Wiki : terme hawaïen signifiant rapide. Leak : mot anglais pour fuite, comme en plomberie. Mais vu que wiki a pris le sens de "site ouvert aux contributions des internautes", il faudrait donc accorder au terme Wikileaks le sens de "fuites contributives".
Dans le dernier cas d'espèce qui vaut à l'organisation Wikileaks un regain de gloire mondial, un seul contributeur aurait été identifié, Bradley Manning, un pauvre gamin de 23 ans servant sous la bannière étiolée (ce n'est pas une faute de frappe) en qualité de spécialiste du renseignement (de ce côté là c'est assez réussi) qui en pianotant au petit bonheur la chance sur son ordinateur, aurait mis la main sur 250 000 (à la louche) télégrammes diplomatiques du département d'Etat étasunien, les aurait téléchargés aussi sec sur sa clé USB, et les aurait transmis à Wikileaks pour être rendus publics urbi et orbi. Mais bien sûr.
De deux choses l'une. Ou bien on se fiche de nous maintenant, et ces informations ne fuitent pas très innocemment, qui qu'elles servent. Ou alors on se fiche de nous le reste du temps en nous faisant croire que les Etats-Unis sont une hyper puissance technologique naviguant à des années-lumière devant le reste de la techno-planète, quand le premier geek venu peut mettre à plat toutes ses cyber-défenses en trois clics, auquel cas je serais Al-Qaida, j'embaucherais séance tenante une armada de Bradleys Mannings. A moins qu'on ne se fiche de nous en général, ce qui ne peut pas être totalement exclu.
Un sérieux problème de robinet à résoudre.
Evidemment vexés, pour le moins, non tant par les révélations d'un intérêt très relatif contenues dans ces câbles (Qui vous savez est petit et énervé, Berlusconi aime les putes, Merkel s'endort chaque soir à 16h30, etc...), que par le fait de s'être fait prendre par plus petit que soi, les gouvernements quasi unanimes, à commencer par ceux des supposées démocraties, dont le nôtre, à l'unisson avec ceux des pays les plus progressistes comme la Russie ou la Chine, ont sonné l'hallali contre Wikileaks.
A vrai dire, la réaction ulcérée des chancelleries mondiales paraît mystérieusement disproportionnée rapportée à la valeur assez anecdotique, quoiqu'historiquement intéressante, des télégrammes révélés. On voit par là que Wikileaks a dû toucher un nerf, bien plus douloureusement que lors des précédentes campagnes de publications de documents militaires US consacrées notamment à l'Irak ou à l'Afghanistan. C'est un système mondial, vieux comme le monde, de relations diplomatiques, contenant sa juste part d'hypocrisie, qui se trouve mis à nu et ridiculisé, tout comme est rendue ridicule l'incapacité du département d'Etat à protéger ses petits secrets.
Et la contre-attaque est fulgurante, et tous azimuts. Tout d'abord contre Wikileaks et son porte-parole, l'énigmatique Australien Julian Assange. Le premier étant l'objet de tracasseries multiples visant à le rayer de la carte du net, le second étant traîné dans la boue avec de fort suspectes accusations de viol en Suède. Bon, à la rigueur, c'est au moins dans la logique des choses. Notons au passage comment en France même un illustre ministre de l'Industrie se prend pour Anastasie en réclamant la censure technique du site. Je suis bien naïf, me rétorquera-t-on, mais les bras m'en sont tombés. Voilà pour qui croyait vivre dans un Etat de droit, si ces mots ont encore un sens.
La seconde phase, qu'on commence à sentir poindre, est, à travers de Wikileaks, une mise en accusation d'Internet tout entier en tant que tel, et un appel à sa mise sous tutelle étatique (voir notamment l'effarant projet du Sénat étasunien COICA, qui fait écho à notre Hadopi que le monde entier nous envie). Au nom bien sûr de la protection des citoyens. Dont, que je sache, Wikileaks a occis moins que les services diplomatiques acharnés à sa perte. Irresponsables, dangereux, totalitaires, sont les savoureux qualificatifs qu'on entend revenir en boucle dans la bouche des gens respectables aux affaires ou aspirant à y revenir, comme si les services secrets, bras armés des nations, n'étaient que Bisounours responsables, inoffensifs, et adeptes de l'autogestion coopérative décentralisée. Un peu comme le 11 septembre avait permis de justifier l'invasion de l'Irak, l'affaire Wikileaks permettrait de museler Internet, bien qu'il n'y ait guère plus de lien entre le cablegate et Internet qu'il n'y en avait entre l'Irak et le 11 septembre.
Car Wikileaks serait le pur produit d'Internet, ce qui est factuellement parfaitement faux. Wikileaks a procédé ni plus ni moins à un travail journalistique basique : la vérification, l'analyse, et la publication de documents intéressant l'opinion publique. Comme le fait tout journaliste d'investigation en presse écrite en publiant par exemple les déclarations de revenus de personnalités ou des PV d'auditions dans des procédures judiciaires traitant d'affaires politiques. Personne alors ne demande la mise sous tutelle ou la saisie des imprimeries et des stocks de papier. Personne alors n'accuse les journalistes de viol ou de pédophilie. Quoique. Le seul tort de Wikileaks serait donc de vivre avec son temps et de changer d'échelle grâce à la technologie en mettant à la disposition d'un public mondial des sommes de documents jamais vues.
On en vient à soupçonner que finalement le plus insupportable pour nos chers dirigeants et grands leaders, si unanimement indignés, c'est de se retrouver, arroseurs arrosés, soudain nus dans le feu des projecteurs, quand ils n'aspirent qu'à l'ombre. A tous les citoyens dans l'œil des caméras de surveillance omniprésentes, soumis à des contrôles d'identité, à des palpations de sécurité, suspects permanents, ne répètent-ils pas qu'il n'ont rien à craindre s'ils n'ont rien à se reprocher ? Voilà la formule retournée contre ses auteurs.
Wikileaks, dont le fonctionnement peut parfois paraître énigmatique, doit être remercié quand ce ne serait que pour ça.
5 décembre 2010
Prenons la fuite
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4 commentaires:
La coincidence temporelle avec l'affaire Karachi fait mal aux dents: les mêmes soupçonnés de cacher des documents prouvant l'éventualité d'une mise en danger assumée de citoyens français demandent la censure de WKL au nom... de la protection des personnes éventuellement citées (on sait que le ménage a été fait par de vrais journalistes pros pour éviter ce genre de problème). Le plus drôle aura été d'entendre le ministre se targuer du soutien de "nombreux internautes". On l'imagine surfant sur les forums et les sites pour voir si les gens sont d'accord avec lui. La désinformation semble une façon de gérer l'opinion qui tient du réflexe dans ce triste gouvernement.
Je voudrais bien savoir quel gouvernement n'est pas ni ne sera tenté de s'adonner à la désinformation...
Tous mais j'ai l'impression que celui-là bat des records. J'ai le sentiment que les conseillers en communication ont décidé que la meilleure défense c'est l'attaque (il n'y a pas de problème aux pompes, il ne neige pas etc etc...).Mais je peux évidemment me tromper.
C'est vrai qu'à ce niveau , ce n'est plus de la désinformation, mais de la novlangue.
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