27 février 2010

Tempête sous un crâne

Shutter Island de Martin Scorsese.

Thriller psychiatrique inspiré de faits irréels. Un prévôt fédéral des Etats-Unis débarque sur une petite île de la baie de Boston, transformée en asile d'aliénés de haute-sécurité, et provisoirement coupée du continent par une fameuse tempête, pour enquêter sur l'évasion mystérieuse pour ne pas dire impossible d'une détenue-patiente, dont l'histoire va résonner de plus en plus cruellement avec l'histoire personnelle du policier. Qui est fou ? Qui ne l'est pas ? Bon sang ! Mais c'est bien sûr !

Loin de moi l'idée de vouloir à tout prix me payer systématiquement le dernier film d'un réalisateur mythique, mais enfin force est de constater que ce récent Scorsese est un rien en deçà du talent qu'on peut reconnaître à ce cinéaste par ailleurs souvent génial. La faute à un scénario à clés, tiré d'un roman à succès de Dennis Lehane, qui se déroule quasi mécaniquement, l'intrigue écrasant tout sur son passage, interprètes et metteur en scène compris. Le film avance inexorablement vers un énorme, éculé et prévisible cliché en guise de dénouement, jouant sans finesse sur différents niveaux de perception de la réalité, pas même dévoyé par un ultime retournement de situation qui aurait pu apporter un brin de surprise. Comme souvent au cinéma, le mystère est plus intéressant que sa résolution, les questions plus pénétrantes que les réponses.

Flirtant avec le fantastique, Scorsese, se repose abusivement sur les effets spéciaux numériques, à l'élégance toujours discutable. Et il paraît même emprunté au montage, s'emmêlant un peu les ciseaux dans certains champs-contrechamps aux raccords tirés par les cheveux. Mais surtout, on sent que, prisonnier de son récit, il a cru qu'il suffisait de faire durer le suspense pour le rendre palpitant, et la plaisanterie dure tout de même presque deux heures vingt, soit au bas mot trente bonnes minutes de trop. Franchement, c'est plutôt ça qui peut nous rendre fous.

Crash-test :

19 février 2010

Lagaffe TV

Pour ceux qui l'auraient ratée lors de sa diffusion dans les matinées jeunesse de France 3 (désormais sous l'appellation générique de Ludo), voici un aperçu de la série animée adaptée de l'inadaptable Gaston Lagaffe de Franquin. La principale contrainte imposée au studio Normaal était de retravailler quasi exclusivement à partir du trait original : pratiquement tout ce qui est à l'écran a été dessiné par Franquin. D'où une grande proximité graphique avec la bande dessinée, avec seulement des décors rehaussés d'un peu de textures ou de dégradés tendance Leonardo. En contrepartie, l'animation est aussi raide que le trait pouvait paraître souple au faîte de la maîtrise graphique franquinienne. Mettons encore de côté les voix, avec l'impossible casting (puisque dans la version papier aussi bien Gaston que mademoiselle Jeanne que Prunelle ou De Mesmaeker parlent avec ma voix), et remarquons seulement que le principal écueil est celui du timing des gags, qui voyage difficilement de la page à l'écran.



Pour autant, l'effort n'est pas ridicule, et reste méritoire dans la mesure où, comme il est d'usage de convenir en pareil cas tout en poussant un profond soupir, peut-être des jeunes téléspectateurs auront-ils grâce à cette série le plaisir de découvrir le vrai Gaston de Franquin, en bande dessinée.

Toutes les informations et d'autres images sont sur le site officiel de Gaston Lagaffe proposé par l'éditeur Marsu Productions.

17 février 2010

Petits meurtres entre amis

Red Riding: 1983 d'Anand Tucker.

Mille-feuilles policier
. Au début des années 80 dans le nord de l'Angleterre, un policier taciturne enquête sur la disparition d'une fillette, voit resurgir du passé des disparitions similaires remontant à trois et neuf ans, et sent ses certitudes vaciller en démasquant un bourreau d'enfants et ses complices.

On se rend bien compte à la lecture de l'argument qu'on a pas affaire à un récit follement révolutionnaire, et pourtant, il est possible assez longtemps dans le film de croire qu'on a devant les yeux un quasi chef d'œuvre, avec un style extrêmement brillant, à la fois brut et fin, où les personnages et le sujet ne se dévoilent que très progressivement, presque malgré eux. Le montage précis et intelligent semble faire fi d'une chronologie à dessein confuse avec flash-backs à la volée, tandis que la caméra et la lumière donnent un tableau calmement nauséeux d'un microcosme mesquin dans une veine naturaliste typiquement britannique. Malheureusement, l'illusion ne dure pas, au fur et à mesure que la violence évoquée mais d'abord tenue à distance fait irruption sur l'écran, sans plus aucune subtilité, pour dévoiler une sombre histoire de conspiration mêlant corruption, meurtres en série et pédophilie, soudain d'une effarante banalité, sans qu'aucune intention ne ressorte d'aucune façon du tableau ainsi composé. Tout ça pour ça : à quoi bon déployer des trésors d'habileté formelle pour un propos quasi vide ?

En fait troisième volet d'une trilogie consacrée à trois années criminelles (avec 1974 et 1980), où chaque opus fut confié à un réalisateur différent, ce film sorti avec une discrétion de violette n'a visiblement pas fait un tabac en salle. Renseignement pris, c'est parce que c'est au départ une commande de la chaîne britannique Channel 4. Je ne sais s'il faut conseiller la vision des autres films, ou la lecture des romans de la tétralogie de David Peace qui les ont inspirés, ni s'ils auraient la moindre chance de faire oublier ce décevant Yorkshire pudding.

Crash-test :

10 février 2010

Hansi majeur

L'Alsace heureuse, par Hansi.

C'est la peau du ventre encore tendue par l'absorption répétée de baeckeoffe et de choucroute parcimonieusement arrosés de sylvaner que je suis tombé en arrêt devant la splendide couverture de ce non moins somptueux livre d'images à l'ancienne, réédition en fac-similé d'un ouvrage initialement paru en 1919, où le dessinateur racontait ses déboires en Alsace occupée, son passage dans l'armée française où il servit comme interprète durant la Grande guerre, et enfin la libération de l'Alsace par les troupes alliées après l'Armistice. De vagues souvenirs de jeunesse me titillent à la vue de certaines de ces images assez frappantes, et je suis à peu près persuadé d'avoir déjà eu gamin une édition de ce bouquin entre les mains chez mes grands-parents, qui ne devaient pas être insensibles au nationalisme cocardier qui baigne ces pages.

Hansi, Jean-Jacques Waltz de son vrai nom, était devenu très populaire en France française avant-guerre avec la publication d'une Histoire d'Alsace totalement révisée en faveur de la nation française, où il défendait avec vigueur la thèse assez farfelue d'une Alsace déjà alsacienne et farouchement tricolore dès l'époque romaine, premier rempart contre la barbarie germanique venue d'Outre-Rhin, suivez-mon regard. Sa popularité en Alsace administrée, dois-je le rappeler, depuis 1871 par l'Allemagne, était inversement proportionnelle auprès des autorités d'occupation qui commencèrent par lui infliger de lourdes amendes avant de se résoudre à l'embastiller provisoirement, le poussant finalement à s'exiler quelques semaines avant la déclaration de guerre.


C'est à Hansi qu'on doit d'avoir, principalement par les deux ouvrages susmentionnés, popularisé l'image de la petite Alsacienne en coiffe à grands nœuds, et du petit Alsacien en bonnet fourré et gilet rouge, alors que les costumes folkloriques étaient bien plus variés que ça d'un bout à l'autre de la région, voire d'un village à un autre ! Etonnant exemple d'une culture populaire à un instant t forgeant une tradition mythique pour des décennies.


Hansi ne connut plus jamais le même succès par la suite, même si son œuvre ne se limitait pas à l'illustration mais débordait assez largement vers la peinture à l'huile et à l'eau, où il révélait un côté plus sombre, voire franchement mélancolique, et surtout une dimension d'artiste à part entière, montrant qu'il ne pouvait être réduit à un travail régionaliste ou enfantin. Il faut dire qu'il eut à subir quelques mauvais procès, lui l'incorrigible bouffeur de Boches, de la part de nationalistes alsaciens qui lui reprochèrent d'avoir contribué à l'étouffement de la culture alsacienne par la République triomphante.


Paradoxalement, Hansi, devenu malheureusement un emblème folklorique, est aujourd'hui omniprésent dans le paysage mercantile du tourisme alsacien, sous forme de cartes postales, affiches, verres à vin blanc, moules à kougelhopf... Il reste heureusement possible de découvrir la profondeur de ses dessins avec ces livres réédités, L'Alsace heureuse et L'histoire d'Alsace, ou encore avec un massif et récent Tout Hansi qui montre aussi l'œuvre peinte.

2 février 2010

The Fat Full Monty*

Sumo de Sharon Maymon et Eraz Tadmor.

Plus c'est gros, plus ça passe. Quatre amis trentenaires d'une banlieue déprimée de Tel Aviv, tous en sévère surcharge pondérale, quittent leur club de soutien diététique pour s'assumer obèses en devenant lutteurs de sumo sous la houlette d'un restaurateur japonais. Chemin faisant, ils vont révéler la vraie personnalité qui se cachait sous leur graisse, et mettre un semblant d'ordre dans leurs vies.

On sent bien que la criante économie de moyens avec laquelle cette comédie a été tournée ne devait pas être entièrement volontaire, mais les réalisateurs font oublier leur indigence en faisant vertu de cette simplicité, confinant parfois en une rafraîchissante naïveté. Le scénario est bien un peu prévisible, la romance entre le gros et la grosse est bien un peu convenue, mais les auteurs débordent à l'évidence d'empathie, voire de tendresse, pour leur personnages, et compensent avec une bonne dose de sincérité ce qui peut manquer en originalité. Le couple infernal que composent le héros principal et sa mère (juive) abusive, et pas particulièrement mince non plus, est cent pour cent cacher au niveau du vécu. Le ton très ironique, le comique de situation bien maîtrisé, quelques bonnes idées de mise en scène, et des dialogues incisifs finissent par faire pencher la balance du côté de la réussite.

L'un des mérites du film est d'avoir osé confier les rôles principaux à quatre gros et une grosse, de vrais poids lourds assez loin des canons habituels de la beauté cinématographique, sans que ça tourne au freak show. Pari tenu, en gros.

Crash-test :*Le gros Full Monty