10 février 2010

Hansi majeur

L'Alsace heureuse, par Hansi.

C'est la peau du ventre encore tendue par l'absorption répétée de baeckeoffe et de choucroute parcimonieusement arrosés de sylvaner que je suis tombé en arrêt devant la splendide couverture de ce non moins somptueux livre d'images à l'ancienne, réédition en fac-similé d'un ouvrage initialement paru en 1919, où le dessinateur racontait ses déboires en Alsace occupée, son passage dans l'armée française où il servit comme interprète durant la Grande guerre, et enfin la libération de l'Alsace par les troupes alliées après l'Armistice. De vagues souvenirs de jeunesse me titillent à la vue de certaines de ces images assez frappantes, et je suis à peu près persuadé d'avoir déjà eu gamin une édition de ce bouquin entre les mains chez mes grands-parents, qui ne devaient pas être insensibles au nationalisme cocardier qui baigne ces pages.

Hansi, Jean-Jacques Waltz de son vrai nom, était devenu très populaire en France française avant-guerre avec la publication d'une Histoire d'Alsace totalement révisée en faveur de la nation française, où il défendait avec vigueur la thèse assez farfelue d'une Alsace déjà alsacienne et farouchement tricolore dès l'époque romaine, premier rempart contre la barbarie germanique venue d'Outre-Rhin, suivez-mon regard. Sa popularité en Alsace administrée, dois-je le rappeler, depuis 1871 par l'Allemagne, était inversement proportionnelle auprès des autorités d'occupation qui commencèrent par lui infliger de lourdes amendes avant de se résoudre à l'embastiller provisoirement, le poussant finalement à s'exiler quelques semaines avant la déclaration de guerre.


C'est à Hansi qu'on doit d'avoir, principalement par les deux ouvrages susmentionnés, popularisé l'image de la petite Alsacienne en coiffe à grands nœuds, et du petit Alsacien en bonnet fourré et gilet rouge, alors que les costumes folkloriques étaient bien plus variés que ça d'un bout à l'autre de la région, voire d'un village à un autre ! Etonnant exemple d'une culture populaire à un instant t forgeant une tradition mythique pour des décennies.


Hansi ne connut plus jamais le même succès par la suite, même si son œuvre ne se limitait pas à l'illustration mais débordait assez largement vers la peinture à l'huile et à l'eau, où il révélait un côté plus sombre, voire franchement mélancolique, et surtout une dimension d'artiste à part entière, montrant qu'il ne pouvait être réduit à un travail régionaliste ou enfantin. Il faut dire qu'il eut à subir quelques mauvais procès, lui l'incorrigible bouffeur de Boches, de la part de nationalistes alsaciens qui lui reprochèrent d'avoir contribué à l'étouffement de la culture alsacienne par la République triomphante.


Paradoxalement, Hansi, devenu malheureusement un emblème folklorique, est aujourd'hui omniprésent dans le paysage mercantile du tourisme alsacien, sous forme de cartes postales, affiches, verres à vin blanc, moules à kougelhopf... Il reste heureusement possible de découvrir la profondeur de ses dessins avec ces livres réédités, L'Alsace heureuse et L'histoire d'Alsace, ou encore avec un massif et récent Tout Hansi qui montre aussi l'œuvre peinte.

5 commentaires:

Totoche Tannenen a dit…

Hansi serait-il le chainon manquant entre Mucha et Hergé ou Saint-Ogan ?
Je n'ai -hélas- toujours pas réussi à faire rentres ces fac-similés dans mon scanner.

Hobopok a dit…

Ça ne m'avait pas frappé, mais une amie à qui je montrais ces pages me disais que le trait lui faisait penser à Hergé des débuts. C'est pas faux.

Totoche C.P. du Plan B(d) a dit…

C'est -je trouve- carrément plus abouti que Totor C.P. des Hannetons, Tintin au Pays des Soviets et même Tintin au Congo. Sans parler des douces et très belles couleurs.

l'inegalable vivie a dit…

un vrai document d'histoire assurément..
As tu visité l'eco musée de Colmar? on y voit aussi une salle de classe d"une ecole primaire du 19éme siècle, avec les leçons qui changent suivant les époques de férules allemandes et françaises, dans la même veine que ce que tu racontes.

Hobopok a dit…

Eh bé non. Colmar me semble être au bout du monde.