13 décembre 2010

L'aloi des séries, épisode 7

Boardwalk Empire.

C'est la nouvelle série à sensation de la chaîne étasunienne HBO, qui vient d'achever de diffuser la première saison. Coproduite notamment par Martin Scorsese, elle s'intéresse avec brio à une époque assez peu traitée à la télévision, les années 20 et le début de la Prohibition aux Etats-Unis. Inspiré d'une figure historique réelle, le personnage central est un politicien à moitié mafieux qui est le véritable maître d'Atlantic City, ville balnéaire du sud du New Jersey qui a bâti sa fortune sur le jeu et autres plaisirs plus ou moins licites, et dont le front de mer se distingue notamment par sa longue promenade de planches (boardwalk en anglais).

L'époque a beau être peu traitée, Boardwalk Empire nous fait sentir combien elle est en fait une période charnière, dans l'immédiat après-guerre, qui voit l'émergence de la société de consommation, qui accompagne la prise de pouvoir du capitalisme industriel, provoquant des changements sociétaux considérables, parmi lesquels l'émancipation féminine. Avec un luxe de détails historiques, tant scénaristiques que visuels, la série fait heureusement écho à notre époque, la guerre contre l'alcool menée pour des raisons morales se révélant aussi illusoire et vaine que la guerre actuelle menée contre la drogue. On y voit même détaillé par le menu comment la Prohibition fut en fait un coup de fouet inespéré pour les activités commerciales de la pègre, gangrenant au passage toutes les institutions démocratiques.

Scorsese s'est fait un petit plaisir en réalisant lui-même le premier épisode, se déchaînant en travellings grandiloquents, et autres angles de prise de vue invraisemblables, oubliant que la télé réclame moins d'emphase. Heureusement, les autres épisodes ont été confiés aux mains plus expertes de vieux routiers des séries dont les noms ne diront rien à personne, comme Tim Van Patten, mais qui savent plus humblement quoique sans moins de talent se mettre au service du récit.

Enfin, entre autres qualités, Boardwalk Empire vaut pour pour une interprétation remarquable jusqu'au dernier petit rôle, écrit, casté et dirigé avec soin. Mais, à tout seigneur tout honneur, il faut distinguer à la tête de la distribution Steve Buscemi, qui démontre, si besoin était encore, l'étendue de ses capacités d'acteur, et à qui le cinéma n'a pas encore donné de rôle de même envergure.

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9 décembre 2010

Zinzins au Congo

Intéressons-nous au premier Salon des auteurs africains de BD, organisé le week-end dernier à l'instigation de l'éditeur parisien L'Harmattan, qui se tenait à la mairie du cinquième arrondissement de Paris, sous le haut patronage de son invraisemblable maire Jean Tibéri, mais passons.

Car j'y suis allé essentiellement alléché par l'affiche d'un débat sur le thème "colonisation et décolonisation dans la bande dessinée", qui s'est réduit assez rapidement à un débat pour ou contre Tintin au Congo, vu qu'il réunissait les vedettes de la plainte déposée en Belgique en vue de l'interdiction de l'album d'Hergé, à savoir le plaignant, un certain Bienvenu Mbutu Mondondo, et son soutien (financier ?) le Français Patrick Lozès en sa qualité de président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), faisant face à deux dessinateurs, le Belge Jean-Philippe Stassen, et le Gabonais Pahé. Au milieu, une écrivaine colombienne enragée qui a monopolisé le micro en vociférant contre les crimes des Européens sans donner l'impression de s'intéresser le moins du monde de près ou de loin à la moindre bande dessinée.


Je résume : Hergé est responsable des guerres civiles et des crimes contre l'humanité au Congo, c'est à cause de lui qu'on refuse de louer des appartements aux Noirs, à cause de lui encore qu'on entend des cris de singe dans les stades où jouent des footballleurs noirs, et par dessus le marché, il a contraint Patrick Lozès à devoir expliquer à son fils que Tintin au Congo ne décrivait pas une réalité ni actuelle ni passée. Ce qui est tout de même terrible.

Peu de mystères auront été éclaircis autour des motivations et de la personnalité de Bienvenu Mbutu Mondondo, que Pahé décrit ironiquement comme un Congolais belge, jeune étudiant d'une quarantaine d'années, et qui ne nous a notamment pas dit ce qu'il ferait, une fois l'interdiction obtenue, des exemplaires de Tintin au Congo qu'il doit posséder en grand nombre, vu qu'on ne le voit plus jamais sans. Guère de lumière aura été portée sur le sens du soutien du CRAN de Lozès à une action visant à interdire Tintin au Congo en Belgique quand lui-même en tient pour la simple insertion d'un avertissement en préambule de l'ouvrage.

Stassen a essayé de défendre une position extrême, à savoir l'opposition de principe à toute censure. C'est aussi la nôtre, où Mein Kampf en bande dessinée serait distribuée aux enfants des écoles pour leur édification.

On se demande encore pourquoi ces nouveaux ayatollahs s'en prennent exclusivement à Tintin au Congo, alors que l'album L'étoile mystérieuse dégage de forts relents d'antisémitisme, que des épisodes de Jo, Zette et Jocko montrent des petits nègres cannibales plus ridicules que ceux de Tintin au Congo, et qu'ailleurs dans la BD, dans Buck Danny, dans Astérix, Lucky Luke, merci de compléter ma liste, les stéréotypes raciaux voire racistes coulent des jours heureux. Mais à vrai dire, là où je suis horriblement vexé, c'est que personne ne songe à interdire Le temps béni des colonies.

5 décembre 2010

Prenons la fuite

Wiki : terme hawaïen signifiant rapide. Leak : mot anglais pour fuite, comme en plomberie. Mais vu que wiki a pris le sens de "site ouvert aux contributions des internautes", il faudrait donc accorder au terme Wikileaks le sens de "fuites contributives".

Dans le dernier cas d'espèce qui vaut à l'organisation Wikileaks un regain de gloire mondial, un seul contributeur aurait été identifié, Bradley Manning, un pauvre gamin de 23 ans servant sous la bannière étiolée (ce n'est pas une faute de frappe) en qualité de spécialiste du renseignement (de ce côté là c'est assez réussi) qui en pianotant au petit bonheur la chance sur son ordinateur, aurait mis la main sur 250 000 (à la louche) télégrammes diplomatiques du département d'Etat étasunien, les aurait téléchargés aussi sec sur sa clé USB, et les aurait transmis à Wikileaks pour être rendus publics urbi et orbi. Mais bien sûr.

De deux choses l'une. Ou bien on se fiche de nous maintenant, et ces informations ne fuitent pas très innocemment, qui qu'elles servent. Ou alors on se fiche de nous le reste du temps en nous faisant croire que les Etats-Unis sont une hyper puissance technologique naviguant à des années-lumière devant le reste de la techno-planète, quand le premier geek venu peut mettre à plat toutes ses cyber-défenses en trois clics, auquel cas je serais Al-Qaida, j'embaucherais séance tenante une armada de Bradleys Mannings. A moins qu'on ne se fiche de nous en général, ce qui ne peut pas être totalement exclu.

Un sérieux problème de robinet à résoudre.

Evidemment vexés, pour le moins, non tant par les révélations d'un intérêt très relatif contenues dans ces câbles (Qui vous savez est petit et énervé, Berlusconi aime les putes, Merkel s'endort chaque soir à 16h30, etc...), que par le fait de s'être fait prendre par plus petit que soi, les gouvernements quasi unanimes, à commencer par ceux des supposées démocraties, dont le nôtre, à l'unisson avec ceux des pays les plus progressistes comme la Russie ou la Chine, ont sonné l'hallali contre Wikileaks.

A vrai dire, la réaction ulcérée des chancelleries mondiales paraît mystérieusement disproportionnée rapportée à la valeur assez anecdotique, quoiqu'historiquement intéressante, des télégrammes révélés. On voit par là que Wikileaks a dû toucher un nerf, bien plus douloureusement que lors des précédentes campagnes de publications de documents militaires US consacrées notamment à l'Irak ou à l'Afghanistan. C'est un système mondial, vieux comme le monde, de relations diplomatiques, contenant sa juste part d'hypocrisie, qui se trouve mis à nu et ridiculisé, tout comme est rendue ridicule l'incapacité du département d'Etat à protéger ses petits secrets.

Et la contre-attaque est fulgurante, et tous azimuts. Tout d'abord contre Wikileaks et son porte-parole, l'énigmatique Australien Julian Assange. Le premier étant l'objet de tracasseries multiples visant à le rayer de la carte du net, le second étant traîné dans la boue avec de fort suspectes accusations de viol en Suède. Bon, à la rigueur, c'est au moins dans la logique des choses. Notons au passage comment en France même un illustre ministre de l'Industrie se prend pour Anastasie en réclamant la censure technique du site. Je suis bien naïf, me rétorquera-t-on, mais les bras m'en sont tombés. Voilà pour qui croyait vivre dans un Etat de droit, si ces mots ont encore un sens.

La seconde phase, qu'on commence à sentir poindre, est, à travers de Wikileaks, une mise en accusation d'Internet tout entier en tant que tel, et un appel à sa mise sous tutelle étatique (voir notamment l'effarant projet du Sénat étasunien COICA, qui fait écho à notre Hadopi que le monde entier nous envie). Au nom bien sûr de la protection des citoyens. Dont, que je sache, Wikileaks a occis moins que les services diplomatiques acharnés à sa perte. Irresponsables, dangereux, totalitaires, sont les savoureux qualificatifs qu'on entend revenir en boucle dans la bouche des gens respectables aux affaires ou aspirant à y revenir, comme si les services secrets, bras armés des nations, n'étaient que Bisounours responsables, inoffensifs, et adeptes de l'autogestion coopérative décentralisée. Un peu comme le 11 septembre avait permis de justifier l'invasion de l'Irak, l'affaire Wikileaks permettrait de museler Internet, bien qu'il n'y ait guère plus de lien entre le cablegate et Internet qu'il n'y en avait entre l'Irak et le 11 septembre.

Car Wikileaks serait le pur produit d'Internet, ce qui est factuellement parfaitement faux. Wikileaks a procédé ni plus ni moins à un travail journalistique basique : la vérification, l'analyse, et la publication de documents intéressant l'opinion publique. Comme le fait tout journaliste d'investigation en presse écrite en publiant par exemple les déclarations de revenus de personnalités ou des PV d'auditions dans des procédures judiciaires traitant d'affaires politiques. Personne alors ne demande la mise sous tutelle ou la saisie des imprimeries et des stocks de papier. Personne alors n'accuse les journalistes de viol ou de pédophilie. Quoique. Le seul tort de Wikileaks serait donc de vivre avec son temps et de changer d'échelle grâce à la technologie en mettant à la disposition d'un public mondial des sommes de documents jamais vues.

On en vient à soupçonner que finalement le plus insupportable pour nos chers dirigeants et grands leaders, si unanimement indignés, c'est de se retrouver, arroseurs arrosés, soudain nus dans le feu des projecteurs, quand ils n'aspirent qu'à l'ombre. A tous les citoyens dans l'œil des caméras de surveillance omniprésentes, soumis à des contrôles d'identité, à des palpations de sécurité, suspects permanents, ne répètent-ils pas qu'il n'ont rien à craindre s'ils n'ont rien à se reprocher ? Voilà la formule retournée contre ses auteurs.

Wikileaks, dont le fonctionnement peut parfois paraître énigmatique, doit être remercié quand ce ne serait que pour ça.

30 novembre 2010

Election piège à con

Je commence à en avoir plein les oreilles, alors à nouveau je prends ma plus belle plume pour tordre le cou à un exaspérant travers linguistique qui dévaste la presse, parlée ou écrite, le microcosme politique qui n'avait pourtant guère besoin de dévastation supplémentaire, et jusqu'à la plèbe des manants imbéciles, fût-ce à son corps électoral défendant. Un travers qu'on retrouve jusque dans la bouche fétide de certains des plus endimanchés politologues autoproclamés. Il est donc temps que j'intervienne, parce qu'on a pas fini d'en avoir soupé avec ça : les élections présidentielles !

Eh bien non chers amis rachitiques du bulbe, toxicomanes mondains, et autres lettrés en bas de casse exclusivement, il n'y aura pas en 2012 plusieurs élections présidentielles dans notre jadis beau pays de France, mais bien une seule. Je ne vois pas bien comment il pourrait y avoir davantage d'élections qu'il n'y aurait d'élus qu'elles servent à désigner, et dans la mesure où on ne cherchera à élire qu'un seul bon Dieu de président de la foutue République, il n'y aura ipso facto qu'une seule, fût-elle à deux tours, élection présidentielle. Singulier . Sans "s".

Pour élire plusieurs députés : des législatives. Pour élire un seul président : une présidentielle. Ou alors il va falloir s'en fader plusieurs, et personne ne m'a prévenu.

Notez au passage que la même crétinissime erreur est commise, au premier chef par ses propres promoteurs, au sujet de l'élection primaire visant à choisir un candidat au sein du Parti mollement socialiste. Pour élire un seul candidat : une seule élection primaire (c'est-à-dire précédent la présidentielle), d'autant que pour ce que j'en ai compris, elle se déroulera simultanément dans tout le pays avec une seule liste de candidats et servira à désigner un seul et unique heureux élu. C'est à dire le candidat. Tout le monde suit ?

Une élection présidentielle. Une seule, et hop !

Je ne me fais pas plus bête que je ne suis, je sais très bien d'où provient cette vogue du dernier chic décérébré : mais on est pas aux Amériques ici ! Car aux Etats-Unis, de fait, s'il n'y a bien comme chez nous qu'un seul président élu in fine, les électeurs de base n'élisent pas le président mais des grands électeurs, Etat par Etat, qui eux-même désignent, en général sans grande surprise, le président de l'Union. Il y a donc en fait simultanément au sein des cinquante Etats des élections servant à désigner une tripotée de grands électeurs. On peut donc à la rigueur admettre en tenant compte de ce mode de scrutin joliment tarabiscoté, qu'il s'agit là d'élections. Présidentielles. Pluriel.

Même topo pour les tours de primaires, qui se déroulent sur plusieurs semaines à l'instigation des deux grands partis, qui sont en fait un collage de cent élections, une pour chaque parti pour chaque Etat, selon des modes de scrutin et autres modalités variables, où des délégués de l'Etat à la convention de chaque parti sont élus. Et ce sont les conventions qui désignent formellement les candidats, pas les primaires. Le PS va tenir une damnée convention ? Pas que je sache.

Bon là, je crois avoir fait le tour, et servi une leçon définitive à tous les professionnels de la langue française inévitablement appelés à se colleter au sujet. Veuillez donc dorénavant ne plus mentionner qu'au seul singulier l'élection présidentielle de 2012, et son préalable la primaire du Parti prétendu socialiste. Et tenez-vous le pour dit. Sinon je vote Marine aux élections.

Nota bene : les extraits des pages roses m'ont été aimablement prêtés par qui vous savez.

28 novembre 2010

Sirop durable

Certains s'échinent dès leur plus jeune âge dans des émissions de télé-crochet en espérant voir leur talent parfois bien ténu recevoir l'éphémère onction électronique des masses, d'autres se pointent, branchent le micro, et se vident les tripes aussi ingénument qu'une gamine de la Belle Province enduit ses pancakes de sirop d'érable.

La québécoise Nikki Yanofsky fait partie de cette deuxième énervante catégorie, qui à seize ans à peine fait l'étalage de capacités vocales hors du commun doublées d'une qualité d'interprétation qu'on imagine découler d'une personnalité bien trempée. Elle vient de sortir un nouvel album, portant son simple prénom, de standards du jazz en tout point décoiffant, après un premier il y a deux ans en hommage à, excusez l'immodestie, Ella Fitzgerald.

Rarement enfant prodige aura été aussi convaincant depuis Judy Garland (dont Nikki Yanofsky reprend comme par hasard Over the Rainbow sur son nouvel album). Je vous la laisse écouter, elle avait treize ans.



Et si elle veut, elle scatte. Notez comment les Montréalois préfèrent braver les intempéries et les éléments déchaînés pour venir l'écouter plutôt que de rester bien au sec chez eux à se goberger de sirop d'érable.



Ouf.
Permettez moi de me relever, j'étais tombé par terre.

21 novembre 2010

Perdu de vue

Il n'est pas dans les habitudes de votre cyber gazette favorite d'emprunter ses contenus à d'autres publications du web, mais enfin il serait dommage que la petite pépite dénichée par l'excellent blog de notre bon ami Li-An ne rencontrât pas toute l'audience qu'elle mérite. Aussi est-ce sans le moindre scrupule que je vous invite à mon tour à vous délecter de ce petit court métrage produit par trois étudiants taïwanais de la National Taiwan University of the Arts, qui seraient bien inspirés de persévérer dans le cinéma d'animation. On aura déjà vu des oscarisés moins talentueux...

7 novembre 2010

A tous les enfants
qui sont obéissants...

Aglaé et Sidonie.

La chanson du générique de cette série (qui n'est, reconnaissons-le, pas d'une complexité dodécaphonique) ne m'a pas quitté depuis mes trois ans quand je regardais à l'ORTF les aventures de cette basse-cour de haut vol. Aussi quelle ne fut pas ma surprise (mon sang n'a fait qu'un tour) quand je suis tombé sur une réédition en DVD de cette création d'André Joanny.


Dire que l'animation n'a pas vieilli serait légèrement exagéré, pourtant on y voit tout de même une étape non négligeable quelque part entre Ladislas Starevitch et Nick Park. Les épisodes sont brefs, mais la langue qui y est parlée, notamment par Croquetout, le renard rusé (c'est à dire qui se fait toujours avoir) ou par le coq imbécile Agénor, est un pur délice, à des lieues et des lieues du nivellement par le bas auquel se croit contrainte la quasi totalité des séries jeunesse contemporaines.



C'était mieux avant, serait-on alors tenté de conclure, conforté par l'impressionnante impression que produisent Aglaé, la cochonne, et Sidonie, l'oie, sur une gamine de deux ans et demi, filant trois, à la grande stupéfaction des parents.

1 novembre 2010

Le sabre et le goupillon

Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois.

Fait divers philosophique. Les derniers jours des moines français de Tibéhirine en Algérie, morts en 1996, pris au milieu de la guerre sans merci que se livraient alors des rebelles islamistes et les forces de sécurité. Le nouveau film du cinéaste préféré de qui vous savez.

Tout d'abord une petite mise au point, pour préciser que ce film n'est évidemment pas une bondieuserie, mais une réflexion assez pertinente sur le sens de la vie, de l'engagement, et du sacrifice. Peu de suspense, dans la mesure où l'issue inéluctable du film n'échappe pas plus aux spectateurs qu'aux principaux intéressés, les moines eux-mêmes. C'est d'ailleurs là la clé du film et sa force : la conscience de leur fatal destin confond les personnages sur l'écran et les spectateurs dans la salle, où l'on est alors plus à même de partager les moments de terreur que traversent les moines lorsqu'ils comprennent les implications tragiques de leur choix de rester au monastère envers et contre tout.

Sans être un film à proprement parler chrétien, car Beauvois jette un regard sans beaucoup d'empathie, assez glacial, sur ces moines, il y est tout de même beaucoup question de foi. Ce que le film donne à voir avec humanité, c'est comment ces hommes de Dieu, qui vénèrent un martyr bi-millénaire, se retrouvent par le jeu des circonstances en position de vivre pour de vrai l'essence même de leur religion, en suivant très prosaïquement le chemin du Christ, et comme lui de donner leur vie par amour. La scène de la cène (le dernier repas) signe de façon évidente ce parallèle christique. S'appuyant sur une mise en scène très sèche, d'un dépouillement tout monacal, Beauvois analyse avec subtilité les chemins divergents qu'empruntent les différents frères pour accepter leur sort, avec une humilité de surface qui n'est pas exempte d'un paradoxal orgueil. Car il y a de l'orgueil à se croire partie intégrante du paysage algérien, quand à l'évidence, ces intrus, européens, chrétiens, sont un corps étranger que l'Algérie en proie à des convulsions s'apprête soit à détruire soit à expulser. Le monastère gênait en effet autant les islamistes que les forces de sécurité (terme générique englobant armée, gendarmerie, police, services secrets) qui les combattaient.

Encore aujourd'hui, nul ne sait exactement ni comment ni par qui ni même pourquoi les moines de Tibéhirine ont été tués. Sans prendre parti, Beauvois fait tout de même allusion aux plus récentes théories en montrant au cours du film un hélicoptère militaire qui survole longuement le monastère de façon menaçante, façon Apocalypse Now... Il laisse cette énigme en suspens avec son époustouflant dernier plan, où les moines marchant dans la neige finissent par disparaître avalés dans la brume. Rideau.

Crash-test :
A lire aussi, l'histoire moins connue d'autres
hommes et des dieux.

30 octobre 2010

Memphis Blues

Cyndi Lauper n'est pas morte, elle fait partie de ces filles qui veulent juste s'amuser, nous montrer leurs vraies couleurs, toujours et encore. Seulement elle se met à chanter le blues, accompagnée par le pianiste néo-orléanais Allen Toussaint (et B.B. King sur l'album). Non sans un certain succès. C'est tellement beau qu’on en pleurerait, si seulement on avait un cœur.

24 octobre 2010

Independence Day

Hors-la-loi de Rachid Bouchareb.

La décolonisation pour les nuls. Des massacres de Sétif en 1945 à celui de Charonne en 1961, l'itinéraire de trois frères algériens en France, impliqués à des degrés divers dans le mouvement de libération nationale. Un intello, un vétéran d'Indochine, un mac. L'un porte des lunettes, l'autre a le visage balafré par des cicatrices de guerre, le troisième porte son chapeau de travers. Saurez-vous les retrouver ?

A mon grand dam, quoiqu'instruit par l'expérience potentiellement désastreuse d'Indigènes du même réalisateur, que j'avais prévu de voir en vidéo, avant d'arrêter le lecteur après cinq minutes d'affligeantes inepties visuelles, je me suis forcé à rester jusqu'au bout de deux heures dix-huit d'indigeste sous-cinéma.

Rachid Bouchareb confond le cinéma et l'illustration. Il décrète l'émotion sans se donner la peine de chercher à la susciter, se reposant sur des dialogues explicatifs auxquels l'image vient abonder, faisant du pléonasme visuel un style à part entière, où aucun archétype ni aucun cliché ne nous est épargné. Le scénario, qui au demeurant n'est pas à sens unique, il ne glorifie pas les uns pour exonérer les autres, est surtout réducteur, au sens où il plie tant les personnages que les situations à l'intention des auteurs, en faisant fi de toute logique narrative, en même temps que de toute cohérence de mise en scène. C'est le triomphe de la lourdinguerie téléfilmesque, sous prétexte d'édification des masses.

Est-ce à dire que ce film, ou prétendu tel, est totalement dépourvu de toute qualité ? Curieusement non, la photographie et la direction artistique, lumière, décors et costumes, étaient plutôt intéressants, notamment la recréation du bidonville de Nanterre à la fin des années 50, improbable et incongru personnage de cinéma, à ceci près que Bouchareb n'en tire aucun parti. La scène du mariage est à cet égard passablement ratée. N'est pas Coppola ou Cimino qui veut.

Reste à espérer que ce ne soit pas Bouchareb qui se mette en tête de filmer l'histoire de Rachid Mekhloufi, héros de l'A.S. Saint-Etienne et du football algérien...

Crash-test :

23 octobre 2010

Saga Africa

Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle, d'Alain Ferrari, Elikia M’bokolo, Philippe Sainteny.

De temps en temps, entre des séries débiles, des talk-shows crétins, et des émissions de télé-réalité consternantes, on peut se dire, quand même, qu'il y a quelques bons moments qui justifient encore d'allumer sa télévision. La série documentaire Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle sur France 5, fait partie de ceux-là.

Voilà un travail extrêmement ambitieux, à savoir tracer un portrait historique du continent, réalisé avec une grande intelligence, ne donnant la parole exclusivement qu'à des Africains, et servi par une collection d'archives exceptionnelles, dont certaines sont rarement ou jamais vues.

A la surprise générale, il ressort que l'histoire récente de l'Afrique est intimement liée à celle de l'Europe. Raconter l'histoire de l'Afrique, c'est aussi en filigrane, à bien des égards, dire l'histoire de l'Europe. Ce simple constat est en lui-même problématique, et illustre toute la difficulté des rapports entre les deux continents.

Il est à souhaiter que cette série, qui sera aussi éditée en DVD, sera largement diffusée en Afrique même, car elle porte une large part de la mémoire du continent. L'un des auteurs faisait remarquer non sans justesse que vu l'extrême jeunesse, au sens démographique, de l'Afrique, même les années 90 ressemblent à de la préhistoire pour bien des Africains.


A suivre sur France 5 tous les dimanches soirs. Déjà deux épisodes diffusés, encore deux autres d'une heure et demie chacun les 24 et 31 octobre. La série doit être diffusée sur TV5 Monde, va savoir quand.

11 octobre 2010

Noir et blanc

Je sais. C'est à peine croyable. Mais j'ai ressorti Coco et Bwana des tiroirs en vue d'une réédition à venir du Temps béni des colonies. Voilà déjà un petit bonus.

5 octobre 2010

Jeux de l'amour et du bazar

Tamara Drewe de Stephen Frears.

Marivaudage mortel. Une jeune et séduisante journaliste qui s'est fait refaire le nez revient dans le petit village du sud de l'Angleterre où elle a grandi en compagnie de son appendice nasal d'origine, et cristallise sur son passage toutes les passions et rancœurs recuites du microcosme local, au premier rang duquel se trouvent les hôtes d'une retraite pour écrivains sise au domicile d'un auteur à succès. Frears dézingue, un mort.

Encore aurait-il fallu lire le machin graphique (sorte de semi-bande dessinée) de Posy Simmonds que Frears a adapté pour savoir à qui, de Simmonds ou de Frears, attribuer le mérite de l'acidité et de la vivacité de ce film. Vu que je n'ai pas ouvert le bouquin j'opterai pour la seconde solution, et louerai la pertinence de point de vue du réalisateur anglais qui, film après film, se montre aussi à l'aise dans le drame que dans la comédie. En l'occurrence, c'est la comédie, grinçante à souhait, qui domine ici. On rit beaucoup de la méchanceté et de la mesquinerie de la quasi totalité des personnages, galerie de portraits gratinée où se retrouvent des collégiennes acnéiques, une rock star, un athlétique factotum, un chien exubérant, et des écrivains de différents niveaux de médiocrité et de succès (dans des proportions apparemment équivalentes) que leur égale incompréhension de la littérature et du monde autorise à pontifier sur tous sujets. Se dégage un propos assez nettement misanthrope, où même l'amour est passablement ridiculisé, à tout le moins ramené au rang de condiment humain, et où le personnage principal se montre, malgré sa saisissante beauté de fraîche date, au même pitoyable niveau moral que ses malencontreuses victimes.

Gemma Arterton, l'interprète du rôle-titre, s'est fait offrir avec ce film une merveilleuse occasion de démontrer que ses talents d'actrice sont largement au niveau de sa plastique avantageuse. Talents qu'elle s'était crue obligée d'aller galvauder dans des chefs d'œuvre du nanar numérique comme Le choc des titans ou Prince of Persia. Souhaitons lui davantage de discernement à l'avenir, on se fera un plaisir de la revoir, y compris habillée, mais pas dans des grosses daubes de préférence !

Crash-test :

29 septembre 2010

Obapok

Un projet (pas follement original, je sais, pas franchement dans le feu de l'actualité, je sais, mais en même temps tant mieux) pour une carte de visite.

26 septembre 2010

L'aloi des séries, épisode 6

Treme.

David Simon, le créateur de l'épatante série The Wire, débarque à la Nouvelle-Orléans pour y dresser un portrait de la ville après Katrina (l'ouragan qui a dévasté la ville en août 2005). Treme est l'un des quartiers populaires de la ville qui eut le plus à souffrir de l'inondation. L'occasion d'un commentaire politique assez virulent sur la façon dont la catastrophe naturelle a été aggravée par une impréparation criminelle (ce qui semble le lot de chaque catastrophe meurtrière, la dernière en date sur nos côtes en Vendée...), comment la nation étasunienne et le pouvoir fédéral ont abandonné la ville à son triste sort, et surtout comment des enjeux politiques à court terme visent à tirer partie de ces circonstances exceptionnellement dramatiques pour tenter de couper la Nouvelle-Orléans de ses racines, folkloriser sa culture, et in fine gentrifier la métropole, c'est à dire la blanchir en empêchant les pauvres réfugiés noirs de regagner leurs logements inondés ou non.

Au cœur de la série, indissociable du discours, la musique est omniprésente, hommage permanent à la vigueur du berceau historique du jazz, où chaque personnage semble ne vivre que par et pour la musique, comme si les cuivres des fanfares étaient la seule assistance respiratoire qui maintenait le ville en vie.

Le tout premier épisode est absolument époustouflant. Réalisé par la cinéaste polonaise Agnieszka Holland (Europa Europa), il dure une heure et vingt minutes, et à vrai dire, cet épisode est d'une telle puissance d'évocation, qu'il aurait pu être à lui tout seul un long-métrage, donnant toutes les pistes de réflexion utiles à la compréhension des enjeux consécutifs à Katrina. Après une telle claque dans la figure en guise d'ouverture, les autres épisodes peuvent paraître plus conventionnels, avec le croisement de personnages et d'intrigues propres au genre de la série. Mais heureusement, David Simon ne perd jamais de vue son propos, secondé par une distribution au diapason, retrouvant ses acteurs fétiches aussi méconnus que brillants, Clarke Peters, Wendell Pierce, Khandi Alexander, auxquels se sont joints entre autres Steve Zahn et John Goodman.

La première saison, diffusée par HBO, compte dix épisodes. Dix autres ont déjà été tournés. En guise d'amuse-bouche, je vous laisse apprécier l'excellent générique.



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25 septembre 2010

Coming out al dente

Le premier qui l'a dit de Ferzan Özpetek.

Comédie familiale à voile et à toute vapeur. A Lecce, dans le sud de l'Italie, un fils revient de Rome pour prendre sa part dans la succession de la fabrique de pâtes familiale. Préférant la littérature à l'industrie, il est empêché par son frère de révéler son homosexualité, et doit finalement rester à l'usine mettre la main à la pâte. Turbulences, revirements, révélations, scènes de la vie de province, ainsi va la famille où il est difficile d'accepter chacun tel qu'il est.


Un peu grossier dans la forme mais subtil sur le fond, voilà un bien curieux film, coproduit par la RAI Cinema, qu'on croirait taillé pour l'équivalent transalpin d'un dimanche soir fédérateur à la télévision. Et c'est vrai qu'Özpetek ne rechigne pas à recourir à quelques grosses ficelles, pas toujours d'une grande légèreté, et à inonder le film de bruyante pop italienne. Mais sous ces gros sabots se cachent en vérité des trésors de finesse dans le traitement d'un sujet qui aurait pu être autrement scabreux, grâce à des personnages précisément dessinés, grands et petit rôles confondus, et une capacité remarquable à mêler sans niaiserie des moments d'émotion et des scènes de comédie hilarantes. Le réalisateur fait toute la preuve de son savoir-faire quand il parvient à nous faire mourir de rire devant un personnage qui fond en larmes.

Je ne sais pas s'il faut aller jusqu'à en référer aux plus riches heures de la comédie italienne, mais Özpetek, qui est turc, réussit un film à la fois classique, drôle et malin, où la question de l'homosexualité n'est que l'une des composantes d'une ambitieuse fresque familiale. Ça valait vraiment la peine de sortir du placard.

Crash-test :

22 septembre 2010

Miettes de crabe

Le crabe aux pinces d'or de Claude Misonne et João Michiels.

Tournée en 1947, rééditée en DVD en 2008, voici une perle rare que m'a fait découvrir un tintinophile averti. Il s'agit du tout premier long métrage de cinéma tiré des aventures de Tintin, qui fut projeté en public une seule fois en tout et pour tout, tomba dans les oubliettes de l'histoire, avant d'en être extirpé par M. et Mme Rodwell.

On peut découvrir l'invraisemblable histoire de ce film dans cet article que lui a consacré la Libre Belgique. Et profiter dès maintenant grâce à votre cyber gazette favorite d'un aperçu de cet incunable.

21 septembre 2010

L'essence de l'existence

L'arbre de Julie Bertuccelli.

Mélo familial arboricole. Dans un bled poussiéreux du fin fond de l'Australie, après la mort de son séduisant mari, une jeune et séduisante mère de famille nombreuse s'efforce de réapprendre à vivre. Elle habite à l'ombre d'un arbre gigantesque, qui devient bientôt une menace pour toute la maisonnée, tandis que sa petite fille s'est persuadée que l'esprit de son défunt père loge dans ses branches. Du père, de l'arbre, de la maison, de la famille, duquel faudra-t-il faire le deuil ?

Fort heureusement, Julie Bertuccelli, qui est aussi l'auteur du scénario, n'a pas poussé le vice jusqu'à instiller une dose de surnaturel là où quelques malencontreuses coïncidences suffisent à accréditer vaguement l'idée farfelue que l'arbre est hanté par l'esprit du défunt. Mais on l'aura bien compris, cet arbre, symbole de vie, est aussi dans ce film un symbole, pas très subtil, de la mort, et du passé dont il faut faire table rase pour avancer. Finalement, un peu trop d'importance est donné à ce rôle-tire de l'arbre, au détriment du portrait des relations entre les autres personnages, dont la psychologie n'est qu'effleurée. C'est l'arbre qui cache la forêt des sentiments humains, et l'occasion est manquée de faire un vrai beau film sur l'enfance face au deuil. Davantage d'interaction entre les autres orphelins aurait donné davantage d'épaisseur à ce portrait de groupe, d'où n'émergent vraiment que la mère et la petite fille.

Malgré ces maladresses dans l'équilibre du scénario, il faut reconnaître à Julie Bertuccelli un vrai talent pour raconter une histoire en images, avec de bien jolis vues de ce bled poussiéreux du fin fond de l'Australie, banlieue de petite ville à la frontière de l'outback, inondée de lumière australe. La réalisatrice n'a au moins pas scié la branche où elle était assise.

Crash-test :

20 septembre 2010

Ma mère ce zéro

Copacabana de Marc Fitoussi.

Rédemption maternelle. Une quinquagénaire égocentrique, immature et fantasque, fauchée comme les blés parce qu'éprise de liberté et de bossa nova, a échoué à Tourcoing avec sa revêche fille vingtenaire qui a du mal à supporter ses lubies. Tenue à l'écart du projet de mariage de la demoiselle, la mère tente de se refaire à Ostende en devenant vendeuse de résidences de vacances en multipropriété, et finit tant bien que mal par regagner l'estime de sa fille.

Avec ce sujet assez ténu et légèrement casse-gueule, du genre qui a servi de base à quelques milliers de films français dispensables, Marc Fitoussi réussit le tour de force de faire un film à la fois intelligent, sensible et drôle, grâce à deux ingrédients habilement complémentaires. Primo un sens de l'image et du montage qui laisse respirer le film au grand air de la mer du Nord, avec autant de beaux cadres, de belles lumières, que de belles ellipses. Deuxio un couple d'actrices, Isabelle Huppert en forme olympique, face à sa véritable fille dans la vraie vie, Lolita Chammah, qui se révèle à la hauteur. Avec Aure Atika pas mal non plus en commerciale super salope. Résultat : le récit parvient à faire passer avec grâce et légèreté le commentaire social et le drame psychologique, assaisonnés d'une pointe d'amertume tempérée d'un peu de foi dans la vie. L'émotion finit par nous gagner, et pour une fois c'est tout sauf niais.

Alors bien sûr on pourra chipoter en estimant notamment que le film aurait pu (c'est à dire dû) se terminer deux plans plus tôt, mais ça ne suffit pas à gâcher le plaisir passé inexplicablement le long des plages d'Ostende, ersatz septentrional à peine moins chaloupé d'un Brésil rêvé.

Crash-test :

9 septembre 2010

Shérif, fais-moi peur !

The Killer Inside Me de Michael Winterbottom.

Mais que fait la police ? Dans un petite ville du sud des Etats-Unis, un jeune shérif adjoint, gentil garçon apprécié de tous mais incapable de sentiments, perturbé et sadique, entreprend d'occire quiconque a le malheur de lui accorder un tant soit peu d'affection. Grisé par sa toute-puissance, il finit par jeter toute prudence à la rivière, jusqu'à devenir lui-même son ultime victime.

Vu le traitement quasi guilleret de cette histoire sordide, ponctuée de scènes d'une violence assez gratinée, on ne sait si le réalisateur voulait jouer du contraste. Mais l'humour étant totalement absent, il n'est pas exagéré d'y voir comme un ratage, alors que le sujet, tiré d'un roman de Jim Thomson, aurait pu donner matière à un vrai film noir poisseux dégoulinant de méchanceté et de cynisme. Au lieu de quoi on se contente d'une reconstitution scolaire des années 50, alignant les clichés sur les petites villes, sans assurer la cohérence d'interaction entre les protagonistes, avec pour toute idée de mise en scène une surabondance d'illustration musicale. Le personnage principal reste lointain, à aucun moment on ne pénètre un tant soit peu dans sa psyché tourmentée, quelques misérables flashbacks sur son enfance ne suffisant pas à lui donner de l'épaisseur. On ne sait s'il faut davantage en blâmer l'interprète, Casey Affleck, ou le peu inspiré réalisateur Michael Winterbottom, qu'on avait vu plus à son affaire dans la fiction à saveur documentaire The Road to Guantanamo.

Dans une logique similaire, on peut préférer la fameuse série Dexter, qui met en scène un tueur en série (ipso facto) travaillant pour la police, sorte de parabole sur le visage souriant du mal absolu, dont les implications à la fois politiques et psychanalytiques ne souffraient pas des mêmes déficiences narratives. Avec Winterbottom, les dernières victimes seront les spectateurs, qui risquent de trépasser d'ennui.

Crash-test :

7 septembre 2010

A poil et à plumes

Tournée de Mathieu Amalric.

Tour de France pour tours de poitrines. Un producteur minable, ex-vedette de la télé (sans que ça apporte quoi que ce soit à l'histoire) emmène en tournée en France une petite troupe d'effeuilleuses étasuniennes promptes à se déplumer, retrouve brièvement ses deux fils, cherche un point de chute à Paris, et finit dans les bras d'une fausse blonde pulpeuse.

Difficile, après avoir vu le film, d'imaginer ce qui a pu provoquer une telle euphorie lors de sa présentation à Cannes. Dire qu'on en parlait même pour la Palme d'or... Amalric aurait été bien inspiré de se cantonner à la mise en scène et de donner le premier rôle à un comédien mieux à même de donner chair à sa vision sans s'abandonner à de complaisantes scènes d'hystérie inexpliquées. Car il a beau lorgner avec insistance du côté de Cassavetes, il ne parvient jamais à transformer ce non récit vaguement fangeux en épopée romanesque digne d'intérêt. On y voit donc surtout un vain essai formel, où le réalisateur novice s'échine à imiter ses maîtres, mais désespérément rempli de vide.

Comble de maladresse, les scènes de strip-tease sont particulièrement mal filmées car peu filmées, on n'en voit pas grand chose à vrai dire, alors qu'on aurait pu croire qu'il y a avait là matière cinématographique de premier choix. Quant à l'idylle subite entre le producteur et la danseuse, elle est aussi improbable que commode pour ficeler le film et aboutir à un semblant de fin. Bref, Amalric et ses danseuses peuvent aller se rhabiller.

Crash-test :

3 septembre 2010

Dans tes rêves

Inception de Christopher Nolan.

La vie est un songe. Commandité par un puissant industriel, un spécialiste de la manipulation des rêves s'introduit dans l'inconscient de l'héritier du groupe concurrent. Son objectif : implanter dans le cerveau de la victime de cette arnaque sophistiquée le désir spontané de démanteler son propre empire ! Chemin faisant, notre Morphée des temps futurs va devoir régler ses comptes avec son propre subconscient. Et si tout cela n'était qu'un rêve ?

Christopher Nolan devait être persuadé de tenir entre les mains tous les éléments d'un nouveau Matrix apte à révolutionnerà son tour le genre de la science-fiction : un scénario gigogne multi-couches à tiroirs, pas d'une inventivité parfaitement inouïe dans le genre réalité dans la réalité, mais au moins ingénieux, une brochette de comédiens talentueux, et une débauche d'effets spéciaux numériques à sa disposition. Las, un seul ingrédient suffit à gâcher ce cocktail prometteur : une musique omniprésente et envahissante, de facture disons douteuse, qui ruine l'ambiance aussi sûrement qu'une sonorisation de centre commercial. On espère en vain une seconde de répit pour profiter un peu d'un dialogue ou d'un effet de mise en scène, mais non, on a les oreilles perpétuellement remplies de bouillie, et on peine à discerner dans ce fracas permanent autre chose qu'une volonté de distraire ou d'épater, sans commentaire politique ou social très perceptible.

Et c'est bien dommage, car à défaut de révolutionner la science-fiction, le film laissait entrevoir de bons moments, avec pour une fois, une utilisation aussi judicieuse que spectaculaire d'effets spéciaux numériques, que nous sommes d'ordinaire plus enclins à décrier.

Dans la distribution, on peut signaler Leonardo DiCaprio, qui film après film, y compris les plus vaseux, démontre qu'il n'est pas qu'une figure de proue pour transatlantique, et aussi Joseph Gordon-Levitt, qui a bien grandi depuis la cocasse sitcom Third Rock from the Sun qui l'avait révélé.

Crash-test :

2 septembre 2010

La télévision mène à tout
à condition d'en sortir

Gosse de peintre, Beat Takeshi Kitano, à la Fondation Cartier pour l'art contemporain à Paris, jusqu'au 12 septembre.

Ultime arrière-goût de vacances, plus que quelques jours pour aller profiter de cette jolie petite exposition consacrée à une personnalité japonaise hors-norme, un honnête homme touche-à-tout connu en France pour ses films sensibles et profonds, tels Hana-bi ou Aniki, mon frère. Mais au Japon, Kitano s'est fait connaître sous le nom de Beat Takeshi en faisant l'andouille à la télévision des années durant, produisant des émissions plus crétines les unes que les autres, donnant libre cours à son goût pour le déguisement, accouchant d'un improbable croisement entre Benny Hill et Jackass, dans le contexte très particulier du paysage audiovisuel nippon dont on peut voir un très déconcertant aperçu dans le film Lost in Translation de Sofia Coppola.


L'exposition, concise, graphiquement percutante, confronte le rude Beat Takeshi aux créations plus délicates de Takeshi Kitano, également peintre, plus ou moins naïf, mais plutôt moins qu'il n'y paraît, sculpteur par procuration, inventeur fou de machines impossibles, héraut d'un curieux surréalisme extrême oriental. Elle démontre qu'au Japon, l'équivalent d'un Alain Corneau peut partager son enveloppe corporelle avec l'équivalent d'un Patrick Sébastien et celui d'un douanier Rousseau, alliant en une même personne la plus extrême vulgarité, la plus extrême sensibilité narrative, la plus extrême intelligence graphique, venues du plus extrême Orient.