Putain d'Afrique d'Anselme Razafindrainibe.
C'est l'album posthume d'Anselme, le génial dessinateur malgache qui a quitté ce monde cruel au début de cette année. Il est publié par l'éditeur parisien L'Harmattan qui a entrepris, sous la houlette du directeur de collection Christophe Cassiau-Haurie, de lancer un département de bande dessinée africaine. Comme je suis pas la moitié d'un flemmard, j'en profite pour recycler ici la préface que j'ai été invité à rédiger pour ce livre drôle et méchant.
Anselme Razafindrainibe (1956-2011) est l’un des représentants les plus mémorables de la vitalité extraordinaire de la bande dessinée malgache. Il en avait déjà fait la preuve en publiant un premier album en 1999, Retour d’Afrique, à la Réunion.
Il récidive avec ce nouvel opus qui pourra sembler assez déconcertant à certains lecteurs européens, peu habitués à la virulence d’un propos aussi radical sur la situation post-coloniale en Afrique. Cette charge féroce serait sans doute balayée avec mépris si elle émanait d’un chroniqueur extérieur au continent, prêtant le flanc à des accusations d’afro-pessimisme, de paternalisme, voire de néo-colonialisme rampant. Mais ce brûlot émane d’un ancien colonisé (quoique brièvement) qui peut se vanter de bien connaître le sujet. Ayant parcouru quelques recoins parmi les moins recommandables d’Afrique et issu d’un pays qui a collectionné tous les travers de la Françafrique (ingérences étrangères, dictature, socialisme tropical, simulacre de démocratie, kleptocratie, sous-développement), Anselme a, en effet, toute légitimité pour forcer ses lecteurs à le suivre dans son introspection morbide des maux de ce continent vus par un indigène.
Dessinant d’un trait vif et sans merci, Anselme n’y va pas avec le dos de la cuillère à riz pour faire un sort aux illusions héritées d’un XXème siècle passé par profits et pertes. Il soigne équitablement anciens colonisateurs et anciens colonisés, corrupteurs et corrompus, maîtres et laquais, exploiteurs et profiteurs, égorgeurs et constricteurs, dressant un tableau peu flatteur, notamment pour les Africains, d’un continent à la dérive. Avec une amertume mouillée d’acide, il observe comment sous toutes les latitudes et en toute circonstance la bêtise, la cupidité, la cruauté, l’égoïsme, sont les qualités les mieux partagées. Et malheureusement ou heureusement, il faut bien reconnaître que c’est assez drôle.
26 mai 2011
Au cœur des ténèbres
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