22 décembre 2013

Le charme discret de la bourgeoisie

Borgman d'Alex van Warmerdam.

Hollandais violents. Un homme sort des bois pour investir la villa suburbaine d'un couple, mettre la femme sous sa coupe, lui soustraire ses enfants et, avec l'aide de jardiniers inquiétants, détruire méthodiquement tout ce qui fonde le confort bourgeois de son mode de vie.

On connaissait le surréalisme belge, voici maintenant son pendant néerlandais qui, il faut bien le dire, n'est pas sans rappeler en fait le cinéma de l'espagnol Luis Buñuel. On y retrouve mêlés le même humour glacial habillant la même violence servie à même température. Avec une mise en scène aussi policée que les personnages le sont en apparence, le film véhicule une charge violente contre tout ce que représente la bourgeoisie, son auto-satisfaction replète, son goût immodéré du confort matériel comme intellectuel. En faisant s'enchaîner une suite d'événements à la cohérence perverse, van Warmerdam met en évidence l'absurdité de la bourgeoisie occidentale contemporaine et de ses supposées valeurs. Quelques morceaux de bravoure soulignent ce parti pris, tels le labourage du joli petit jardin à la pelle mécanique ou les personnages secondaires qui se retrouvent, au sens propre, la tête dans le seau. Le propos est renforcé par la juxtaposition géographique immédiate de la ville et de la forêt, d'où proviennent les intrus et où ils vont retourner, questionnant les notions de nature et de civilisation.

Mais on fera tout de même le reproche au film de vouloir être presque trop malin, à vouloir à tout prix tout déconstruire pour ne faire qu'interroger. A vouloir ne rien affirmer, le récit prend le risque de ne rien dire d'intelligible au premier degré, prétention d'une pose intellectuelle exclusive, façon un peu cavalière de mépriser quelque peu son public en le prenant de haut. Une attitude qu'on pourrait presque qualifier de bourgeoise.

Crash-test :

18 décembre 2013

Ô Canada

Le gouvernemant du Canada est à la recherche d'un logo pour les 150 ans du pays. Ils ont retenu pour ce faire quelques projets parfaitement ridicules dans le genre désespérément américain du nord. Un site de design a rebondi sur l'affaire pour proposer son propre concours. Quel dommage qu'il n'aient pas fait appel au Studio Hobopok qui détenait la formule gagnante

16 décembre 2013

Les Indes galantes

The Lunchbox de Ritesh Batra.

Nourritures terrestres. A son bureau à Bombay, un comptable renfrogné reçoit par erreur la gamelle qu'une jeune femme a cuisinée pour son mari. L'homme et la femme vont entreprendre impromptu une correspondance intime par le biais de ce transport quotidien de nourriture, faisant de cette gamelle, alternativement pleine puis vide, le véhicule de leurs aspirations respectives.

Le film s'appuie sur un système de transport complexe et efficace, apparemment propre à Bombay, qui permet de livrer chaque midi une gamelle chaude cuisinée par leur famille aux travailleurs des bureaux, selon les règles de leur caste respective. Le système est tellement infaillible qu'il sert de modèle d'étude aux étudiants de Harvard. Batra imagine l'impossible erreur de livraison et en fait le point de départ d'un dialogue improbable entre une jeune femme frustrée et un vieil homme aigri. Par petites touches, sous les allures trompeuses d'un quotidien routinier et sans aspérités, le film conduit à des réflexions de plus en plus profondes sur le temps qui passe, les causes du désespoir, le sens du bonheur, le tout contenu dans les casiers métalliques à étages contenant chapatis, basmati et curry.

La mise en scène fluide et transparente évite pourtant de se prendre au sérieux et saupoudre assez généreusement des moments d'humour à froid qui contrastent habilement avec l'ambition inavouée du sujet. C'est une forme de maestria discrète qui amalgame ainsi gravité et légèreté, superficialité et profondeur, tristesse et gaieté, et donne à ce film pourtant intrinsèquement indien une valeur universelle apte à parler à tous les spectateurs du monde entier. Et le scénario a surtout l'intelligence de ne pas résoudre l'intrigue qu'il a pris soin de nouer, laissant ainsi le spectateur en suspens se faire son propre avis sur la fin de son film.

On sait surtout gré à Batra d'avoir, même s'il se base justement sur un particularisme local, évité tout folklorisme misérabiliste ou pittoresque sur la vie à Bombay. Voilà qui renvoie à nouveau durement au point de vue condescendant de Danny Boyle sur l'Inde, que notre rédaction n'a toujours pas digéré.

Crash-test :

10 décembre 2013

Ebony and Ivory

Avec la mort, pas tout à fait inattendue, de Nelson Mandela, le monde a à nouveau tourné son attention vers l'Afrique du Sud comme jamais depuis la coupe du monde de football 2010. Un armée de journalistes s'est abattue sur le pays, prompts à répéter en boucle les mêmes âneries, infichus de passer le nez par la fenêtre de leur hôtel pour tenter de comprendre où ils sont et ce qu'il s'y passe, perpétuant des clichés tenant lieu d'analyse, hors d'âge et surtout hors de propos, et, pis encore, lisant la situation sociale et politique à travers des concepts étrangers au pays, tel celui très étasunien de communauté.

Non il n'y a pas en Afrique du Sud de "communauté noire" au sens où on peut l'entendre aux Etats-Unis, et ce pour deux raisons au moins. La première c'est qu'il ne peut y avoir de communauté sans langue commune. Or les Noirs d'Afrique du Sud parlent une quinzaine de langues différentes, et même si certaines sont proches, cela traduit surtout une diversité de cultures, d'histoires, et de foyers territoriaux peu compatibles avec l'idée de communauté. La deuxième c'est que à plusieurs reprises dans l'histoire, et dernièrement lors des années 80 et 90, les Zoulous se sont opposés armes à la main (un petit peu aidés il est vrai par le pouvoir blanc) aux autres nations noires, Sothos, Xhosas et autres. Voilà pour la communauté.
L'idée de division sociale sur des bases raciales et communautaires était le principe même de l'apartheid. La nouvelle Afrique du Sud démocratique, inspirée par Nelson Mandela, a précisément pris grand soin de tirer un trait sur toutes ces notions racialistes, en se voulant une république unitaire non-raciale, et non pas multiraciale. Nuance. Ce pays a manqué crever du racisme et du racialisme, et il s'est trouvé des gens avec suffisamment de hauteur de vue pour identifier le mal et vouloir éviter qu'il ne perdure sous d'autres formes.

Alphabet of Democracy par Anton Kannemeyer.
Non Soweto n'est pas un bidonville. Soweto est le gigantesque township de Johannesbourg, c'est à dire une ville créée à l'époque de l'apartheid pour les non-Blancs, Noirs en l'occurrence. Le gouvernement leur avait construit de jolies petites maisons avec quatre murs en parpaings et un toit en tôle, les fameuses "boîtes d'allumettes". Les plus miséreux se sont entassés dans des baraques de planches et de tôle, constituant effectivement des bidonvilles par endroits, tandis que les plus chanceux économiquement se sont fait construire leurs propres villas, certaines mêmes relativement cossues.

Non Soweto n'est pas un ghetto. Le ghetto, "la forge" en vieux vénitien, était le quartier où étaient consignés les Juifs de Venise. Par extension, le mot en est venu à désigner un endroit où une minorité est enfermée par une majorité. C'est exactement le contraire qui s'est produit en Afrique du Sud, à Soweto et dans les autres townships, où la majorité (noire) était enfermée par la minorité (blanche) !

Non tous les Blancs ne sont pas des Afrikaners. Ces derniers constituent environ une grosse moitié des Blancs du pays, les autres étant anglophones, certains avec encore un passeport britannique hérité des années de colonisation... sans compter une tripotée de lusophones repliés des colonies portugaises et même une exotique petite communauté germanophone dans le Natal.

Non les Afrikaners ne parlent pas l'afrikaner, il parlent l'afrikaans. Ils ne sont pas les seuls d'ailleurs, puisque l'afrikaans, seule langue indo-européenne née en Afrique, est aussi la langue maternelle de la majorité des métis du pays. Aujourd'hui en Afrique du Sud, les Afrikaners ne composent plus la majorité des locuteurs afrikaans. C'est d'ailleurs assez ironique, car la langue afrikaans avait été érigée en symbole de la nation afrikaner : un monument très rigolo lui est même dédié à Paarl, une sorte de phallus assiégé par des ovaires...

A l'écoute des médias, on reste pantois devant autant d'approximations coupables : au lieu de garder yeux et oreilles ouverts pour appréhender une réalité, les journalistes présents en Afrique du Sud préfèrent la présenter déformée, tordue, biaisée de façon à ce qu'elle colle à des schémas préétablis, importés, simplifiés au point de devenir erronés. Voilà qui méritait bien quelques bons coups de sjambok.

7 décembre 2013

Il était une fois dans l'océan Indien...

Légendes créoles, collectif.

Le Cri du Margouillat a beau être un défunt, quoique célèbre, magazine de bandes dessinées de la Réunion, il n'en a pas moins bon pied bon œil. Après Marmites créoles paru en 2010, Musiques créoles paru en 2011, le voilà qui publie un nouvel album collectif, sous le label de sa maison d'édition Centre du Monde, affichant ainsi une vitalité que peuvent lui envier bien des trépassés encore assoupis outre-tombe.

Téhem.
Le principe de ce collectif est d'une séduisante simplicité : chaque auteur était invité à s'emparer d'une légende de la Réunion, ou des îles voisines de l'océan Indien, et à la réinterpréter selon sa fantaisie. On y retrouve ainsi saint Expédit, la Dame blanche, Gran'mère Kal, etc. A défaut, certains ne se sont pas privés pour inventer de toutes pièces leur propre légende contemporaine, comme celle du tram-train par exemple, fameux serpent de mer de la vie politique insulaire... En tout dix-neuf récits courts, réalisés par Anjale, Stéphane Bertaud, Christophe Cassiau-Haurie, Darsh, Dwa, Michel Faure, Flo, Sylvain Gérard, Gary Guillaud, Goho, Hippolyte, Hobopok, Jef Wesh, Laval NG, Ronan Lancelot, Li-An, Greg Loyau, Thierry Permal, Pov, Rova, Evan Sohun, Téhem, Tolliam et Pécontal, Fabrice Urbatro, dessinateurs et scénaristes confondus, en provenance la Réunion, de Madagascar, de l'île Maurice ou de France hexagonale.

Hobopok.
Il n'est pas exagéré de prétendre que cet album, au demeurant remarquablement maquetté, fut l'une des stars du dernier festival Cyclone BD à Saint-Denis, où des foules compactes se le sont arraché, comme hypnotisées par sa splendide couverture signée Darsh. On peut toujours se le procurer en ligne ici. Noël approche...

Darsh.

29 novembre 2013

Grand-prix de la Réunion

C'est hier soir qu'a été annoncé le nom du lauréat du grand prix de la Ville de Saint-Denis : Thierry Maunier, alias Téhem, créateur du mondialement célèbre (à la Réunion) Ti-Burce, mais aussi de Malika Secouss, de Zap collège, de Lovely Planet, ou encore de l'épatant Quartier Western. L'avis unanime des commentateurs : ça n'est que justice.


Téhem fête son prix en occupant aujourd'hui la une du JIR (le Journal de l'île de la Réunion), édition abondamment illustrée par les dessinateurs présents au festival Cyclone BD, avec ce ravissant dessin.

Comme un ouragan

Ne reculant devant aucun sacrifice, toute la rédaction de votre cyber gazette favorite sera délocalisée pour tout le week-end à Saint-Denis, sur l'île de la Réunion, afin d'apporter sa pierre à l'édition 2013 du festival Cyclone BD où est invité notre rédacteur en chef Hobopok.


21 novembre 2013

Le joli petit Kanyar

Kanyar numéro 2.

On avait salué ici la sortie du premier numéro de cette audacieuse nouvelle revue littéraire, qui a un pied sur l'île de la Réunion et un autre dans le reste du monde, l'heure est venue de saluer la ponctualité avec laquelle son fondateur André Pangrani met à la disposition de ses lecteurs et abonnés le second numéro, qui ne le cède en rien à son prédécesseur en ce qui concerne la qualité et l'exigence des textes présentés.

C'est l'artiste sud-africain Conrad Botes qui s'est cette fois chargé d'illustrer la couverture, tandis qu'on peut lire les proses d'Olivier Appollodorus, Pierre-Louis Rivière, Emmanuel Gédouin, Marie Martinez, André Pangrani, Nicolas Deleau, Emmanuel Genvrin, Pilar Adón, Xavier Marotte, Antoine Mérieau, Marie-Jeanne Bourdon, Matthieu Périssé, Cécile Antoir et Jean-Christophe Dalléry. Ce dernier, un jeune auteur qui fait là ses premiers pas dans la littérature de fiction, s'est livré à une fantaisie tropicale à la fois guerrière, sportive et gastronomique qui régalera les plus fins palais.

On s'amusera de noter que la mort semble être le fil conducteur de ce florilège puisque, sans que les auteurs se soient le moins du monde concertés ni entendus, un certain nombre de cadavres jonchent les pages de leurs nouvelles. Quel lecteur aura le bon goût d'en faire un décompte exact ?

Cette indispensable revue de 212 pages, remarquablement maquettée au demeurant, peut être réclamée dans les bonnes librairies, exigée avec véhémence dans les mauvaises, ou commandée en ligne pour le prix risible de 19 €. Et dire que c'est bientôt Noël...

13 novembre 2013

Impair espace

Gravity d'Alfonso Cuarón.

Dans l'espace, personne ne vous entend crier. Pris sous une pluie de débris de satellites, l'équipage d'une navette spatiale en orbite autour de la Terre est décimé et son véhicule mis hors d'usage. Les deux seuls survivants vont devoir puiser dans leurs ultimes ressources pour espérer rejoindre le plancher des vaches.

C'est peu dire que ce film aux images virtuoses est spectaculaire : augmenté du rendu en relief (dit 3D), il se classe d'emblée parmi les meilleurs films jamais réalisés sur l'aventure spatiale. Cuarón, au-delà des performances formelles de son film, parvient à faire ressentir, fait notoire rapporté par tous les visiteurs de l'espace, la fascination métaphysique que déclenche immanquablement la contemplation de l'astre terrestre. Et si le récit fait une belle place à la science, c'est à peine si c'est une fiction, tant les événements décrits, pris individuellement, sont tous absolument vraisemblables. Seule leur concomitance est un défi aux lois de la statistique.

Cuarón frappe donc fort, avec cet aperçu hyper réaliste des conditions d'une virée dans l'espace proche. Notamment, contrairement à tous les tonitruants westerns intersidéraux où les explosions tiennent lieu de mise en scène, il restitue le silence qui règne à ces altitudes, faute, comme le savent les savants, d'air pour porter les ondes sonores. Et le seul son diégétique entendu dans le film est celui des intercoms qui permettent aux astronautes de communiquer entre eux ou avec la Terre. Pas de son, pas de flamme, juste le vide.

Enfin pas tout à fait, malheureusement, car c'est à cause de sa musique que ce film brillant manque de peu sa cinquième étoile à notre crash-test. En orbite basse, la partition de Steven Price, trop présente, paraît souvent lourdingue, un comble en apesanteur.

Crash-test :

11 novembre 2013

Un continent de dessins

Dictionnaire de la bande dessinée d'Afrique francophone de Christophe Cassiau-Haurie (illustré par Jason Kibiswa).

Dans ce numéro double de la revue Africultures, Christophe Cassiau-Haurie, éminent spécialiste de la spécialité, lève le voile sur un monde comme ignoré, presque oublié, celui de la bande dessinée d'Afrique, un art qu'on sait en mal de reconnaissance, malgré les méritoires efforts de quelques éditeurs, dont bien sûr L'Harmattan, et qu'on découvre ici vivant, vibrant, et aux racines profondes.

Mongo Sisé pour BédéAfrique
L'ouvrage, d'une érudition sans faille, remarquablement maquetté, on en conviendra bien volontiers, bénéficie d'une très riche iconographie, qui permet d'enter en douceur dans les articles, et de guider l'œil vers certaines pépites graphiques, ou vers la découverte de destins personnels hors du commun. A côté des illustrations originales du Congolais (démocratique) Jason Kibiswa, on s'arrêtera notamment sur les couvertures incroyables des comics malgaches.

Gilbert Rakotosolofo pour Navajo
Ce dictionnaire, qu'on pourra ainsi facilement reposer et reprendre, se lit presque comme un roman, le roman d'un continent passionnément épris de neuvième art, malgré le sous-développement dont il souffre, malgré les difficultés des auteurs à se faire éditer, malgré l'illettrisme qui peine à reculer. Car la lecture de tous ces articles, qui mentionnent auteurs, dessinateurs ou scénaristes, éditeurs et maisons d'édition, studios, revues, albums, séries ou personnages fameux, donne une impression d'ensemble captivante d'un foisonnement artistique en perpétuel mouvement, le regard souvent tourné vers les modèles européens, mais à la recherche aussi d'une expression typiquement africaine.

Bernard Dufossé pour Kouakou
S'il fallait faire un reproche à cet ouvrage, ce serait sur son prix, 35 euros, qui risque de le mettre hors de portée de bien des lecteurs africains à qui il devrait s'adresser pourtant au premier chef.
John Koutoukou par Benjamin Kouadio.

5 novembre 2013

Au train où vont les choses

Snowpiercer de Bong Joon-ho.

Association d'usagers en colère. Après que l'humanité a malencontreusement déclenché une apocalyptique nouvelle ère glaciaire, les ultimes survivants tentent de se réchauffer à bord d'un train qui fait le tour du monde. Mais les prolos de la voiture de queue, qui aimeraient bien prendre la place des nantis en tête de convoi et dire son fait au conducteur, complotent puis déclenchent une révolution qui s'avèrera plus sanglante et moins futée que prévu (un peu comme toutes les révolutions).

On voit bien ce qui a plu à Bong (dont on a déjà vanté le talent ici) dans ce sujet tiré d'une BD française de Lob et Rochette : une métaphore politique, pas démesurément subtile a priori, où les classes sociales se retrouvent, au sens propre, compartimentées à bord d'un train et vont se confronter durement à l'ordre des choses et à leur propre condition humaine, tous deux à la fois cause et conséquence l'un de l'autre. Autant dire que les personnages ne sont pas sorti de l'auberge (ou plus ferroviairement de la voiture-bar).

Bien souvent dans les adaptations de BD sur grand écran, le passage aux prises de vues réelles tend à alourdir ce qui lévite sur le papier entre les cases d'une bande dessinée. Mais Bong sublime les contraintes et les pesanteurs du postulat grâce à une mise en scène haletante, un parfait contrôle esthétique, bien servi par des effets spéciaux à leur juste place, une ironie mordante et une cruauté sans merci pour ses personnages.

Il faut reconnaître – le calembour s'impose, aussi mauvais soit-il – que le film est mené à un train d'enfer. Heureusement, le scénario ménage une porte de sortie vers l'inconnu qui permet enfin aux rescapés sur l'écran (et aux spectateurs dans la salle) de respirer un peu après deux heures d'huis clos. Terminus, tout le monde descend.

Crash-test :

29 octobre 2013

Omar m'a tuer

Omar de Hany Abu-Assad.

Mariage des traîtres. Un jeune Palestinien amoureux fait le mur (de séparation entre Israël et la Cisjordanie) pour aller conter fleurette à sa chérie, s'essaie à la résistance armée contre l'occupation israélienne, se fait choper par on sait pas bien qui, doit trahir ses amis d'enfance avant de découvrir que tout le monde trahit tout le monde, y compris son meilleur ami qui épouse sa chérie. L'apprenti-résistant finit coincé entre le marteau et l'enclume, entre le chien et le percuteur.

Beaucoup de zones d'ombre dans cette intrigue embrouillée, qui laissent au final le spectateur sur sa faim, tout en dissimulant ce qu'est au fond le propos, l'intention du réalisateur. Bien malin qui pourrait discerner exactement quel est le sujet du film, ce qu'il essaie de dire. Abu-Assad nous balade à travers les paysages exotiques d'une Palestine en état de guerre dont on a peu coutume de recevoir des images de fiction, fait preuve d'une certaine habileté technique notamment dans les scènes de poursuite à travers les ruelles, mais n'arrive pas à rendre vraiment intéressants les états d'âme de son héros, ni le sort tragique qui lui est promis. Un peu comme s'il avait été lui-même coincé entre l'obligation de traiter la question israélo-palestinienne et l'envie de la dépasser pour traiter de thèmes plus personnels.

À la vue du résultat pour le moins mitigé de l'entreprise, on en déduit que les Palestiniens, condamnés géopolitiquement, le sont aussi artistiquement, prisonniers du conflit qui les étouffe.

Crash-test :

18 octobre 2013

Envoyé spécieux

L'émission de reportages de la rédaction de France 2, Envoyé spécial, vingt-trois ans d'âge, s'est livrée hier soir à un exercice particulièrement périlleux : quarante-quatre minutes sur la guerre au Mali, commentées par un journaliste de la rédaction, mais dont les images avaient la particularité d'avoir été entièrement fournies par nul autre que l'armée française elle même. Armée française qui, après avoir bien entendu contrôlé les prises de vues, et pour cause puisque aucun journaliste n'était admis à proximité des zones de combat, imposait encore une condition à l'utilisation de ses images : qu'aucun combattant, français, allié ou ennemi, ne soit vu perdant la vie.

Ah que la guerre est donc jolie ! Zéro mort ! On nageait en pleine propagande : un ballet de techniciens surentraînés, spécialistes de la spécialité trop occupés à "devenir eux-mêmes" pour penser à mourir. Quelques coups de soleil, tout au plus.

Allo Rémy Pflmlin ? Devine d'où je t'appelle !
Il est absolument sidérant de voir des journalistes qu'on croyait chevronnés, qui plus est sur le service public, se livrer à une telle mascarade. En se prêtant au petit jeu de la com' militaire, en acceptant les conditions inacceptables de l'armée, qui par ailleurs avait verrouillé, pour ne pas dire interdit, toute couverture journalistique indépendante du conflit réel, la rédaction de France 2 se tire une balle dans le pied et déshonore toute la profession en semblant ainsi entériner la négation de son propre rôle de journaliste, de témoin indépendant, de quatrième pouvoir. Au lieu de protester contre l'attitude de l'armée, France 2 devient son supplétif.

Voilà le vrai journalisme engagé : engagé volontaire !

17 octobre 2013

Bleu fiel

Blue Jasmine de Woody Allen.

Vanitas vanitatum. Une bourgeoise superficielle, égoïste et cassante connaît la déchéance après la ruine de son mari. Elle doit trouver refuge chez sa sœur jusqu'ici délaissée et tenter de se reconstruire. Mais plutôt que de s'adapter aux circonstances nouvelles en corrigeant ses errements passés, elle préfère se bercer d'illusions confortées par des mensonges, et fait le lit de son propre malheur.

Woody Allen vieillit tout de même bien. Il faut admirer ici dans sa nouvelle production annuelle le savoir-faire du cinéaste accompli, la fluidité du récit, la mise en scène quasi transparente, la justesse des dialogues et enfin l'amour des comédiens. Cate Blanchett se voit offrir un rôle de femme déboussolée, broyée par la vie, aigrie, fissurée, qu'elle porte merveilleusement, tandis que Sally Hawkins en naïve généreuse donne le parfait contrepoint. On retrouve dans ce film ce subtil mélange allenien de légèreté comique et de fausse ingénuité philosophique, mais qui, au fil des minutes, tend vers la noirceur la plus absolue au fur à mesure que le point de vue de l'auteur sur la condition humaine se lit de façon de plus en plus désespérée, jusqu'à ce que, pour finir, Woody cesse de s'en amuser.

On voit dans ce film que l'humoriste n'est jamais meilleur que quand il est moraliste, et que le moraliste n'est jamais meilleur que quand il n'est pas moralisateur.

Crash-test :

7 octobre 2013

24 septembre 2013

Guerre et ennui

War is Boring de David Axe et Matt Bors.

La guerre est ennuyeuse, proclame David Axe, un correspondant de guerre passablement déprimé, déphasé, à côté de ses pompes, qui une fois de retour dans la douce quiétude de son coquet chez lui dans son replet et paisible pays, ne supporte pas plus d'une semaine de ne pas entendre les balles siffler autour de lui. Et il repart aussi sec là où il pense avoir le plus de chance d'entendre et de voir cannonades et massacres, au plus fort de la mêlée, où que ça soit dans le monde. Sacrée névrose.

On n'apprend pas grand chose sur la situation politique ou militaire des pays évoqués, Timor oriental, Tchad, Irak, Afghanistan, Somalie, mais le point de vue désabusé du globe-trotter donne une image d'ensemble assez intéressante de ces foyers de guerre qui ne cessent d'apparaître aussi vite que d'autres disparaissent, et surtout de la schizophrénie de la prétendue communauté internationale qui les dénonce d'un côté tout en les entretenant d'un autre.

Axe a confié ses récits au dessinateur Matt Bors qui livre des planches extrêmement claires et efficaces, pour une lecture aussi agréable que pénétrante.

Dernier détail amusant, Axe n'est pas envoyé spécial par quelque prestigieux titre de presse, mais un lumpen-pigiste pour des titres de deuxième ou troisième ordre, faisant en réalité payer ses frais de mission par des magazines spécialisés dans le commerce des armes ! Le serpent se mord la queue.

20 septembre 2013

Flop

Tip top de Serge Bozon.

Police partout. Après la mort d'un indic, une fine équipe de deux policières de l'IGPN (la police des polices) débarque dans un commissariat de Lille comme un chien dans un jeu de quilles. D'autres morts suspectes s'ensuivent. Et...

Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain, François Damiens, et même Samy Naceri : mais que diable allaient-ils faire dans cette galère ? On serait bien en peine de deviner de quoi parle le film, passé l'énoncé des différentes péripéties, dont le trait commun est de manquer singulièrement d'intérêt. La mise en scène est ridicule, les personnages ne sont que de risibles caricatures, et le réalisateur qui semble s'ingénier à vouloir prendre le spectateur à revers ne parvient qu'à l'endormir en sursaut.

Un sérieux candidat au César® du film chiant.

Crash-test :

15 septembre 2013

Karlito's way

Marx de Corinne Maier et Anne Simon.

La splendide couverture, de surcroît richement reliée, de cette biographie en bande dessinée n'aura pas manqué d'alpaguer tous les dangereux gauchistes qui, le couteau entre les dents, arpentent les travées des dernières librairies.

Ils auront retrouvé à l'intérieur du livre toutes les promesses de son séduisant emballage, à savoir une bande dessinée aux grandes qualités formelles, avec son dessin simple et redoutablement efficace, sa mise en couleurs percutante et sans fioritures, ses compositions de pages aussi habiles qu'esthétiques, le tout au service d'un récit à connotation évidemment didactique.


Malheureusement, c'est là qu'est l'os, le scénario peine à décoller au-dessus du niveau de l'anecdote. D'une part, on n'entre guère dans les fondements de l'analyse marxienne et de la philosophie de l'œuvre, dont les répercussions, y compris du fait d'interprétations douteuses, ne sont pourtant pas sans importance, et d'autre part, jamais Karl Marx ne devient un vrai personnage à part entière, doué de raison, mû par son propre ressort. Au lieu de quoi on le sent simplement suivre consciencieusement la feuille de route que la scénariste lui a tracée pour arriver, penaud, à l'heure de sa mort, et voilà c'est fini.

Dans le genre BD historique didactique, on peut préférer les œuvres de l'étasunien Larry Gonick, dont l'Histoire du monde en bande dessinée (parue entretemps en français chez Vertige Graphic), à la fois recherchée historiquement, pleine d'humour et débordant de personnages incroyables, reste une ombrageuse référence.

13 septembre 2013

La ligne Clerc

Phil Perfect, l'intégrale de Serge Clerc.

On a pu jadis, en ces colonnes, reprocher au défunt Klaus Nomi de ne pas avoir inventé à lui tout seul les années 80. Pareil reproche ne sera pas adressé à l'auteur de bande dessinée Serge Clerc, qui a forgé à la force du plumier toute la mythologie graphique d'une décennie frénétiquement désinvolte, recherchant dans l'alcool et la pose esthétique un refuge à l'abri des rêves avortés de la génération précédente.

C'est en tout cas ce qu'on pourrait croire, au mépris de toute vraisemblance, en reposant ce lourd opus qui reprend, comme le promet sa couverture, l'intégrale des histoires de Phil Perfect, le héros alcoolique de Serge Clerc, c'est-à-dire pas loin de l'intégralité des dessins du même.

Car, derrière son éternel verre de vodka, Phil Perfect est bien sûr l'alter ego de Clerc, jumeau graphique de Chaland, rénovateur de la ligne claire façon Jijé, jeune contemporain des Ted Benoît, Joost Swarte ou Ever Meulen, pour fouiller dans le même tonneau, et, on l'avait oublié, ligérien émérite venu de Roanne.

L'intérêt évident de ce livre est de nous replonger dans une époque révolue, où la bande dessinée rêvait tout haut, transformant le quotidien en film noir, le bistrot du coin en faucon maltais, la gueule de bois en grand sommeil. Style du dessin, style du design des objets et des décors, style des couleurs, style des lettrages, avec une maîtrise typographique qui foutrait la honte à plus d'un dessinateur d'aujourd'hui, tout n'est que style sous la plume de Clerc, au point qu'émerveillé on en vient - qui l'eût cru ? - à lui pardonner ses nombreuses approximations orthographiques ou syntaxiques. On regrette seulement les planches plus tardives, où le dessinateur, gagné par la paresse, confie ses lettrages à son ordinateur, avec un résultat qu'on aura la charité de ne pas commenter ici.

Notons enfin que ce très beau, très riche et follement élégant volume fait partie des rééditions intégrales de Dupuis, sous la houlette du directeur artistique Philippe Ghielmetti, qui fait, tant sur le plan de la maquette que sur le plan éditorial, un boulot de première bourre. Lui aussi, c'est un peu Phil Perfect...

12 septembre 2013

Paradis pour tous

Elysium de Neill Blomkamp.

Fracture sociale. En 2154 à Los Angeles, irradié à l'usine, un prolétaire n'a d'autre choix pour tenter de guérir qu'un voyage spatial de la dernière chance, en rejoignant à ses risques et périls le satellite artificiel où l'oligarchie ultra-riche vit à l'abri des petits tracas terrestres et profite seule des bienfaits d'une médecine de pointe. Grain de sable dans les rouages du système, l'intrus va provoquer une salutaire révolution.

Revoilà Neill Blomkamp, le réalisateur sud-africain de l'épatant District 9, dirigeant cette fois des stars d'Hollywood comme Matt Damon et Jodie Foster. Et nous voici toujours en pleine science-fiction, un film d'action efficace, mené tambour battant, truffé d'effets spéciaux et de robots, avec toujours la même cohérence esthétique, sur une idée de base animée peu ou prou par les mêmes ressorts. On pourrait croire que Blomkamp laboure toujours le même sillon, mais en transposant sa production et le lieu de l'action de l'Afrique du Sud aux Etats-Unis, il a déplacé sa réflexion des questions raciales aux questions sociales, décrivant une dystopie qui n'est évidemment que la projection d'une situation actuelle. Et en critiquant le fossé social qui se creuse du fait d'un capitalisme prédateur et confiscatoire, il tape la conscience étasunienne là où ça fait mal, sur la notion de protection sociale et sanitaire pour tous. Une production grand public animée par une réflexion politique plus subtile qu'elle n'en a l'air : voilà du bon cinéma !

Clin d'œil au pays, Blomkamp a donné le rôle du parfait salaud de l'histoire à un personnage sud-africain, interprété par son acteur fétiche Sharlto Copley, à l'accent afrikaner à couper à la machette, frappant son vaissau spatial d'un oryx blanc, un peu comme le bataillon 32 de l'armée sud-africaine, de triste mémoire, marquait ses véhicules d'un buffle blanc.

Crash-test :