24 mai 2013

Elvis est vivant

Sugar Man de Malik Bendjelloul.

Résurrection musicale. Chanteur folk éphémère du début des années 70, Sixto Rodriguez, natif et résident de Detroit, Michigan, boudé par le succès, oublié, était devenu à son insu une star mondiale en Afrique du Sud, où on le croyait mort. La traque opiniâtre de musicologues amateurs mais passionnés va le ramener à la vie, et restituer sur le tard à l'artiste génial devenu manœuvre la gloire qui lui revient.

Une Volkswagen hors d'âge file sur la voie de gauche de la route qui serpente le long de la péninsule du Cap illuminée par la lumière d'un soir austral... mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Malik Bendjelloul, l'auteur de ce documentaire, va ainsi nous dérouter puis nous tenir en haleine, pour mieux nous faire entrer dans la peau des fans sud-africains de Rodriguez. Puis enfin révéler la face cachée de la Lune : Rodriguez est vivant, habite toujours à Detroit, survit de petits boulots et n'avait jamais entendu parler de l'Afrique du Sud où il vendait pourtant plus de de disques qu'Elvis Presley ou les Rolling Stones. Toute la qualité du réalisateur est d'avoir su magnifier et exalter la réalité, certes extraordinaire, et d'en faire quasiment un conte de fées, qu'on aimerait de façon infantile entendre raconter encore et encore tant y sont mêlés intimement la tristesse et la joie, la résignation et l'espoir, l'ombre et la lumière, la vie et la mort. Le film se hisse miraculeusement à la hauteur de son exceptionnel sujet, pour devenir un cinglant hommage à la puissance évocatrice de la musique, à un talent sur lequel le temps n'a pas de prise, à cette voix cristalline, limpide, qui interprète un folk-rock désabusé et mélancolique avec une sérénité presque inquiétante.

Il serait vain de prétendre que le spectateur n'est à aucun moment pris d'un doute. Cette histoire invraisemblable semble fabriquée de toutes pièces, trop belle pour être vraie. Ne s'agit-il pas plutôt d'un mocumentaire, c'est-à-dire un faux documentaire, comme celui consacré au groupe de hard rock imaginaire Spinal Tap ? Mais non, tout est bien vrai, et ce doute initial, consubstantiel au propos du réalisateur, participe à la force du film, tant il était partagé par nombre des protagonistes du retour à la vie du chanteur mort. Tout est authentique, comme l'émotion renversante du premier concert du come-back de Rodriguez devant une foule en délire en 1998 au Cap.

Le film vaut autant pour sa capacité à orchestrer tout ce qu'on y voit, que pour ce qu'il laisse dans l'ombre, à charge pour le spectateur d'imaginer comment remplir les vides. Quid des femmes ? La drogue ? L'alcool ? La religion ? L'argent des droits d'auteur spolié par des producteurs indélicats ? Rodriguez, désormais un vieux monsieur réclamé dans le monde entier, éternellement timide et modeste, ne répond pas davantage à ces questions que Bendjelloul ne tente de le faire. Il conserve ainsi sa part de mystère, comme il sied à quelqu'un revenu d'entre les morts.

Crash-test :

Supplément gratuit

Agé de soixante-dix ans, Sixto Rodriguez en chair, en os et en direct live chez Jools Holland sur la BBC.

23 mai 2013

Le procès

Hannah Arendt de Margarethe von Trotta.

Comment perdre ses amis et s'aliéner les gens. Au début des années 60, Hannah Arendt, philosophe respectée, Juive d'origine allemande, est envoyée par le New Yorker à Jérusalem pour y couvrir le procès du nazi Eichmann. Son point de vue, exposant le concept de "banalité du mal", défrise l'intelligentsia new-yorkaise et pas mal de Juifs du monde entier.

D'une facture absolument classique, pour ne pas dire académique, ce film n'est pas dénué de mérite pour autant. On y voit comment la bigoterie et l'intolérance vont se nicher derrière le paravent de la bien-pensance la mieux partagée. En célébrant une figure controversée, hier comme encore aujourd'hui, von Trotta montre surtout le courage intellectuel d'une femme décidée à penser en toute indépendance quoi qu'il lui en coûte. Parmi ses détracteurs, qui lui reprochèrent notamment de trahir son sang par une posture supposée de juive antisioniste et antisémite, bien peu avaient lu le livre incriminé, et encore moins les milliers de pages de procès-verbal du procès Eichmann, qu'Arendt avait été l'une des seules à s'enfiler en intégralité. Le film montre ce qui ressemble à l'équivalent moderne d'un procès en sorcellerie, où, sans le dire, on reproche aussi à Arendt sa fidélité à Heidegger, le philosophe qui s'était compromis avec le nazisme, dont elle était l'ancienne disciple et amante, et qu'elle n'avait jamais renié.

Au milieu de ce biopic émouvant, on retiendra cette scène d'une simplicité éloquente : Arendt est chez elle, téléphone coupé, à l'abri du tumulte, couchée de tout son long sur son sofa, les yeux mi-clos, laissant la cendre grignoter la cigarette qu'elle tient au bout de ses doigts, elle réfléchit. Voilà la pensée en action.

Crash-test :

22 mai 2013

Logo foot

S'il est un art difficile,  et le directeur artistique de notre gazette en sait quelque chose, c'est bien celui du logotype de club de foot. Il n'est qu'à dresser la liste des clubs de Ligue 1 ou 2 pour voir aussitôt défiler un catalogue d'abominations graphiques, que ne surpassent en ridicule que les logos des conseils régionaux et conseils généraux des provinces et départements français. Penchons-nous donc sur le cas de trois clubs qui, à leurs risques et périls, ont récemment entrepris un relooking visuel.

Après.
Avant.
Il fallait bien que le Paris qatari finisse par, au sens propre, imprimer sa marque, avec ce nouveau logo présenté en février dernier et qui entrera en vigueur pour la nouvelle saison. Mais la première chose qui saute aux yeux, c'est que le bleu parisien a perdu des couleurs au lavage. Pourquoi ? Mystère. On comprend mieux l'intention qui vise à mettre en exergue le seul "Paris" au détriment de "Saint-Germain". Le gain de lisibilté est énorme, et surtout la valeur de reconnaissance à l'étranger s'en retrouve décuplée. On voit là niée l'identité de ce jeune club, sacrifiée sur l'autel de la mondialisation mercantile. Confirmation avec la disparition de la date de naissance du club, complexe de nouveau riche honteux de ses brodequins crottés, qui rêve de se voir admis dans un cercle européen de clubs plus huppés, aux souliers brillant d'un vernis centenaire. On peut enfin tiquer sur les proportions un peu écrasées de la nouvelle tour Eiffel, l'arrondi un peu malhabile de la typo choisie, pour, au total, une impression d'ensemble qui évoque davantage l'écusson compact d'une marque automobile qu'un futur vainqueur de la Ligue des champions. Pour info, le berceau sur la précédente version était celui de Louis XIV, natif de Saint-Germain-en-Laye. Pas assez chic pour le Qatar ?

Après.
Avant
Le logo du LOSC, entré en service au début de cette saison, est dû à la même agence qui s'est occupé du PSG. On peut la remercier de nous avoir débarrassé de l'embarrassant prédécesseur. Mais le nouveau dessin, qui fond un dogue et une flamme/fleur de lys, aspire de toutes ses forces à un avant-gardisme décalé, auquel on peut d'ores et déjà prédire une durée de vie limitée tant ce modernisme de pacotille est appelé à se démoder vite. La couronne du blason, qui demande aux lettres étrangement déformées, du mot "Lille", d'imiter une couronne ou des murailles hérissées de tourelles, motifs héraldiques classiques, est malheureusement un peu ridicule. En effet, "LOSC" est l'acronyme de Lille olympique sporting club. Le surtitrer "Lille" est donc passablement redondant : Lille Lille olympique sporting club. Bravo bravo ! Quant à la Métropole (c'est-à-dire la Communauté urbaine, qui finance largement le club dont le nouveau stade est à Villeneuve-d'Ascq), eh bien tant pis pour elle !
Après.
Avant.
L'OGC Nice pouvait se targuer d'avoir jusqu'à cette année l'un des logos les plus grotesques du football français, de ceux dessinés par le petit neveu du gardien des vestiaires, arborant fièrement, on vous le donne en mille, un... ballon de football. Et peu importe si les ballons de football ne ressemblent plus à ça depuis splendide lurette. On était ainsi invité, de façon à peine subliminale, à deviner qu'on avait affaire à un club de ?... de ?... de football, et non de rugby ou de basket . Bon sang, mais c'est bien sûr ! Subitement touché par la grâce, et s'en remettant aux muses du graphisme, le Gym (surnom affectueux de l'Olympique gymnaste club) a jeté cette horreur aux oubliettes, en optant pour un nouveau dessin à la fois lisible, riche, élégant, rétro et moderne à la fois, c'est-à-dire intemporel, au point qu'on le croirait lui aussi centenaire, à l'instar du club lui-même dont la date de création est désormais rappelée sur la bannière, rédigée en niçois. Tout au plus pourrait-on lui reprocher, si on voulait chercher la petite bête, d'être un chouïa plus prétentieux que le palmarès du club ne pourrait l'y autoriser... Exit la mention "Côte d'Azur", mais qui croit encore que Nice se trouve sur la Côte d'Opale ?

21 mai 2013

Folie meurtière

7 psychopathes de Martin McDonagh.

Thanatographie. En panne d'inspiration, un scénariste d'Hollywood a une semaine pour boucler un script dont il n'a que le titre, et trouver entretemps de la matière à donner vie à sept personnages de tueurs maladifs. Heureusement, le hasard va lui faire croiser dans la vraie vie des modèles de choix plus vrais que la pire fiction.

Dans le genre casse-pipes, le film démarre en fanfare, accumulant les cadavres de façon assez jouissive, la durée de vie à l'écran de certains personnages semblant remarquablement brève. Des tronches de vilains gratinés, des cintrés, des affreux, des tordus, des méchants, un vengeur masqué, un gangster à chienchien à son papa, et du sang partout, très amusant. Jusque là, tout va bien. Mais arrivé à mi-film, le scénario ne parvient pas à décoller de son postulat de départ, et s'enlise dans un pesant huis-clos en plein désert des Mojaves, sans plus nous amuser davantage, ni parvenir à une fin ni satisfaisante ni cohérente. Un peu comme si le vrai scénariste du vrai film, à l'instar de son personnage de scénariste sur l'écran, était lui-même tombé en panne d'inspiration.

Dommage, il n'en aurait pas fallu beaucoup pour parvenir à un sanglant petit chef d'œuvre de l'absurde, surtout quand on avait sous la main des acteurs comme Tom Waits, Christopher Walken, Woody Harrelson, Colin Farrell, Sam Rockwell, tous psychopathes émérites.

Crash-test :

7 mai 2013

Ah ça IRA (ou pas)

Shadow Dancer de James Marsh.

Guère de l'ombre. En Irlande du Nord, une militante de l'IRA (Armée républicaine irlandaise) est retrournée par le MI5 (le contre-espionnage britannique) pour infiltrer un réseau de combattants armés et trahir sa propre famille. Ça ne risque pas de finir bien.

  La bande annonce, astucieuse et remarquablement faite, laissait espérer un bon thriller politique, il n'en est malheureusement rien. Sur un sujet battu et rebattu, Marsh n'a aucun point de vue nouveau, hormis de vagues prétentions esthétiques qui encombrent son film. Il enfile les clichés et les dialogues surfaits, en croyant créer de la tension, mais en ne provoquant que l'ennui. On ne croit pas aux personnages, on finit par se fiche de ce qui leur arrive, et d'ailleurs tant mieux car il ne se passe quasiment rien jusqu'à la dernière image, supposée surprendre, mais qui ne fait que signaler la fin de la sieste.

Crash-test :

6 mai 2013

Illinois Jones

Tad l'explorateur d'Enrique Gato.

Archéologie en feutre mou. Suite à un heureux malentendu, un maçon de Chicago (dans l'Illinois) qui se rêve explorateur se retrouve au Pérou à la recherche d'une cité perdue, qu'il finira par choisir de protéger de la cupidité de pilleurs d'antiquités sans scrupule.

Qui eût cru que dans une Espagne minée par la crise on verrait surgir un long métrage d'animation en 3D (entendez par là "images de synthèse" et non "relief") ? C'est pourtant chose faite avec cette production aux ambitions certes limitées, mais d'autant mieux atteintes pour cette même raison. Evidemment, la qualité graphique n'égale pas la délicate pureté des Pixar ou Dreamworks (il n'y a pour s'en convaincre qu'à voir le traitement sommaire du poil de lama), mais ce que l'image laisse à désirer, le scénario le compense par une écriture habile, beaucoups d'idées et des personnages parfaitement construits. Très enlevé, le récit reste exclusivement destiné à captiver les enfants, et y parvient à merveille, sans trop s'encombrer des clins d'œil au deuxième degré, parfois téléphonés, visant à séduire les accompagnants adultes dans les productions hollywoodiennes.

Espérons que le film marche suffisamment pour qu'on revoie un jour dans de nouvelles aventures ce Tad aussi gauche qu'enthousiaste, et son petit ami à plumes : un perroquet muet qui ne parle que par gestes et prénommé Bernardo. Un clin d'oeil ? Mais où vont-ils chercher tout ça ?

Crash-test :