent nombreux de dénonciations de voisins, d'amis, de membres d'une même famille, dans le seul espoir d'un bénéfice économique. Cette privatisation de la tyrannie sert bien sûr in fine au régime à approfondir l'assujettissement de la population par l'extension de l'insécurité dans la sphère intime.

Devant la minceur du propos, on doit s'étonner moins que le film ait pu être tourné sur place sans difficulté, et davantage qu'il ait été interdit de distribution en Iran, tant il n'y a pas de quoi déturbanner un mollah.

Crash-test :
 

19 novembre 2012

Fuel sentimental

Diesel, le scandale français de Stéphane Manier.

Vos enfants souffrent d'asthme, votre mémé se meurt d'un cancer des voies respiratoires, ne cherchez plus, et rangez vite la voiture au garage. En France, huit véhicules vendus sur dix roulent au diesel, en raison des incitations fiscales qui le promeuvent depuis plus de trente ans, en dépit de sa nocivité avérée et démontrée par des études scientifiques. Dimanche dernier, au lieu de se vautrer veulement sur le canapé de Michel Drucker, on pouvait voir sur France 5 cet inquiétant reportage qui dénonce assez courageusement, entre deux écrans de publicité consacrés à l'automobile, une absurdité aussi bien économique (la France ne raffine pas assez de pétrole en carburant diesel et doit en importer) qu'évidemment sanitaire, et, au-delà, un complot industriel ourdi par les constructeurs français, appuyés par les politiques de tous bords, en marinière ou pas. A côté, les scandales de l'amiante ou même du tabac sont du pipi de chat.


Saluons au passage l'initiative de France Nature Environnement, qui a inventé le pochoir négatif pour dénoncer le scandale : de l'eau de la Seine sous haute pression qui enlève des murs parisiens l'épaisse couche de particules qui s'y est incrustée. Charmant. D'autant que le motif disparaît comme par enchantement en quelques heures seulement...
 
Rediffusion le 29 novembre à 16h35 sur France 5.

18 novembre 2012

Villemot à l'affiche

Villemot peintre en affiches, à la bibliothèque Forney à Paris jusqu'au 5 janvier.

Le nom de Villemot (1911-1989) résonne encore à l'unisson de ceux des grands créateurs français de l'âge d'or de l'affiche au XXème siècle : Cassandre, Colin, Savignac. La bibliothèque Forney, dans le Marais, a la bonne idée de lui consacrer cette petite mais passionnante exposition, qui réunit affiches en sérigraphie ou en offset, ainsi que quelques originaux.


La signature de Villemot, reconnaissable entre toutes, reste associée principalement à une boisson orangée qu'il a accompagnée presque depuis ses débuts, et dont il a façonné le logo et l'image de marque : Orangina. La loi interdisait de représenter une orange, puisque la boisson en contenait moins de vingt pour cent... qu'à cela ne tienne, Villemot utilisera une écorce pelée en spirale !

L'exposition nous montre le parcours très personnel de ce peintre souvent inspiré, parfois laborieux : des esquisses montrent plus de soixante recherches en couleurs avant que soit arrêté le motif d'un projet. On apprécie d'autant plus, quand le résultat est à la hauteur, la valeur de ce travail invisible, qui cherche à disparaître derrière une simplicité qu'on croirait enfantine.



On apprécie davantage encore les traits de génie, quand ils sont juxtaposés à des compositions un peu plus bancales, ou moins évidentes, notamment parce que Villemot, maître de la couleur, n'excellait pas à la peinture des lettres. On s'aperçoit que le génie demande quand même un peu de transpiration, et que le succès passe aussi par l'échec. On y voit encore les bonnes idées qui prennent le temps de mûrir, Villemot n'hésitant pas à se plagier lui-même, recyclant des motifs après les avoir débarrassées des impuretés initiales.

Ce parcours, depuis les années de guerre où Villemot faisait de la propagande vichyste (fallait bien croûter...) aux années 80 où il célébrait le souvenir du Maréchal... Leclerc (le libérateur de Paris), donne l'image d'un créateur attachant, habité par le doute, se remettant sans cesse en question. Avec le temps, on s'aperçoit que la fonction commerciale de ses affiches n'en obère nullement la valeur intrinsèquement artistique.


Le Plan B(D) a aimé aussi.

10 novembre 2012

Sortis du bois

Le jour des corneilles de Jean-Christophe Dessaint.

Manga français. Au fin fond d'une épaisse forêt vivent un petit garçon et son papa, comme retournés à la vie sauvage. Un accident va les forcer à séjourner dans une petite ville voisine. L'homme et l'enfant vont réagir bien différemment à ce contact avec la civilisation.

Ce film de belle facture, tout à l'honneur des studios de production d'animation français, lorgne de façon assez insistante du côté du studio Ghibli du Japonais Miyazaki, ce qui est à la fois un bien et un mal. Un bien, parce que la qualité de l'animation est au rendez-vous, et celles des décors magnifiques est plus épatante encore. Un mal, parce qu'avec un scénario qui reprend sans vergogne des thèmes abordés par les Japonais (les forces de la nature, les esprits de la forêt, la représentation poétique du deuil, la vision enfantine du monde), mais de façon un peu désordonnée et confuse, on se demande bien quelle valeur ajoutée, quelle vision plus nettement européenne, apporte ce film.

Tout ça ne serait pas bien grave si les voix des deux personnages principaux n'avaient été confiées à deux des comédiens français les plus subtils, Lorànt Deutsch et Jean Reno. En entendant le second s'exclamer régulièrement sorcellerie ! diablerie ! on a un peu l'impression parfois d'écouter la bande-son des Visiteurs.

Crash-test :

8 novembre 2012

Petit mais vaillant

Kirikou et les hommes et les femmes de Michel Ocelot.

Arbre à palabres. Dans un village du sahel africain en butte à la vindicte d'une sorcière peu accomodante, les tribulations picaresques d'un enfant aussi rachitique qu'ingénieux nous sont narrées par un vieux griot pas pressé.

Mystère et magie du cinéma de Michel Ocelot, auteur de films d'animation qui sont autant de succès, Princes et princesses, Azur et Asmar, Contes de la nuit : le réalisateur, qui se joue des différentes techniques utilisées, accomplit le tour de force de transcender le conte pour en tirer des splendeurs visuelles, sans paraître en évacuer l'oralité originelle. Voir un film d'Ocelot, c'est avant tout se faire raconter de belles histoires. C'est le cas encore avec ce nouveau Kirikou, où l'enfant africain éponyme, déjà héros de deux longs-métrages, multiplie à nouveau astuces et stratagèmes, réconcilie les ennemis, ouvre les cœurs et rapproche les peuples étrangers.

Cerise sur le gâteau, ce nouveau long-métrage est servi avec 3D relief en option : film à lunettes. On a connu des expériences plus que mitigées par le passé avec cette ancienne nouvelle technologie, mais ici Ocelot en fait une utilisation aussi mesurée que judicieuse, sans tapage, en donnant une nouvelle jeunesse aux effets de profondeur d'image, genre caméra multiplane de Disney.

C'est drôle, c'est fin, c'est intelligent, c'est beau, on aura pas ici de mauvais goût de regretter que cet excellent film qui sait si malicieusement bien parler d'une Afrique rêvée ne soit pas une production africaine.

Crash-test :

2 novembre 2012

L'anti-gang

Alma, une enfant de la violence de Miquel Dewever-Plana et Isabelle Fougère.

Alma est une charmante jeune femme dont on n'aperçoît que la moitié supérieure, la moitié inférieure n'étant plus fonctionnelle, pour les raisons qu'Alma elle-même va nous exposer au cours d'une petite heure de confession choc. Alma vit à Guatemala, capitale du Guatemala, et sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille. Mais elle fixe tranquillement la caméra, et d'une voix posée, rarement submergée par l'émotion, raconte cette vie par le menu, n'épargnant ni à ses interlocuteurs, ni au téléspectateur, ni au final à elle-même, aucun des détails les plus crus de cette histoire de la violence. Et l'on ne sait plus très bien au bout du compte quel est le plus horrible dans cette vida loca : est-ce le passé familial, sont-ce ces années au sein d'un des gangs les plus implacables d'Amérique centrale, ou bien ce présent en apparence apaisé, mais confiné à un fauteuil roulant, hanté par les remords et les regrets ?












Ce documentaire, dont la crudité de propos n'a d'égale que la retenue visuelle, est d'une simplicité formelle frisant la perfection. Hormis le monologue face caméra, les seules autres prises de vue sont des plans fixes de l'habitat des quartiers les plus pauvres de la capitale guatémaltèque, qui permettent de relier les paroles d'Alma à la réalité, tandis que les scènes les plus dures sont illustrées par le dessinateur français Hugues Micol. Voilà un bonne petite claque à la figure pour tous ceux qui croient qu'il n'y a plus rien à voir à la télé.


Rediffusion dans la nuit du 6 au 7 novembre à 3h40 (pour les insomniaques ou ceux qui peuvent enregistrer) sur Arte, ou à toute heure le webdocumentaire sur le net.

Davantage de dessins, et une interview de Micol ici (merci Appollo).