28 avril 2009

Dedans le bayou

Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier.

Cinéma cajun caha. En Louisiane post-Katrina, un vieux flic alcoolo enquête sur l'assassinat d'une prostituée qui s'avère n'être que la dernière victime d'un mystérieux tueur en série. Ce faisant, il voit remonter à la surface un vieux crime raciste du temps de la ségrégation et engage une conversation philosophique avec le fantôme d'un général sudiste de la guerre de sécession.

Profitant comme beaucoup des alléchantes exonérations fiscales accordées par l'Etat de Louisiane au lendemain du cyclone Katrina, Tavernier réalise sans doute un rêve de gosse en partant tourner aux Etats-Unis avec quelques vedettes du cru, dont Tommy Lee Jones et John Goodman. Mais son adaptation d'un roman de James Lee Burke (que je n'ai bien sûr pas lu) paraît un peu laborieuse, presque trop littéraire en raison notamment des couplets de voix-off généreusement saupoudrés çà et là. Tellement ça traîne un peu en longueur, on aurait collé une pipe dans la bouche de Jones, on avait un Maigret !

On sent bien l'intention de vouloir dresser un portrait-sans-concession du sud et de sa mentalité un peu particulière, mais l'atmosphère de moiteur glauque n'est qu'à moitié au rendez-vous. On reste surtout beaucoup trop près du personnage principal qui ne quitte pratiquement pas l'écran (que de gros plans de Jones !) pour s'intéresser vraiment aux personnages secondaires. Ajoutons que le scénario n'évite pas certaines invraisemblances (et je ne parle pas des morts qui parlent), ni certains poncifs (l'adorable gamine adoptive du héros qui n'était là que pour être enlevée par le méchant).

Curieusement la critique française semble confite d'admiration devant l'aventure américaine de Tavernier, qui allait en remontrer à Hollywood avec son savoir-faire européen que le monde entier nous envie. Ben... euh...

La chute est un hommage appuyé, pour ne pas dire un clin d'œil éhonté au Shining de Kubrick. Du coup on ne peut s'empêcher de se demander quel gumbo le défunt maître aurait mitonné avec les mêmes ingrédients. La barre est peut-être un peu haute pour Tavernier.

Crash-test :

27 avril 2009

Traité de tauromachie amusante

The Story of Ferdinand de Munro Leaf, illustré par Robert Lawson.

Classique de la littérature jeunesse d'avant-guerre (la deuxième mondiale, pas celle d'Irak). C'est avec cette prometteuse promesse que j'ai acquis cette petite édition brochée à vil prix, et je ne le regrette pas. Bien sûr, c'est en anglais, et je connais donc une Bibounette à qui ce chef d'œuvre passera largement au-dessus de la tête, laquelle culmine à ce jour à moins d'un mètre, et qui a déjà suffisamment à faire avec ses langues maternelle et paternelle.

Mais quel délice tant narratif que graphique que cette petite histoire innocente d'un jeune taureau pacifique, Ferdinand, donc, qu'on arrache à ses champs remplis de fleurs pour l'envoyer à la corrida à Madrid. Refusant de combattre et préférant respirer la bonne odeur des fleurs accrochées aux cheveux des élégantes, il rendra chèvre picadors et matador, avant de se faire renvoyer à sa campagne où il coule encore des jours heureux alangui sous un chêne-liège.

J'adore notamment la malice de Lawson, dont on ne sait s'il faut admirer davantage l'élégance du trait ou celle des compositions, qui dessine le chêne-liège (cork-tree) portant de généreuses grappes de bouchons de liège...

C'est Puffin, la division jeunesse des toutes récentes éditions Penguin, qui publia ce livre en 1936. Soit quelques mois à peine avant la guerre d'Espagne, où sa tonalité pacifiste lui valut d'être interdit par les franquistes, puis ailleurs dans le monde par d'autres dictatures. Pour autant, et peut-être à cause de la concomitance du conflit espagnol, le livre rencontra un succès mondial immédiat. Disney en acheta les droits pour en faire un court-métrage, assez fidèle jusque dans le découpage et les graphismes, qui remporta l'Oscar® du court-métrage d'animation en 1938.



Disney recycla une partie de l'animation en 1953 pour son For Whom the Bulls Toil (Dingo matador), jeu de mots capillotracté sur le roman d'Hemingway For Whom the Bell Tolls (Pour qui sonne le glas), bien que l'action soit clairement sise au Mexique.



On ne peut pas, pendant qu'on y est, ne pas penser aussi au Señor Droopy de Tex Avery en 1949, même si ça n'a plus grand chose à voir avec la paella.



Pour finir j'en reviens à Ferdinand : je n'ai pas vu de réédition en français récente (sous le titre de Ferdinand le taureau ?). Bibounette n'a plus qu'à apprendre l'anglais.

¡Olé!

Mon quotidien gothique du soir préféré est lui aussi à fond à l'heure mexicaine. En une, un appel de titre alarmant sur la crise sanitaire au Mexique.


Plus loin, en pages services, un entrefilet publicitaire d'Air France vantant son tarif promotionnel vers cette destination de rêve. A mon avis, c'est le moment pour négocier encore à la baisse.


On ne peut que se réjouir en tout cas de constater que le Monde n'est pas journal à se faire dicter sa une par sa régie publicitaire, caramba !

9 avril 2009

Les bronzés font du ski

La première étoile de Lucien Jean-Baptiste.

Boules-de-neige. Le père antillais (du genre tout noir) d'une famille multiraciale mais surtout particulièrement fauchée de banlieue promet imprudemment à ses enfants qui n'ont jamais été à la neige des vacances au sports d'hiver assez largement au dessus de ses moyens. Parvenu au bas des pistes, il va lui falloir déployer des trésors d'ingéniosité pour ne pas décevoir sa famille et recoller son couple.

Ça y est, la discrimination positive (à quand le nazisme compassionnel ou l'esclavagisme moral ?) a eu raison des réticences des producteurs français qui ne voulaient pas voir de noirs à l'écran, surtout pas une famille entière en guise de personnage principal. L'acteur Lucien Jean-Baptiste s'est engouffré dans la brèche avec un bonheur inégal, mais beaucoup d'envie. Passés le générique finaud et l'excellente première partie du film, située à Créteil Soleil la bien nommée, portrait bien senti d'une banlieue déshéritée comme égarée presque ignorée, on sent le script revanchard qui commençait à moisir dans les antichambres des castings, prêt à régler un certain nombre de comptes sur le thème des préjugés racistes, et pourquoi les noirs y pourraient pas skier, et c'est pas la peine les cris de singe, et autres gamelles dans la poudreuse, etc... Autant d'intentions édifiantes qui ne suffisent pas toujours à faire du bon cinéma ni de la très bonne comédie.

Heureusement Jean-Baptiste (son patronyme, donc) peut compter sur des interprètes particulièrement dans le coup, Anne Consigny, Edouard Montoute, Bernadette Lafont, Michel Jonasz (eh oui), Firmine Richard en mère antillaise abusive, et surtout lui-même désopilant en père veule au bon fond mais rongé par le démon du turfisme. Une façon plutôt habile de jouer des clichés en les détournant.

Avec ce premier film imparfait mais sympathique, Lucien Jean-Baptiste prouve que l'homme antillais est bel et bien entré dans l'histoire. Du cinéma français.

Crash-test :

8 avril 2009

Bibliothèque rose

Deux livres prétendûment pour enfants que si ma Bibounette fait seulement mine de s'en approcher avec ses petites pattes pleines de morve, je lui dis que Babar est mort, non mais et puis quoi encore, ces livres là, c'est rien que pour Papa, on verra quand tu seras plus grande. Or donc, deux dessinateurs aussi à l'aise dans l'illustration que la bande dessinée se sont essayés à deux exercices de style classiques de l'édition jeunesse, l'abécédaire et l'imagier, pour donner naissance à deux magnifiques ouvrages.

L'abécédaire illustré de Stanislas.

Impression en aplats de quatre couleurs pures que dans ma grande ignorance de la chose imprimée je croirais être en sérigraphie. La planche typique met ici en vis-à-vis des listes de choses et leur représentation graphique, tout le jeu consistant alors à relier le mot et l'image. D'autres planches thématiques sur les chiffres, les quatre éléments, la géographie, etc... Ça donne un ensemble très dynamique, très vivant, appelant le lecteur à jouer, bref, plus interactif que n'importe quel zizipanpan électronique. Pour en savoir davantage sur cette jolie création, on trouvera une interview de Stanislas sur ce blog qui est consacré à son œuvre.


L'imagier des gens de Blexbolex.

J'ai découvert depuis peu cet auteur avec ses BD, L'œil privé et plus récemment l'inclassable Destination Abécédéria (une forme justement d'abécédaire violemment narratif), et je suis devenu inconditionnel de son travail que des mauvaises langues insensibles qualifient perfidement mais sottement de passéiste. Cet imagier d'une fausse simplicité, que je crois lui-aussi sérigraphié ou quelque chose comme ça, lui donne l'occasion pour chaque figure de réaliser de petites performances graphiques, et surtout d'instaurer de page en page un lien à peine perceptible mais subtil soit par acoquination visuelle soit par proximité sémantique. J'ai là encore dégoté une petite interview, réalisée, avec une certaine maladresse toutefois, par le site Klare Lijn International qui s'obstine à vouloir voir l'influence de la ligne claire dans son style alors que franchement ! Les amateurs de belles images le retrouveront aussi en bonne compagnie sur le site de l'agence Illustrissimo.

7 avril 2009

En pire du soleil levant

Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa.

Crise économique, crise familiale, néo-néoréalisme nippon. Un cadre moyen tokyolais est remercié du jour au lendemain mais ne peut se résoudre à l'avouer à sa famille. Rattrapée par la dépression qui frappe le Japon de plein fouet, la cellule familiale part à vau l'eau, mais au bout des épreuves, chacun de ses membres va se révéler à lui-même et aux autres.

Il faut s'armer de patience pour finalement savourer toute l'intelligence et la force de ce film, qui aboutit à une dernière scène d'une simplicité et d'une beauté à couper le souffle au plus averti des cinéphiles. Une longue scène muette qui paraîtrait bien ordinaire si elle n'était en fait chargée d'émotion par l'épaisseur accumulée en deux heures par les personnages qui la composent. Du grand art.

Avant donc la récompense finale, il faut tout de même supporter sans ciller péripéties et digressions, sans préjudice de quelques longueurs, accentuées par la rareté des dialogues, chacun des membres de la famille ayant droit à ses quelques touches de pinceau pour composer cette estampe semi-pessimiste d'une certaine réalité du Japon contemporain, loin des clichés de performance et de bonheur technologique dans un climat de consensus social qu'on nous dispense d'habitude. Le propos est servi par une photo volontairement ordinaire, parfois un peu obscure ou sale, un montage subtilement elliptique, et des interprètes remarquables dont j'apprends que certains sont des stars insulaires.

Pour finir je rouscaille comme beaucoup contre ces titres en anglais dont sont affublés des films non-anglophones pour être distribués en France : ça aurait coûté beaucoup d'appeler ce film Sonate de Tokyo ? Un petit peu fort de wasabi.

Crash-test :

5 avril 2009

Pim ! Pam ! Poum !

Pim Pam Poum, en VO les Katzenjammer Kids, était cette bande dessinée créée à New York à la toute du fin du XIXème siècle par un immigré allemand, Rudolph Dirks, et qui, en racontant les aventures de trois affreux garnements, nés à Ellis Island ou quasi, confrontait une certaine verve européenne à la culture étasunienne en cours de constitution. En deux mots comme en mille : cette BD célébrait l'intégration, pas un vain mot en ces temps en ces lieux.

Aussi on a du mal à comprendre l'incompréhension et les récriminations et les lamentations qui accompagnent le dernier fait divers en provenance des Etats-Unis d'Amérique : un immigré tout récent s'est enfermé dans un centre d'accueil pour étrangers dans l'état de New York et y a fusillé treize malheureux pour l'accompagner dans la mort qu'il s'est finalement donnée. Les médias s'émeuvent, les étasuniens se perdent en prières, l'opinion internationale est consternée.

Il faudrait pourtant se réjouir de ce succès éclatant d'une politique d'intégration enfin efficace, au delà de toute espérance, avec l'assimilation par les sujets les plus improbables, jusqu'à cet immigré qu'on dit d'origine vietnamienne, d'un des fondements de la culture locale : la tuerie de masse par arme à feu, et pim ! et pam ! et poum ! n'est elle pas aussi américaine que la tarte aux pommes ?

3 avril 2009

L'espionne qui m'aimait

Duplicity de Tony Gilroy.

Course à l'échalote. Une ancienne agente de la CIA s'associe à un ancien agent du MI6 pour monter une combine tarabiscotée et lucrative au cœur d'une impitoyable rivalité industrielle. Coup de bol incroyable, le sémillant Clive Owen et la séduisante Julia Roberts tombent amoureux.

Hitchcock appelait ça un MacGuffin : un teuteu, n'importe quoi, un secret, un microfilm, ou ici une formule chimique, qui n'a au fond aucune importance, mais que les personnages poursuivent tout au long du film, et qui ne sert en fait que de ressort à l'histoire. Les deux agents se sont donc fait recruter et infiltrer dans les services de sécurité de deux géants de la cosmétique concurrents, et vont chercher à détourner à leur profit personnel un hypothétique secret commercial, qui tient, bien pratique, au recto d'une feuille A4.

Mais Gilroy, qui avait pourtant signé l'excellent Michael Clayton, hésite un peu sur le ton à adopter. On est proche de la comédie quand il détaille les dessous retors de l'espionnage industriel qui n'a rien à envier à son équivalent diplomatique. On verse dans la romance un peu fade pour le dialogue amoureux entre deux agents gagnés par de tendres sentiments, mais incapables d'abandonner la méfiance qui est leur principale qualité professionnelle, ce qui aurait constitué en soi une bonne base de comique. Et si le début du film offre une scène assez rigolote d'empoignade entre les deux PDG, par la suite on doit se contenter de bêtes champs/contrechamps et de quelques split-screens (écrans divisés en plusieurs images) en guise d'idées de mise en scène.

On ne peut pas dire non plus que la fin soit follement ni originale ni franchement imprévisible, mais la grâce des interprètes sauve un peu l'intérêt de ce malhonnête divertissement.

Crash-test :

2 avril 2009

Le Chat Noir

Théophile-Alexandre Steinlen, chroniqueur d'une fin de siècle, exposition au musée d'art et d'histoire de Saint-Denis de la Seine-Saint-Denis jusqu'au 29 juin.

Je n'avais jamais entendu parler de ce dessinateur peintre affichiste helvétique naturalisé français, à la jointure des XIXème et XXème siècles, avant d'être attiré dans cette expo à l'initiative de la maison Totoche de Paris. Pas célébrissime, le Steinlen (1859-1923), et pourtant tout le monde connaît son affiche pour le cabaret du Chat Noir à Montmartre, devenue un poster offset imprimé en Chine par cargos entiers qu'on retrouve placardé dans les chambres des jeunes filles en fleurs, et dont d'autres reproductions en plus grand nombre encore obtureraient presque la vue du Sacré-Cœur rue de Steinkerque.


L'exposition nous apprend que Steinlen, qui avait un pied dans la caricature de divertissement badin, un autre dans la contestation sociale à tendance anarchiste, préférait consacrer ses mains à la peinture des félins, qui semblaient être sa vraie passion. On ne saurait lui reprocher cette preuve de savoir-vivre.


Je m'excuse de n'avoir pu réunir ici une iconographie qui soit toute issue directement de cette bien jolie et fort intéressante petite exposition, dont on regrettera seulement qu'elle soit scindée en deux salles du musée fort éloignées l'une de l'autre. Mais c'est tout ce que j'ai pu trouver en fouillant sur le web, et ça n'est pas l'indigent site officiel du musée qui allait me tirer de cet embarras. Pourtant sur place on trouvera un panorama assez complet de l'œuvre de Steinlen, sur une foultitude de supports, pages de journaux, tirages lithographiques, dessins originaux, fusains, huiles sur toile, affiches géantes.


Au fil de ces images, où le trait se fait alternativement doux ou dur, perce finalement une personnalité bien sympathique, traversant l'époque agitée de la toute jeune troisième République jusqu'après la première guerre mondiale, un chat ronronnant sur les genoux. Après la mort de sa première et tendre épouse, Steinlen se mit à la colle avec un de ses modèles noir comme l'anthracite, ce qui ne devait pas être banal à l'époque.

1 avril 2009

Liberté égalité diversité

Grâce à des accointances à peine avouables à la mairie du 6ème arrondissement de Paris, la rédaction d'Hobopok Dimanche au grand complet vient de se voir offrir à la dernière minute, peut-être sur un malentendu, un strapontin au salon du livre de l'antiracisme et de la diversité, organisé part la LICRA et qui se tiendra donc en ladite mairie dimanche prochain de 14h à 19h.

L'auteur du Temps béni des colonies pourra ainsi dédicacer son livre à ses nombreux fans, au nombre desquels Laurent Joffrin, Eric Fottorino, Isabelle Alonso, Marek Halter, ou encore Jacques Toubon, ont annoncé leur présence. Que du lourd.