27 juin 2013

Soprano Lamentoso

Tony Soprano est mort. Enfin pas tout à fait Tony Soprano, mais James Gandolfini, l'acteur qui s'était si génialement imposé en mafioso dépressif en incarnant pendant six saisons le boss du New Jersey qui s'évertuait à vivre sa double vie dans ses deux familles. James Gandolfini n'avait pas eu une carrière éblouissante avant d'être révélé par ce rôle, se faisait plutôt discret depuis la fin de la série, mais qui pourrait nier que si d'évidence le rôle a fait l'acteur, inversement Gandolfini a donné à Tony Soprano un corps exceptionnel, à l'embonpoint en croissance exponentielle, au point qu'il paraît difficile d'imaginer que Tony Soprano ait jamais pu avoir un autre visage ?



Tout a été dit, écrit et lu sur la disparition de l'acteur, à Rome à l'âge de cinquante-et-un ans mais cette cyber-gazette, qui renâcle rarement à enfoncer les portes ouvertes, en profite pour revenir un peu sur la série Les Soprano, jusqu'ici évoquée de façon injustement brève en ces colonnes.

La série de David Chase, créée en 1999, n'a pas inventé la série télévisée, ni même la série policière, elle a seulement réinventé la façon d'écrire pour la télévision. Produits par la chaîne a péage étasunienne HBO, Les Soprano se sont affranchis des contraintes des objectifs d'audience pour atteindre une liberté de ton et de propos jamais vue jusqu'alors, faisant tomber les barrières en termes de violence, profanités, sexe et nudité. Rien pourtant de racoleur, au contraire, chaque scène et chaque dialogue soigneusement pensé visant seulement à servir une ambition beaucoup plus large. Chase a donné vie à une très balzacienne comédie humaine du New Jersey, brassant des thèmes universels du pouvoir, des rapports de force, de l'organisation sociale, de la cellule familiale, aptes à trouver un écho en chacun de nous. Le succès mondial de la série est venu récompenser ce pari fait par HBO et Chase sur l'alliance de la liberté et de l'intelligence créatrices.

En six saisons, Les Soprano ont dressé le portrait d'une société contemporaine engagée irrémédiablement dans un cycle sans fin de violences et d'angoisses qui se nourrissent mutuellement, où l'apparence du succès masque en réalité une profondeur de vide insondable, un échec global impossible à assumer ni collectivement ni surtout individuellement.

James Gandolfini aura été la figure de proue de ce projet artistique hors du commun dans l'histoire de la télévision. Il est et restera à jamais Tony Soprano.

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