Sugar Man de Malik Bendjelloul.
Une Volkswagen hors d'âge file sur la voie de gauche de la route qui serpente le long de la péninsule du Cap illuminée par la lumière d'un soir austral... mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Malik Bendjelloul, l'auteur de ce documentaire, va ainsi nous dérouter puis nous tenir en haleine, pour mieux nous faire entrer dans la peau des fans sud-africains de Rodriguez. Puis enfin révéler la face cachée de la Lune : Rodriguez est vivant, habite toujours à Detroit, survit de petits boulots et n'avait jamais entendu parler de l'Afrique du Sud où il vendait pourtant plus de de disques qu'Elvis Presley ou les Rolling Stones. Toute la qualité du réalisateur est d'avoir su magnifier et exalter la réalité, certes extraordinaire, et d'en faire quasiment un conte de fées, qu'on aimerait de façon infantile entendre raconter encore et encore tant y sont mêlés intimement la tristesse et la joie, la résignation et l'espoir, l'ombre et la lumière, la vie et la mort. Le film se hisse miraculeusement à la hauteur de son exceptionnel sujet, pour devenir un cinglant hommage à la puissance évocatrice de la musique, à un talent sur lequel le temps n'a pas de prise, à cette voix cristalline, limpide, qui interprète un folk-rock désabusé et mélancolique avec une sérénité presque inquiétante.
Il serait vain de prétendre que le spectateur n'est à aucun moment pris d'un doute. Cette histoire invraisemblable semble fabriquée de toutes pièces, trop belle pour être vraie. Ne s'agit-il pas plutôt d'un mocumentaire, c'est-à-dire un faux documentaire, comme celui consacré au groupe de hard rock imaginaire Spinal Tap ? Mais non, tout est bien vrai, et ce doute initial, consubstantiel au propos du réalisateur, participe à la force du film, tant il était partagé par nombre des protagonistes du retour à la vie du chanteur mort. Tout est authentique, comme l'émotion renversante du premier concert du come-back de Rodriguez devant une foule en délire en 1998 au Cap.
Le film vaut autant pour sa capacité à orchestrer tout ce qu'on y voit, que pour ce qu'il laisse dans l'ombre, à charge pour le spectateur d'imaginer comment remplir les vides. Quid des femmes ? La drogue ? L'alcool ? La religion ? L'argent des droits d'auteur spolié par des producteurs indélicats ? Rodriguez, désormais un vieux monsieur réclamé dans le monde entier, éternellement timide et modeste, ne répond pas davantage à ces questions que Bendjelloul ne tente de le faire. Il conserve ainsi sa part de mystère, comme il sied à quelqu'un revenu d'entre les morts.
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