29 juin 2010

La preuve par l'image

S'il fallait encore une preuve que la vidéo, loin de régler comme par magie tous les problèmes d'arbitrage du football, ne ferait que pervertir le sport au-delà du concevable, les récentes erreurs d'arbitrage notées lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud nous ont permis d'observer avec quel sérieux les images de télévision sont manipulées.

Voici, repris par le journal d'iTélé, un instantané de la vidéo qui fut diffusée sur les téléviseurs du monde entier, ainsi que sur les écrans géants du stade, immédiatement après le but, entaché d'un hors-jeu flagrant, et fort injustement validé par l'arbitre, marqué par l'Argentine (maillot rayé ciel et blanc) lors de son huitième de finale contre le Mexique.

Aux chiottes l'arbitre vidéo.

Alors là bravo. Les petits génies aux manettes dans leur car vidéo ont marqué la ligne du hors-jeu sur la position de l'ultime défenseur, et non pas, comme le veut la loi 11 du jeu de football, sur l'avant-dernier. Si les tenants, thuriféraires, et autres enragés croyants et pratiquants de l'arbitrage vidéo ne connaissent seulement pas les règles...

28 juin 2010

Le ventre de l'architecte

Asterios Polyp de David Mazzucchelli.

Asterios Polyp est un architecte qui ne construit rien, un intellectuel arrogant et sûr de lui qui s'interroge subitement sur le sens de la vie, envoie tout balader, prend la route, se perd dans le trou du cul des Etats-Unis à seule fin d'entrapercevoir ce qu'il peut avoir dans le ventre. A toutes ses questions, une seule réponse : l'amour. Mon Dieu.



Mazzucchelli est un artiste à géométrie variable, venu du comics de super-héros, qui a bifurqué vers la bande dessinée d'auteur indépendante, et qui n'avait à ce jour guère retenu mon attention. Avec ce volume ambitieux, il démontre un savoir-faire consommé dans la construction narrative, appuyée sur une maîtrise graphique hors du commun. Asterios Polyp nous embarque dans une réflexion de haute volée, maniant concepts philosophiques, postulats artistiques, pensées personnelles, souvent énoncés avec brio par le seul pouvoir de l'image. Mazzucchelli sait plier son dessin, et le sens de ses représentations, à son propos, guidé par le point de vue désabusé du personnage principal, l'architecte cynique revenu de tout.

Malheureusement, toute cette impressionnante mise en place, où domine le nihilisme, nous conduit vers un dénouement extraordinairement fleur bleue, pour ne pas dire cucul. Car ce qu'Asterios Polyp va découvrir au terme de son voyage introspectif, c'est qu'en ce bas monde, rien ne vaut l'amour. Ça alors ! Puis, ultime fin finale, le héros est malgré tout, par un artifice de scénario intersidéral, privé de rédemption. Ouf. Tout ça pour ça. L'amour, l'amour, l'amour... combien de temps encore les artistes vont-ils nous rebattre les oreilles avec ça ? Il n'y a quand même pas que ça au monde.

23 juin 2010

Schadenfreude

Les étudiants en psychologie connaissent bien ce terme allemand, Schadenfreude, la "joie des dégâts", qui désigne le plaisir paradoxal qu'on peut prendre à contempler un champ de ruines, c'est à dire tirer une satisfaction, nécessairement malsaine, du malheur des autres. Ou pourquoi pas du sien, si, quand on est un tant soi peu supporter, on accepte de prendre un peu pour soi l'effondrement fracassant, dans d'insondables abîmes de ridicule, de l'équipe de France de football en Afrique du Sud.

Durant tout ce début de Coupe du monde, votre cyber gazette favorite, qui n'avait pas jusqu'ici fait grand mystère de la haute estime en laquelle elle tenait cette prétendue équipe, s'est abstenue de hurler avec les loups, afin de ne pas ajouter l'obscénité à la honte. Bien malin celui qui pourra démêler l'écheveau des responsabilités de cet amusant fiasco, entre la Fédération française de football, la direction technique nationale, le sélectionneur et ses sbires, et enfin les joueurs. Justement, on peut penser que ces joueurs ne sont ni pires ni meilleurs que ceux qui auraient pu être sélectionnés à leur place, et vraisemblablement ni pire ni meilleurs que ceux qui se gaussent d'eux dans les autres sélections, leurs partenaires dans les meilleurs clubs de France et d'Europe, les mêmes starlettes immatures à l'ego inversement proportionnel à leur talent. Dans les mêmes circonstances extrêmes, il y a fort à parier que tout autre groupe de joueurs aurait réagi de la même façon grotesquement extrême. Simplement, les vingt-trois Bleus en Afrique du Sud se sont trouvés au mauvais moment au mauvais endroit, là où aboutissait un processus de pourrissement de l'institution engagé depuis presque dix ans. Il n'y a pas lieu de les exonérer de leur manquements graves, il ne faudrait pas non plus les croire seuls coupables.


Avec l'élimination de l'équipe de la compétition, qui paraissait tout bien considéré comme l'option non seulement la plus probable mais aussi la plus souhaitable (Schadenfreude), tant on imaginait mal de devoir endurer encore une semaine ou davantage de psychodrame, on se dit qu'on a peut-être enfin touché le fond. Il ne faut pourtant jurer de rien, bien des désastres insoupçonnés peuvent encore accabler nos malheureux footballeurs et leurs garde-chiourmes, et nul ne sait ce qui peut ressortir de l'inévitable grand déballage où vont s'étriper les je-vous-l'avais-bien-dit et les y-a-qu'à-faut-qu'on. Un mal pour un bien, à condition que personne ne fuie ses responsabilités, ce qui semble assez mal parti.

Rassurons nous, le cataclysme n'est pas national, quoi qu'en disent les politiques que personne n'a invités à venir encombrer un tableau déjà chargé, et qui pourraient peut-être trouver d'autres chats à fouetter plus urgemment. Il n'y a pas mort d'homme. Les seules victimes connues sont ces gamins ayant grandi à Saint-Etienne dans les années 70, que les concerts de klaxons les soirs de victoire en coupe d'Europe empêchaient de s'endormir, qui voyaient gambader sur la pelouse du stade Geoffroy-Guichard des demi-dieux de la trempe de Rocheteau, Piazza, Curkovic, ou Platini, qui étaient encore à Saint-Denis dans les tribunes du Stade de France un certain 12 juillet 1998, et qui pour leur plus grand malheur, aiment encore le football sans espoir de retour.

Supplément gratuit

On peut pour se détendre un peu, se délecter de cette installation vidéo contemporaine due au célèbre cinéaste Vikash Dhorasoo.

22 juin 2010

La Belgique est-elle soluble
dans l'alcool ?

La merditude des choses de Felix Van Groeningen.

Eléphants roses et Flamands gris. Un gamin de treize ans vit avec son père, ses oncles chômeurs, tous alcooliques au dernier degré, et sa grand-mère, dans un pauvre patelin de Flandre, et semble promis à la même carrière de bon à rien imbibé de bière et de genièvre, mais échappe miraculeusement à son destin grâce à sa plume.

Rien dans ce récit ne nous est épargné du naturalisme alcoolique qui fait le quotidien de ce foyer miséreux. Aucune ingestion de liquide ni expulsion qui s'ensuit par telle ou telle voie. Et pourtant ces scènes de biture qui finissent presque invariablement en bagarre arrivent à devenir drôles à force d'être extrêmes, présentant avec une forme de tendresse insoupçonnée cette déchéance sociale sans issue apparente qui nourrit les boursouflures absurdes d'une fierté familiale tapie au fond d'une bouteille. La mise en scène de Van Groeningen, dont il faudrait se demander quelle part d'autobiographie il a distillée dans son film, est directe, efficace, et sans fioritures. C'est avec une deuxième temporalité parallèle, qui projette le petit héros à l'âge adulte, en passe de devenir miraculeusement écrivain, que le film justifie ses excès, transformant la farce en un désert d'amertume. C'est donc un grand film, dur parce que sensible, qui embrasse des thèmes existentiels, celui du destin, de la filiation, des liens familiaux, tout en se permettant une critique sociale intransigeante, qui parvient à rendre compte de certaines réalités sans les travestir, sans les magnifier, sans ridicule. La dernière scène, muette, montrant le héros devenu père à son tour s'affairer avec son fils, devient alors chaplinement poignante.

Entre autres détails amusants, si le gamin prend goût à l'écriture, c'est grâce à l'accumulation de punitions que lui infligent ses professeurs, qui, à court d'idées, finissent par lui laisser le choix des sujets. Les enfances heureuses sont, on le sait, nuisibles à la création artistique.

Crash-test :

19 juin 2010

Ça c'est un champion

Je n'ai jamais été très fan des sportifs dépourvus de conscience, notamment les présumées stars du football, qui prêtent leur image de bon gars en bonne santé à des entreprises de malbouffe faisant l'apologie du gras et du sucre, comme s'ils y étaient absolument contraints par des fins de mois difficiles. Comment alors ne pas se réjouir de voir les hamburgers Quick miser ainsi sur le mauvais cheval ?

14 juin 2010

Des moutons mal gardés

Shaun le mouton.

Succès de merchandising décliné en sacs, trousses, cartables et autres oreillers qui chantent, le personnage de Shaun le mouton, échappé du moyen métrage A close shave de Wallace et Gromit, a finalement donné lieu à une série animée dans la même veine de plasticine délirante. La série a été confiée au réalisateur Richard Goleszowski, un des piliers d'Aardman Animation, qui depuis les débuts travaille dans l'ombre du génial Nick Park.

Shaun est le mouton le plus malin du troupeau, qu'un fermier taciturne et solitaire a confié aux bons soins de son chien Bitzer. Ensemble, Shaun et Bitzer mettent en œuvre des trésors d'ingéniosité et de malice pour démêler les embrouilles que les autres moutons ne cessent de provoquer. On retrouve en concentré dans chaque épisode tout le côté loufoque délicieusement décalé qui fait le charme de Wallace et Gromit, avec la même qualité d'animation agrémentée de constantes petites inventions visuelles, et le sens du timing dans le gag qui est la marque des meilleures comédies.



Dépourvue de dialogues, cette série a voyagé sans peine dans le monde entier, où elle a collectionné partout où elle est diffusée des critiques à juste titre dithyrambiques. Une quarantaine d'épisodes de sept minutes a été produite à ce jour, s'adressant sur un même ton d'ironie bêlante aux plus petits comme aux plus grands. Ces derniers, à leur corps défendant, auront tôt fait d'apprendre la chanson du générique par cœur.

9 juin 2010

Tronches de vie

La vie secrète des jeunes II, de Riad Sattouf.

Deuxième tome des tranches de vie, choses vues croquées sur le vif par le fameux réalisateur de cinéma Riad Sattouf qui semble passer une part non négligeable de son temps à hanter les fast-foods et le métro parisien dans le seul but d'y observer ses contemporains. Il paraît que tout est vrai, juré, craché, la vie de la mère de Sattouf, et on n'aura pas le mauvais goût de mettre en doute le certificat d'authenticité tant il est vrai que la réalité est souvent plus invraisemblable que la fiction.

Ces pages rassemblées en album sont en fait des chroniques initialement publiées dans l'hebdomadaire bien-pensant Charlie-Hebdo. Une fois récolées et agglomérées, elles donnent une vision d'ensemble assez effarante quoique souvent très drôle d'une humanité qui semble exclusivement composée de crétins dangereux bêtes et méchants, de frustrés sans conscience, et de meurtriers en puissance ou en activité. Un effet d'accumulation qui peut sembler au choix très déprimant ou très inquiétant ou les deux. Et bon courage à ceux des personnages qui auront le malheur de se reconnaître dans ces impitoyables saynètes.

Le trait de Sattouf s'affine progressivement au fil des pages, sans jamais rien perdre de sa clarté limpide ni de son intolérable cruauté pour quelques disgracieux malmenés, il parvient même à atteindre à une sorte d'élégance qu'on voudra bien croire fortuite.

Bref, on ne serait pas loin de partager, sur cet album, l'avis du tampographe Sardon, s'il ne fallait déplorer de page en page quelques fautes d'orthographe grosses comme des maisons. Pourquoi diable auteurs et éditeurs semblent-ils considérer comme un sorte de coquetterie indispensable de maltraiter la langue française, ou à tout le moins de s'en fiche éperdument ? La bande dessinée a suffisamment de détracteurs prompts à la ravaler au rang de sous-culture pour ignorants décérébrés pour que les meilleurs auteurs dans les meilleures maisons ne paraissent apporter de l'eau à leur moulin en s'essuyant les pieds sur la grammaire ou l'orthographe.


Et pendant que j'y suis à pester contre l'éditeur, j'aimerais bien savoir pourquoi un livre de ce niveau de prix ne peut pas offrir des numéros de pages à ses lecteurs. Impossible de se référer à telle planche telle page comme on voudrait tant le faire entre amateurs hilares. Encore une coquetterie parfaitement dispensable.

Lire aussi ici l'avis d'un lecteur orléanais.

2 juin 2010

Françafrique

Nice, chef-lieu des Alpes-Maritimes, vient de recevoir la vingt-cinquième édition du grand raout franco-africain qui rassemble dans une atmosphère de franche camaraderie et de respect mutuel bien entendu l'ancienne puissance coloniale qui ne cesse assez piètrement de se faire tailler des croupières dans son ancien pré carré par d'autres puissances plus puissantes et moins coloniales, et les quelques dictatures qu'elle a le bon goût de tolérer avec bonhomie, quand elles ne les soutient pas militairement.

Et contrairement à tous les usages sportifs qui veulent que la puissance invitante soit mentionnée en premier dans l'intitulé des rencontres, ce sommet de coquins était pompeusement nommé "sommet Afrique-France". Une inversion qui ne doit rien à un quelconque ordre protocolaire, mais qui vise plutôt à épargner à nos pauvres oreilles des sonorités interdites qui se sont depuis quelques années chargées d'un sens qu'apparemment les peuplades concernées des deux côtés de la Méditerranée ne sont plus à même d'entendre. Délicieuse hypocrisie qui par une débauche d'efforts sémantiques parvient seulement à mieux souligner ce qu'elle voulait masquer.