24 janvier 2010

Mais où sont passées les gazelles ?

Invictus de Clint Eastwood.

Ons is die Bokke (Nous sommes les Boks) ! En 1995 pour la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud, le madré Nelson Mandela fraîchement porté à la tête du pays flaire un bon coup politique à jouer, monte une gigantesque opération de relations publiques, à vocation tant intérieure qu'extérieure, et transforme l'essai avec la victoire pour le moins inattendue des Springboks.

Selon la grande tradition hollywoodienne, voici encore un film sur l'Afrique du Sud où les rôles principaux sont tenus par des acteurs nord-américains (voir Une saison blanche et sèche, Cry, the Beloved Country) qui font de leur mieux pour bredouiller avec un accent du cru, ce qui nous vaut à l'écran de présumés Afrikaners parlant anglais entre eux, ou de présumés Xhosas parlant anglais entre eux. Le syndrome Slumdog Millionaire. C'est redoutablement cucul, dans le sens où ça retire toute espèce de crédibilité à la tentative d'authenticité visée par le réalisateur. Mais soit, admettons qu'il faille en passer par là pour contenter des spectateurs étasuniens allergiques aux sous-titres.

S'inspirant d'un livre à succès, Playing the Enemy de John Carlin, Eastwood livre encore un film au scénario très classiquement linéaire mais cette fois-ci sans grand suspense puisque la fin est archi-connue. L'essentiel du récit se résume à l'opposition de caractère entre le président Nelson Mandela doté d'une exceptionnelle hauteur de vue qui lui permet d'avoir toujours un coup d'avance, notamment sur les plus fanatiques de ses supporters, et le capitaine des Springboks, François Pienaar, présenté comme un gentil couillon pensant avec ses jambes, et qui ouvre doucement les yeux aux nouvelles réalités. Et pour symboliser la difficile réconciliation au cœur de la nouvelle Afrique du Sud, on a droit à quelques chapitres sur la fusion entre les anciens services de sécurité de la présidence De Klerk et ceux de l'ANC. Ça reste un peu court, surtout que les scènes de rugby sont elles tout de même un peu longuettes, et pas totalement convaincantes de surcroît.

On regrette ainsi comment le scénario en forme de légende manque de nous éclairer sur la symbolique politique du rugby en Afrique du Sud, le ballon ovale faisant partie intégrante de l'éducation des jeunes mâles afrikaners, troisième pilier de l'apartheid, aux côtés de l'Eglise réformée hollandaise et du Parti national. Impasse aussi sur l'aspect un peu moins légendaire de la Coupe du monde 95, où pour nombre de spécialistes, le fabuleux destin des Springboks, alors au fond du panier du rugby international, reçut quelques providentiels coups de pouce avec achat d'arbitres, ou de mystérieuses intoxications alimentaires d'adversaires...

Côté réalisation, Clint se laisse aller à quelques étonnantes facilités, avec une bande-son encombrée de romances sirupeuses assez ridicules, ou des ralentis d'une finesse éléphantesque, substituts d'une émotion assez largement absente de l'écran. Heureusement, l'interprétation assez brillante de Morgan Freeman, qui joue d'une certaine ressemblance physique avec son modèle, sauve le vrai sujet du film, à savoir comment Mandela a fait du pardon une puissante arme politique.

Crash-test :

7 commentaires:

Li-An a dit…

"On regrette ainsi comment.." ??? Ça se dit, ça ?

Hobopok a dit…

La preuve.

badjack a dit…

Et ben voilà! Hobopok et moi commençons 2010 en étant d'accord! Que diable Eastwood, qui a réalisé des films magnifiques, est-il aller se fourvoyer dans cette espèce d'hagiographie de Mandela? Au début les noirs sont gentils et les blancs un petit peu méchants, à la fin tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Le summum du ridicule est atteint dans cette scène au ralenti après la finale de la coupe du monde où des policiers blancs et armés prennent dans leurs petits bras musclés un petit noir des townships pour l'embrasser! C'est Oui-Oui au pays des Bisounours. Les scènes de rugby sont à la hauteur, l'ouvreur néo-zélandais, Mehrtens en personne, nous faisant un coup d'envoi à faire hurler de rire un joueur minime, pendant que l'arbitre n'a manifestement jamais vu un match de sa vie, faisant dix fois le même geste pour dix fautes différentes. Ridicule. Arrête-toi, Clint, la sénilité te guette...

Hobopok a dit…

Et par dessus le marché, on a un petit peu l'impression que mandela, en tant que président, ne s'est occupé que de rugby pendant un an. Je sais bien que Clint réduit sa perspective au profit du sujet du film, mais c'est quand même un peu extrême.

l'inegalable vivie a dit…

J'aime bien l'idée du "pardon comme puissante arme politique". c'est sans doute ce qui m'a touchée dans ce film.

le petit carré de douceur pure dans un monde sans âme ... rêve de midinette sans doute.
un moment d'idéalisme dans notre joli monde de gens si parfaits et contents d'eux même.
Parce qu'il donne à penser que les bisounours existent le temps d'une projection...
Au moins, ça change de Milgram , même si c'est moins réaliste.
ça dépayse au moins autant que le dernier Disney!
Mais pouvait on difficilement oser espérer autre chose d'une production américaine du très pédagogique Clint?
Peut on vraiment faire passer autrement le propos " humaniste et idéal" , tout en masquant la naïveté généreuse du politiquement correct, naïveté mâtinée de la vertu du cowboy des grands espaces hollywoodiens?
Une certaine dérision ou distance était t elle possible sans jeter de l'huile sur le feu?

je n'attendais guère plus , donc je suis bien moins déçue que vous , semble t il.
Je vous trouve un peu raide dans votre jugement , mais pas injustes dans le fond non plus après tout.

Hobopok a dit…

Ce qui est dommage, et sur quoi apparemment on se retrouve avec Badjack, c'est que Mandela se retrouve réduit à une figure hagiographique monolithiquement positive, alors que le personnage est sans doute plus retors, notamment sur la délicate période de transition démocratique décrite par le film, et que le sujet méritait davantage decomplexité pour une donner une vision plus juste.

l'inegalable vivie a dit…

Mais oui , mais oui .
on parle toujours du décalage entre l'idéal et la" réalité". Disons que clint vise plus la part de rêve premier degré que réalité caustique et topons là.

j'arrête là.
comme disait luchinni en citant cocteau dans son spectacle " Rien pour robert"

" le drame aujourd'hui , c'est que la bêtise pense".


'il disait aussi de J renard"; ' il ne dit presque rien et semblait penser beaucoup de bêtise."
Voilà qui , dans un cas comme dans l'autre, mettra tout le monde d'accord , quelque soit son angle et son point de vue...