16 février 2013

Boisson pilote

Flight de Robert Zemeckis.

Une belle descente. Un pilote d'avion chevronné sauve son appareil et la quasi totalité de ses passagers en évitant une catastrophe inévitable par une manœuvre pour le moins audacieuse. Problème : il était ivre. Et alors, où est le problème ?

Il faut faire attention au double sens du titre, tellement intraduisible qu'il n'a pas été traduit (flight en anglais désigne aussi bien un vol aérien que la fuite d'un fuyard), pour comprendre qu'on n'a pas affaire à un énième film catastrophe mais à un drame sur les méfaits de l'alcoolisme. Le cœur du récit est en effet consacré à la difficile prise de conscience d'un homme en plein déni, et au choix douloureux qu'il est amené à faire pour se débarrasser de la bouteille avant qu'elle n'ait raison de lui. Et ça n'est pas facile, comme le savent tous ceux qui suivent le même chemin.

Zemeckis, qui décidément aime les accidents d'avion depuis Seul au monde, parvient à naviguer à vue à travers les écueils d'un scénario balisé comme une piste d'atterrissage, sans toutefois éviter les longueurs, ni une chute moralisante à souhait, avec, évidemment, expiation publique. Une approche qui fait de la rédemption personnelle un chemin de croix aux accents quasi religieux. Prenez et buvez-en tous.

Crash-test :

14 février 2013

Laissez tomber les petits papiers

Hasard du calendrier qui nous fait poster cette vidéo un 14 février. Il s'agit d'une production Disney qui, outre son scénario gentiment charmant (bon, la musique casse pas trois pattes à un canard en caban), met en évidence les mérites d'un nouveau logiciel d'animation, Meander, qui permet de fusionner la qualité de l'animation traditionnelle faite main avec le volume et la profondeur qu'offre l'animation par modélisation 3D. Si le résultat est convaincant, c'est surtout parce que la technique sait se faire oublier, presqu'imperceptible, et c'est bien là ce qu'on lui demande.

6 février 2013

Les gaytés de l'escadron

Yossi d'Eytan Fox.

Boy meets boy. Yossi est un jeune médecin complexé dans un hôpital de Tel Aviv. Il examine un jour la mère d'un camarade de régiment mort au combat. Il avoue, aux parents du défunt autant qu'à lui-même, que celui-ci était en fait son amant, puis part se changer les idées dans le Neguev en compagnie de sémillants permissionnaires en goguette.

Si les aventures et mésaventures sentimentales que Fox choisit de nous raconter étaient hétérosexuelles, on serait bien obligé de hurler à la banalité absolue. Le fait que son film nous mette aux prises avec des homosexuels ne suffit pas à pimenter le topo (sans heureusement obliger à hurler à la banalité du mâle). La mise en scène, toute en retenue, tendant à l'invisibilté, ne parvient pas à nous intéresser aux peines de cœur du cardiologue dépressif, et finit par raser passablement à force de ne rien montrer et de ne rien dire.

Tout au plus, en creux, au milieu de tout ce non-dit, distingue-t-on un commentaire peut-être involontaire sur le degré de militarisation d'une société israélienne vivant en état de guerre permanente. A cette aune, se prélasser quelques jours dans un hôtel de bord de mer à portée de roquette du Sinaï passe moins pour de l'insouciance que pour de l'inconscience.

Crash-test :


5 février 2013

Le nez creux

Il n'est pas dans les habitudes de cette cyber gazette, dont la modestie n'a d'égale que la discrétion, de fanfaronner, de plastronner, de se vanter un tant soit peu, ou, en se rengorgeant, de se vautrer de quelque façon que ce soit dans une autosatisfaction obscène. C'est donc à notre corps défendant, soumis à la loi d'airain de l'actualité angoumoisine, à savoir le palmarès du dernier festival de bande dessinée charentaise qui a consacré Quai d'Orsay de Blain et Lanzac, meilleur album, et Willem, grand prix pour l'ensemble de son œuvre, à notre corps défendant, donc, que nous devons ici admettre avoir eu le nez creux, en tenant nos lecteurs informés à l'avance des dernières tendances à l'avant-garde de l'art séquentiel contemporain.


Il serait évidemment malséant d'en tirer une quelconque gloriole, et nous nous contenterons, avant que le vent n'efface nos écrits, de vous exhorter à continuer de lire fidèlement Hobopok Dimanche.

2 février 2013

Vingt centimes

Depuis le 1er janvier, sans tambours ni trompettes, le quotidien gothique du soir Le Monde a augmenté son prix de vente au numéro de 1,60 € à 1,80 €. Vingt centimes d'augmentation, soit +12,5%. Pour un certain nombre de lecteurs, y compris un au moins qui tenait encore le coup au Bourget, malgré des difficultés d'achalandage de plus en plus criantes, c'est le bout de la route. Quand le journal se met à coûter le même prix qu'un café dans une brasserie parisienne, il devient un objet de luxe.

Rappelons qu'en 2002, peu avant le passge à l'euro, Le Monde et Le Canard enchaîné coûtaient le même prix : 8 FF. Aujourd'hui, voilà le quotidien rendu à 1,80 €, quand le prix de l'hebdomadaire satirique est resté inchangé à 1,20 € depuis (un prix légèrement inférieur à 8 FF...). Le premier voit continuellement décliner son lectorat, ses ventes, sa surface éditoriale, fuir ses journalistes, subit les assauts du numérique, croule sous les dettes, quand le second se porte à merveille et cancanne chaque semaine un peu plus fort. Cherchez l'erreur.

La fuite en avant de ce titre myhique de la presse française est pathétique. Depuis les dernières réformes internes qui ont accompagné le rachat par le trio BNP (Bergé, Niel, Pigasse), le journal qui n'appartient plus à ses rédacteurs depuis longtemps, a continué à marginaliser les société de personnels au profit des investisseurs qui voulaient bien mettre la main à la poche à condition, comme on les comprend, d'avoir le pouvoir de décision.

On devine l'intention de ces as du marketing et de la finance : transformer une entreprise de presse d'information en une juteuse marque de luxe destinée aux CSP+ (catégories socioprofessionnelles supérieures, en jargon de com), qui s'apposera partout ailleurs que sur des cahiers de papier, afin de monétiser l'image et la réputation de l'ancien Monde. Une magnifique opération de branding. A vingt centimes.

1 février 2013

Blanche-Neige d'antan

Blancanieves de Pablo Berger.

Conte de fées tauromagique. Dans l'Andalousie des années 20, la fille d'un toréador déchu subit les brimades d'une marâtre cruelle, est recueillie par des nains eux aussi toréadors, et a tout juste le temps de connaître à son tour la gloire dans l'arène, avant de croquer une pomme qui la fait sombrer dans une léthargie fatale d'où seul le baiser d'un prince au cœur pur pourra la tirer. Tout ça ne vous rappelle rien ?

Difficile, avec ce film muet en noir et blanc, situé à la même époque, de ne pas le comparer à notre The Artist national, chef-d'œuvre tricolore multi-oscarisé. Pourtant les similitudes s'arrêtent à la description technique des deux productions, car leur propos n'est pas le même. Et il faut bien reconnaître, dût l'orgueil national en souffrir, que le film espagnol pousse le bouchon encore plus loin, en se libérant des limites du pastiche, pour devenir autre chose qu'un commentaire sur lui-même et s'élever vers des sphères d'une inventivité et d'une modernité de haute volée.

Il faut d'abord, comme avec The Artist d'ailleurs, savoir apprécier le plaisir de se retrouver, grâce à ces films muets modernes, dans une salle obscure pour goûter à la quintessence du cinéma dans ce qu'il a de plus pur : une histoire racontée avec des images qui bougent, de la cinématographie littérale. Loin d'être barbant ou rébarbatif, le film muet, en empruntant sa grammaire aux maîtres du genre et autres pionniers du septième art, concentre au contraire le sens, et captive bien davantage l'attention du spectateur que bien des films parlants qui trop souvent masquent l'indigence de leur mise en scène derrière d'incessants bavardages. Et Berger a su se donner les armes du succès en adoptant un noir et blanc expressionniste, et une bande son extrêmement soignée, baignée de flamenco, hymne à l'âme ibérique. Clin d'œil aux lois du genre : une utilisation intensive et astucieuse de surimpressions parfois très drôles, effets spéciaux à deux pesetas et diablement efficaces.

On voit évidemment, au-delà du conte de fée perverti de façon à la fois enjouée et sardonique, une allusion, même si les dates ne coïncident pas parfaitement, à la prometteuse jeunesse de la République espagnole, qui allait être foudroyée par le franquisme, plongeant la belle Espagne dans un sommeil éternel de quarante ans. On pense aussi au Labyrinthe de Pan, autre film espagnol, qui sur un ton tragique transformait un rêve d'enfant en parabole politique antifranquiste.

Dans ce dernier film, on pouvait apercevoir déjà la rayonnante Maribel Verdú, qui ici interprète génialement la maléfique marâtre Encarna. Tandis que le nain amoureux de la belle endormie a, inexplicablement, les traits d'un Joann Sfar miniature...

Ultime moment de grâce : la fin du film n'est pas dans le film. Elle n'a pas été écrite, et lorsque s'achève le mouvement de caméra du dernier et magnifique plan, c'est au spectateur de le faire. ¡Olé!

Crash-test :