23 avril 2012

110 ou 220 ?

Cloclo de Florent-Emilio Siri.

Comme un chanteur malheureux. Du ventre de sa mère à sa baignoire finale, la vie mouvementée d'une idole des années soixante, Claude François, devenu artiste à géométrie variable et homme d'affaires touche-à-tout, obnubilé par la réussite publique vécue comme un revanche.

Nouvelle tentative française de se plier à l'exercice du biopic (film biographique à l'américaine). Malheureusement, avec pourtant un personnage hors du commun, chanteur complexé cherchant la reconnaissance dans le succès, le film reste banal, anecdotique, le récit se contentant d'égrener épisode après épisode de façon descriptive sans parvenir à se hisser à la hauteur d'un sujet d'ailleurs pas très défini. Les scénaristes ne se sont sans doute pas facilité la tâche en insistant sur les aspects les plus désagréables de la personnalité du chanteur, qui paraît ici passablement odieux, mais il aurait fallu, pour intéresser malgré tout, mieux nous montrer comment Claude François a été le précurseur en France d'une conception industrielle de son métier, où les éventuelles qualités artistiques ne valent que si elles peuvent être converties en monnaie sonnante et trébuchante.

Bref, il aurait fallu que le metteur en scène mette en scène, en s'affranchissant de toute déférence vis-à-vis de son sujet, pour au contraire s'en emparer et le dominer et le dépasser. C'est à cette condition que le biopic peut devenir un grand film, comme Raging Bull ou Lenny. Alors que ce Cloclo, ça s'en va et ça revient, c'est fait de tout petits riens.

Crash-test :

 

6 avril 2012

Le monde d'Hergé

Musée Hergé, rue du Labrador, 26, Louvain-la-Neuve, Belgique.

C'est un gros pavé assez joliment dessiné par l'architecte français Christian de Portzamparc et scénographié par nul autre que Joost Swarte. On y parvient tant bien que mal, et en contournant les vitres du Petit Vingtième, le restaurant du musée, on y pénètre par une porte dérobée qui s'avère être l'entrée principale.


On se fait remettre d'office un audioguide qui se révèle vite n'être qu'un monstrueux hybride entre un iPad et une Playstation, animé de zizipanpans qui tournicotent et tintinabulent suffisamment pour qu'on ait envie de fracasser l'objet sur la première vitrine rencontrée. A oublier d'emblée.

On perd du temps dans une salle d'exposition temporaire où une indigente scénographie consacrée aux fictifs Indiens Arumbayas tente poussivement de nous intéresser à un explorateur belge des années 20, à grands renfort de paniers d'osier, de flèches à trois pointes, de pirogues vermoulues, et d'agrandissements géants de l'Oreille cassée.

Vient-on donc d'entrer au musée Rodwell ? Bien sûr, les photos sont interdites, ce qui avait fait passablement enrager la presse conviée à l'inauguration, en 2009, bien sûr, on vend 149€ le fétiche Arumbaya à la boutique, mais cette frénésie attendue de paranoïa mercantile aura-t-elle oblitéré ce pour quoi on est venu : l'œuvre d'Hergé ?


On prend alors l'ascenseur, et soulagement, voici enfin Georges Remi et ses créations dans toutes leur splendeur. La quantité et la qualité des pièces, présentées dans un ordre grosso modo chronologique depuis l'enfance du dessinateur, impressionnent enfin favorablement. Difficile de s'arracher à la contemplation d'une somme invraisemblable de planches originales exceptionnelles, qui permettent de presque toucher du doigt le perfectionnisme maladif d'un auteur qui n'hésitait pas à produire, redessiner, redécouper, défaire, refaire, plusieurs fois la même histoire pour l'adapter à la presse ou aux albums, au noir et blanc ou à la couleur, retravaillant sans cesse son matériau pour le porter au maximum de son efficacité.

On voit ainsi les cases recadrées, retaillées, étendues, retouchées... avec un souci de détail affolant.

On voit aussi les très impressionnants bleus de coloriage (en fait noirs ou gris) des planches, qui étaient réalisés par les petites mains du Studio Hergé, dont une certaine Fanny Vlamynck, à l'échelle 1, c'est à dire à la taille de publication dans l'album, avec une précision d'enluminure.

On voit aussi une partie fort intéressante qui se penche sur les influences cinématographiques d'Hergé, avec notamment des scènes de films des Marx Brothers ou de Buster Keaton, qui se retrouvent tels quels dans Le crabe aux pinces d'or ou L'oreille cassée. Plutôt que d'en faire grief à l'auteur, il faut au contraire louer sa curiosité sans limites, et sa capacité à digérer et régurgiter des pans entiers de son siècle. Inventer, notamment en matière artistique, c'est souvent réinventer.


Aucune impasse sur les différents aspects de l'œuvre graphique : dessins d'enfance, premiers personnages, premières séries, Totor et les Hannetons, Quick et Flupke, Jo, Zette et Jocko, l'illustration, la publicité, et aussi le jeune reporter à houppette, comment s'appelle-t-il déjà ?

Les éléments biographiques permettent d'accompagner les dessins et de mieux les éclairer, encore que, curieusement, un voile pudique ait été jeté sur l'attitude controversée d'Hergé pendant la guerre, et ses malheurs à la Libération...

Deux heures et demie ont filé sans qu'on s'en rende compte, on est sonné, émerveillé, presque bouleversé d'être ainsi entré dans l'intimité de l'artiste, et on ressort par une porte dérobée.

Supplément gratuit

Un petit mot encore sur la localité wallonne qui abrite le musée Hergé, Louvain-la-Neuve, car elle n'est pas banale.

La ville, si l'on peut l'appeler ainsi, est née de la scission de l'université catholique de Louvain en 1968, quand les francophones se sont fait expulser par les flamingants. Il ont alors construit leur propre université quarante kilomètres plus au sud, au delà de la frontière linguistique, créant donc Louvain-la-Neuve sur la commune d'Ottignies.


Magnifique exemple belgicain d'architecture sur dalle, la ville qui n'est en réalité qu'un gros campus, est une espèce de mini-Villeneuve d'Ascq concentrée (ça n'est pas un compliment), utopie urbanistique prétentieuse, déroutante, et démodée à peine le béton avait-il dû sécher.

La ville s'autoproclame piétonnière, mais est saturée sur ses abords de parkings réservés aux riverains. L'automobiliste visiteur tentant l'approche, rendu fou par la célèbre aversion belge pour les panneaux indicateurs, redoublant d'insanité en se rendant finalement compte que l'acronyme LLN renvoie en fait à Louvain-la-Neuve (mais ça économise de la tôle et de la peinture), finit par manger son permis de conduire en passant et repassant trois fois sous le musée Hergé, parfaitement visible en surplomb, sans pouvoir se garer ni même s'arrêter. Il faut se résoudre à abandonner son véhicule au petit bonheur la chance où on peut, puis constater, quand on veut repartir de ce paradis pour piétons, que le réseau routier entourant ce jeu de Lego® constitue une bien agréable nasse de sens uniques et d'impasses...

On se réconcilie heureusement avec l'automobile en retrouvant vingt kilomètres plus à l'ouest les réconfortants bouchons du ring de Bruxelles.