26 novembre 2011

American graffiti

On rigole bien à Sofia, capitale de la Bulgarie. Des plaisantins ont cette semaine repeint à leur (mauvais) goût le monument à l'Armée rouge, que les Bulgares, soit par respect pour leur tumultueuse histoire, soit par économie, n'ont pas encore pris la peine de déboulonner. En quelques coups de pinceaux, les héros réalistes socialistes se sont transformés en icônes de l'impérialisme étasunien, super héros ou mascottes de multinationales.


La blague n'eut qu'un temps, car les couleurs étant lavables, elles furent promptement lavées par les autorités, qui pas davantage en Bulgarie qu'ailleurs, n'aiment qu'on se paie leur fiole.

Sans forcément aller chercher très loin une signification profonde au message délivré, critique du consumérisme, totalitarisme du capitalisme, résistance à toute invasion étrangère, on peut tout de même admirer le toupet de ces humoristes bulgares. A quand les Rude de l'Arc de triomphe transformés en Schtroumpfs ? Bah, en attendant, on peut toujours aller faire griller des merguez sur la flamme du soldat inconnu.

17 novembre 2011

La ligne confuse

Les aventures de Tintin : Le secret de la Licorne de Steven Spielberg.

Contrefaçon hollywoodienne. Un jeune reporter à houpette achète une maquette de bateau, se fait enlever, rencontre un vieux marin alcoolique, supporte le récital d'une stridente cantatrice, défait ses ennemis, retrouve son portefeuille, perce un mystère, trouve un trésor, le tout à 200 à l'heure.

Difficile de reconnaître Tintin et les autres personnages issus des bandes dessinées au delà des oripeaux empruntés aux créations d'Hergé. Spielberg, qui a au passage l'immodestie de prêter ses traits au personnage de Sakharine/Rackham le Rouge, commet un prévisible contresens dans son interprétation, en transformant le héros universel des jeunes de 7 à 77 ans en tête d'affiche pour jeunes Californiens de 7 à 17 ans.

En confiant le dessin et l'animation de ce film à de puissants ordinateurs, Spielberg a évacué la dimension profondément romanesque, fantasmatique, presque onirique, du Tintin de papier. Il ne reste qu'un divertissement à la mode hollywoodienne, thriller frénétique où l'écran est perpétuellement bombardé d'informations qui se succèdent plus vite que l'œil ne peut les décoder, chaviré par des mouvements de caméra abracadabrantesques au point de rendre presque superflu tout montage, au service d'un récit embrouillé où les protagonistes n'obéissent à rien d'autre qu'au bon vouloir d'un scénariste sous ecstasy. La référence à Hergé devient presque anecdotique tant les personnages pourraient aussi bien revêtir l'apparence de super héros en justaucorps ou d'archéologues à chapeau, sans que le film diffère de façon notable.

Fracas pour les yeux, vacarme pour les oreilles, disjonctage pour les méninges, Spielberg invente la ligne confuse, à des années-lumière d'une ligne claire qui n'est pas seulement une épure graphique, mais aussi et surtout une exigence narrative où chaque évolution d'une histoire obéit à sa propre cohérence, qualité qui fait assez cruellement défaut au film.

Beaucoup (trop) de cas aura été fait de la technique de motion capture, qui transmet les mouvements de véritables acteurs à des modèles informatiques. Le résultat est tout sauf convaincant . Un peu comme le rotoscope à son époque, cette façon donne naissance à des objets défiant aussi bien les lois de l'apesanteur que celles de l'animation. N'espérez pas reconnaître les acteurs plus ou moins célèbres qui se seront prêtés à l'exercice, on aurait pu employer des singes savants pour un résultat équivalent et un moindre coût.

Crash-test :

8 novembre 2011

Orbite familiale

Le skylab de Julie Delpy.

Film de vacances. A la fin des années 70, la grande famille se rassemble autour de l'anniversaire de la grand-mère pour une moment d'été dans la maison de Saint-Malo. On bouffe, on picole, on s'engueule, on engueule les mômes, et quand on a fini, on repicole et on s'embrasse. On a tous dans le cœur des vacances à Saint-Malo, et des parents en maillot qui dansent sur Luis Mariano.

Notre rédaction avait beaucoup apprécié Two Days in Paris, autre chronique familiale autobiographique de la même talentueuse réalisatrice, et attendait beaucoup de ce nouveau volet centré sur ses souvenirs d'enfance. Si les mêmes qualité d'écriture et de mise en scène sont bien au rendez-vous, il faut regretter malheureusement que tout ce talent soit dépensé au service d'un sujet plutôt creux. Malgré la grande justesse de la reconstitution historique, malgré des dialogues enlevés, on passe un peu tout le film à attendre qu'il démarre, qu'il se passe enfin quelque chose. La faute à la nécessaire multiplication des personnages de ce tableau de groupe. Aucune figure ne s'en détache particulièrement, aucune intrigue ne retient plus particulièrement l'attention, et on finit la projection presque gêné d'avoir été invité à déranger l'intimité d'une famille aussi banale.

Soulignons tout de même les francs sourires que nous aura arrachés Vincent Lacoste (Les beaux gosses) en adolescent aux prises avec ses afflux d'hormones et au peigne coincé dans le ceinturon.

Une explication sur le titre : le skylab était ce satellite en perdition qui avait vaguement menacé de s'écrabouiller sur la Bretagne en juillet 1979. Capillotracté.

Crash-test :

4 novembre 2011

Mon Dieu mon Dieu mon Dieu !...

Les locaux de Charlie Hebdo ont brûlé mercredi, à l'heure même où les premiers exemplaires de son numéro spécial finement sous-titré Charia Hebdo était distribués dans les kiosques. Ceci arrivant après l'épisode de 2006 et des caricatures danoises. Toujours les mêmes. Quelle injustice. Comme personne ne songe malheureusement à incendier les locaux de notre cyber rédaction, Hobopok Dimanche se doit d'employer tous ses efforts à essayer de collectionner à la fois une excommunication et une fatwa, et plus si affinités.

Il est temps en effet d'enfoncer le clou et d'appuyer là où ça fait mal. Car si l'attentat contre Charlie a fait l'unanimité en France, obtenant dans un beau concert d'union nationale condamnation des incendiaires et soutien au journal, certains arguments développés, y compris par des collaborateurs de Charlie, peuvent laisser pantois.


En substance, les membres du gouvernement, les politiques de tout bord, les "représentants de la société civile", défendent l'humour ciblé, qui s'en prend aux intégristes de la religion, et non pas à tous ses adeptes. Sous-entendu : heureusement que cette frontière (au demeurant parfois bien ténue, ou bien floue) n'a pas été franchie qui sépare les fidèles ordinaires et leurs intégristes violents, heureusement que l'humour de Charlie ne s'en est pas pris aux religions en tant que telles et aux fidèles en tant que tels.

Voilà, chers amis de l'humour bête et méchant, les prémices de l'autocensure qui pointent déjà. On n'en est pas encore à s'excuser de rire du sacré (ou supposé tel), mais on fait quand même bien remarquer qu'on ne visait que les extrémistes du sacré (ou supposé tel). Comme si l'on avait intégré qu'il est décidément plus convenable de s'abstenir à l'avenir de rire des religions parce qu'elles en sont, et des croyants parce qu'ils le sont. Remarquable reculade dialectique, défaite sournoise de la pensée libre et triomphe inespéré des fanatiques par la condamnation même qu'ils suscitent !

Si les musulmans ont pu se sentir visés par les dessins et les bonnes blagues de Charlie Hebdo, il faut remarquer comment les chrétiens se sont engouffrés dans la brèche pour souligner, à la lumière de quelques récents faits-divers péri-artistiques, qu'il faudrait peut-être aussi y aller mollo avec le petit Jésus. Les jaloux. Sans doute les juifs, il est vrai d'ordinaire un peu moins vocaux et moins physiques sur les questions purement religieuses, n'attendent-ils que l'occasion pour monter dans le même le train.

Tous ces sots n'ont peut-être pas remarqué que la loi, si bien faite, leur garantissait la liberté absolue de ne pas rire, de ne pas lire les journaux ni fréquenter les musées ni voir les pièces de théâtre qui les offusquent, et de passer leur triste chemin pour s'en retourner qui se noyer dans son bénitier, qui s'empaler sur son minaret, qui se fracasser la tête sur son mur des Lamentations, pour leur plus grand bien. Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

Supplément gratuit

Et par dessus le marché, Facebook a bloqué l'accès des administrateurs à la page de Charlie Hebdo sur le "réseau social", au centre d'une furieuse bataille de commentaires entre pro- et anti-, au prétexte légèrement fallacieux, notamment, que "la une publiée par Charlie contrevient aux règles d'utilisation du site qui interdisent les publications avec des contenus graphiques, sexuellement explicites ou avec des corps trop dénudés". Ça leur apprendra à aller se pavaner sur ce fichier mondial de la Stasi.