11 septembre 2013

La grande désillusion

Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB de Tardi.

Difficile de passer à côté de cette splendide couverture rouge sang, qui ne manque pas d'à-propos pour un livre consacré à la vie dans un stalag (un camp de prisonniers de guerre en Allemagne) durant la Seconde Guerre mondiale, document historique et hommage biographique rendu par Jacques Tardi à son père René.

Le style de Tardi, dans un noir et blanc grisé et rehaussé de rouge Pantone ®, est égal à lui-même, proche de la perfection (on s'étonne quand même du peu d'attention porté aux corrections de français pour un auteur de cette envergure chez un éditeur ce cette envergure), avec une facilité de dessin déconcertante mais qui n'est jamais mise en avant et s'efface au contraire derrière le récit.

Et ce récit de manque pas de force. Poignant, il s'agit du récit à la première personne des mésaventures du tankiste René Tardi, dialoguant avec son fils, suite à la débâcle de 1940, narrant sa vie dans les camps de prisonniers où plus d'un million de soldats français ont pourri pendant cinq ans. A leur retour, les prisonniers de guerre furent regardés de travers : on leur reprochait d'être des planqués ou des lâches, de n'avoir pas subi de plein fouet les rigueurs de l'Occupation, et s'ils faisaient mine de se plaindre, il n'y avait qu'à leur parler des camps de concentration pour qu'ils la bouclent. Le père Tardi, comme tous ses camarades, a souffert toute sa vie de cette douloureuse incompréhension, et le fils a finalement essayé, par la bande dessinée, de panser la plaie.

Le principal mérite de ce livre, outre l'abondance de détails vécus et véridiques et étonnants, est d'avoir su faire sentir que le mal principal dont souffrent les prisonniers n'est pas la contrainte physique, la limitation spatiale de leurs mouvement, c'est-à-dire l'enfermement en tant que tel, mais plutôt l'abolition du temps, chez ces hommes retirés malgré eux de la course du monde pour une période indéterminée, contrairement aux prisonniers de droit commun qui connaissent la durée de leur peine. Cette incertitude, cette absence d'horizon temporel, devient un poids plus étouffant encore que les barrières de barbelés, la faim ou les brimades des gardiens.

Un tome 2 est prévu. C'est peu dire qu'on est impatient de lire la suite.

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