25 juin 2011

Rondo veneziano

Le voyage imaginaire d'Hugo Pratt à la Pinacothèque de Paris jusqu'au 21 août.

Cette exposition a été montée au pied levé par la récente Pinacothèque (musée privé) pour remplacer une rétrospective de potiches précolombiennes malheureusement annulée en même temps que la quasi totalité des manifestations liées à l'Année du Mexique en France pour cause de fâcherie diplomatique (une histoire de piñata rendue cassée, je crois...). Du coup les dessins du cosmopolite vénitien Hugo Pratt ont droit à de bien belles vitrines joliment sous-éclairées pour de la terre-cuite polychrome.


L'expo est vaguement organisée autour de thèmes, les voyages, les femmes, etc... et rassemble davantage d'aquarelles que de planches de BD proprement dites. Avec tout de même comme clou du spectacle la totalité des cent soixante-quatre planches originales de la mythique Ballade de la mer salée, de 1967, la première aventure de Corto Maltese, le fameux héros qui se confond un peu avec son auteur.


Alors évidemment, ça ne donne malgré tout qu'un aperçu nécessairement parcellaire de l'œuvre de Pratt, et on aurait pu notamment vouloir voir davantage d'œuvres précoces, pour mieux apprécier l'évolution du dessin. Des fines gueules qui m'accompagnaient ont eu le toupet de faire la fine bouche, mais on n'a tout de même pas tous les jours l'occasion d'aller se coller le nez sur des originaux d'un des maîtres de l'art.


On aurait aimé féliciter pour cette belle initiative la Pinacothèque et son directeur Marc Restellini, si celui-ci n'avait pris sa plus belle plume pour, en préambule à son exposition, s'excuser auprès des amateurs d'art d'avoir osé accrocher de la bande dessinée sur ses cimaises, arguant, et d'une, que c'était vraiment parce que Pratt était un très très grand artiste (contrairement à d'autres qu'il a eu la délicatesse de ne pas nommer ?), et de deux, que ça ne reproduirait plus. C'est vrai, quoi, enfin, de la BD quand même ! Ah la la la la la.

24 juin 2011

Train d'enfer

On n'arrête pas le progrès. En attendant de nouveaux matériels roulants pour la ligne B du RER, celle qui a le bon goût de passer sous les fenêtres de notre rédaction, le Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) a entrepris depuis quelques mois de rénover de fond en comble les anciennes rames, inchangées depuis les débuts du réseau régional, et quelque peu fatiguées. Des couleurs pimpantes, de beaux tissus, une signalétique améliorée, la climatisation ! Que demande le peuple ?


Mais la principale surprise est plus belle encore : que croyez -vous que le STIF ait trouvé comme réponse pour faire face à l'augmentation constante du trafic voyageurs sur cette ligne ? Une fréquence accrue aux heures de pointe, une amplitude d'horaires quotidiens élargie, notamment les week-ends ? Et pourquoi pas des investissements et des embauches, pendant que vous y êtes ? Pas du tout : le STIF a tout simplement supprimé les strapontins : moins de places assises, davantage de voyageurs entassés aux heures de pointe ! Il fallait y penser.


En poursuivant dans cette logique, votre cyber gazette favorite est en mesure de dévoiler en exclusivité la photo volée du futur matériel de nouvelle génération à l'étude. Bon voyage.

22 juin 2011

L'Afrique à Pappa

Pappa in Afrika d'Anton Kannemeyer (aka Joe Dog).

Traité graphique sur l'Afrique du Sud post-apartheid, et ses rapports au reste du continent africain, par l'un des auteurs de la fameuse revue sud-africaine de bande dessinée Bitterkomix. Il nous a fallu un petit peu de temps pour finalement mettre la main, non sans peine et grâce à internet, sur ce bel ouvrage paru en 2010 au Cap, et que notre bon ami Appollo a déjà mentionné ici.


Ce livre qui reprend divers travaux graphiques, un peu de bandes dessinées, quelques pages de carnet de croquis, des illustrations et des toiles, offre un curieux écho à celui d'Anselme, sur le thème des malheurs de l'Afrique. Joe Dog décale sa critique en interrogeant l'identité africaine en termes de conflit racial. Il souligne le paradoxe d'être africain et blanc, et le besoin permanent des Sud-Africains blancs à devoir justifier de leur africanitude, ce qui ne va pas toujours de soi étant donné le lourd passif de l'apartheid, épisode modérément glorieux de la geste afrikaner.


Joe Dog use et abuse jusqu'à la corde des archétypes des représentations fantasmatiques de l'Afrique, notamment celles héritées du colonialisme glorifié par Hergé. Provocateur cérébral, il cherche en permanence à susciter le malaise, au risque de récolter l'incompréhension. Son livre a reçu un accueil mitigé en Afrique du Sud, la violence de certaines de ses images instillant le doute quant à la pureté de ses intentions chez quelques ayatollahs intellectuels qui s'érigent volontiers en gardiens de la bien-pensance sud-africaine.



Il faut dire que Joe Dog fournit lui-même les verges (c'est souvent le cas de le dire...) pour se faire battre. Il n'est qu'à voir sa réinterprétation d'un fameux dessin de Zapiro, lui-même objet d'une énorme polémique en Afrique du Sud. Ça n'a pas fait rire tout le monde. Dommage.

Supplément gratuit

Toujours dans le domaine de la sudafrerie de bon ton, deux images piquées sur le bien beau site de Brandt Botes, petit frère de Conrad Botes et sympathisant de Bitterkomix. Un sudaf qui connaît Saint-Etienne (et sa biennale internationale de design) n'est ipso facto pas dénué de qualités. Mais j'aime surtout le mauvais esprit de sa carte d'Europe du futur qui renvoie au découpage de l'Afrique par les puissances coloniales de la conférence de Berlin !

4 juin 2011

Les formidables aventures de la Poste

Ah, bien sûr, tout le monde ne peut pas avoir le César® du meilleur premier film. C'est pas une raison pour pas recycler ses personnages dans des animations à but lucratif. Comme Lewis Trondheim pour la Poste.

















Y en a d'autres, apparemment, qui pasent à la télé en ce moment, mais sans les phylactères. On sait pas pourquoi.

2 juin 2011

L'insurgé

Jossot, la caricature en liberté, à la bibliothèque Forney à Paris jusqu'au 2 juillet.

Plus que quelques jours pour profiter de cette splendide exposition qui nous a été prescrite sur ordonnance par l'excellent Plan B(D) du bon docteur Totoche.

Gustave-Henri Jossot (1866-1951) était un peu oublié, injustement, au point que je n'en avais à vrai dire jamais entendu parler. Son dessin est pourtant étrangement familier, peut-être parce que l'artiste a vu ses travaux publicitaires reproduits à l'échelle industrielle, encore aujourd'hui sur des millions de cartes postales, tandis que son œuvre satirique restait plus confidentielle.


Pilier de L'Assiette au Beurre, Jossot s'est très tôt singularisé par un trait épais et rond, héritier de la tradition de la caricature du XIXème siècle, influencé par les tendances artistiques du tournant du siècle, notamment les courbes de l'art nouveau.


On redécouvre avec cette expo une esthétique du dessin de presse, où le trait et la forme sont en fait utilitaires, au service d'une idée force, en général aussi violente que juste. C'est ce qui fait que les dessins de Jossot traversent sans peine le siècle qui nous sépare d'eux : ils font mouche, mettant dans le mille à chaque fois, en ridiculisant des traits de caractères dont la constance à travers les âges nous parle évidemment toujours.


Anarchiste-libertaire pur jus, n'ayant jamais fait allégeance à aucune bannière, se méfiant même du grégarisme et du sectarisme de ses camarades contestataires, Jossot, déçu par ses pairs et les usages de la presse française, affecté par des malheurs personnels (la mort de sa fille) finit par quitter en 1913 la France honnie pour la Tunisie, où il se mêla aux indigènes, embrassant temporairement l'islam pour mieux rejeter son passé.

L'expo rassemble un éventail d'une grande richesse de toutes les facettes de sa production graphique, dessins de presse, caricatures, illustrations, affiches, publicités, aquarelles, toiles, mais aussi des écrits qu'il faut prendre le temps de lire. Jossot écrivait avec le même talent et la même fureur qu'il dessinait, et son analyse au vitriol des travers de la société qu'il a fuie au début du XXème siècle résonne avec un écho encore à ce point assourdissant, qu'on la croirait vilipender notre début de XXIème siècle. C'est dire si Jossot n'a rien perdu de sa puissance, de sa hargne, et si son influence a pu être reconnue encore aujourd'hui par les plus grands dessinateurs de presse.