13 septembre 2013

La ligne Clerc

Phil Perfect, l'intégrale de Serge Clerc.

On a pu jadis, en ces colonnes, reprocher au défunt Klaus Nomi de ne pas avoir inventé à lui tout seul les années 80. Pareil reproche ne sera pas adressé à l'auteur de bande dessinée Serge Clerc, qui a forgé à la force du plumier toute la mythologie graphique d'une décennie frénétiquement désinvolte, recherchant dans l'alcool et la pose esthétique un refuge à l'abri des rêves avortés de la génération précédente.

C'est en tout cas ce qu'on pourrait croire, au mépris de toute vraisemblance, en reposant ce lourd opus qui reprend, comme le promet sa couverture, l'intégrale des histoires de Phil Perfect, le héros alcoolique de Serge Clerc, c'est-à-dire pas loin de l'intégralité des dessins du même.

Car, derrière son éternel verre de vodka, Phil Perfect est bien sûr l'alter ego de Clerc, jumeau graphique de Chaland, rénovateur de la ligne claire façon Jijé, jeune contemporain des Ted Benoît, Joost Swarte ou Ever Meulen, pour fouiller dans le même tonneau, et, on l'avait oublié, ligérien émérite venu de Roanne.

L'intérêt évident de ce livre est de nous replonger dans une époque révolue, où la bande dessinée rêvait tout haut, transformant le quotidien en film noir, le bistrot du coin en faucon maltais, la gueule de bois en grand sommeil. Style du dessin, style du design des objets et des décors, style des couleurs, style des lettrages, avec une maîtrise typographique qui foutrait la honte à plus d'un dessinateur d'aujourd'hui, tout n'est que style sous la plume de Clerc, au point qu'émerveillé on en vient - qui l'eût cru ? - à lui pardonner ses nombreuses approximations orthographiques ou syntaxiques. On regrette seulement les planches plus tardives, où le dessinateur, gagné par la paresse, confie ses lettrages à son ordinateur, avec un résultat qu'on aura la charité de ne pas commenter ici.

Notons enfin que ce très beau, très riche et follement élégant volume fait partie des rééditions intégrales de Dupuis, sous la houlette du directeur artistique Philippe Ghielmetti, qui fait, tant sur le plan de la maquette que sur le plan éditorial, un boulot de première bourre. Lui aussi, c'est un peu Phil Perfect...

Aucun commentaire: