29 mars 2009

100 + 976 = 101

Le département Océan indien de l'IBRI rebondit sur l'article qu'Appollo a bien voulu consacrer au référendum sur la départementalisation à Mayotte, avec l'avantage sur lui de connaître depuis ce soir le résultat dudit référendum. A la surprise générale, à la question "Souhaitez-vous continuer à voyager en soute ou souhaitez-vous plutôt voyager en première avec champagne halal offert par la République ?", 62% des Mahorais (les habitants de Mayotte) ont pris la peine de répondre "en première avec champagne halal offert par la République" à 95%. J'ironise d'autant plus volontiers que bien entendu, alors que tous les partis politiques locaux sans exception avaient appelé à voter pour la départementalisation, l'issue du scrutin ne faisait évidemment aucun doute.

Et donc en 2011, Mayotte devrait ainsi, sauf coup de main vengeur orchestré depuis l'Union des Comores voisine, devenir le cent-unième département de la République française. Un certain nombre de défis attend nos futurs concitoyens, à commencer par l'état civil, base de toute administration un tant soit peu moderne, tenu de temps immémoriaux par les cadis, juges de paix musulmans, sur des Post-It® qu'on met à sécher sous la pluie en même temps que les fleurs d'ylang-ylang, principale production de l'île avec les chômeurs. Ah oui, car la quasi totalité des habitants de Mayotte, hormis le préfet blanc comme un linge, sont noirs, musulmans, avec pour langue maternelle un patois de swahili, et ont au moins un cousin à Marseille. Pour le patois, je ne suis pas sûr qu'on l'éradiquera avec la même efficacité qu'on a eu raison du breton.

Le vrai chic français.

Et la départementalisation n'est qu'une façon bien euphémique de présenter la chose, car cela va se doubler également d'une régionalisation, au sens des lois de décentralisation de 1982, l'île devenant à l'instar des autres DOM une région monodépartementale, dotée de deux assemblées pour un même territoire, un conseil général et un conseil régional, habile décalque des institutions métropolitaines dont la pertinence n'est plus à démontrer, comme la Guadeloupe en a fourni récemment l'éclatant exemple. De nouveaux fauteuils à pourvoir qui sûrement auront laissé de marbre les unanimes politiciens locaux.

Sur le plan intérieur, Mayotte a donc du boulot devant elle, avec des minima sociaux, pour certains une nouveauté, RMI, SMIC et tout le toutim qui devraient mettre vingt ans à rattraper les niveaux métropolitains. Les cadis, au demeurant stipendiés par le conseil général, vont devoir abdiquer leur rôle de notaire dans une île où la propriété foncière est encore organisée de façon traditionnellement clanique et surtout matriarcale.

Tout ça serait de la rigolade si le principal problème ne se situait sur le plan diplomatique. Car la Mayotte française est une sacrée boutade au regard du droit international, spécialité de MM. Kouchner et consorts, boutade issue d'un référendum de 1974 portant sur l'indépendance des quatre îles comoriennes alors colonies françaises, et dont la France giscardienne choisit, on se demande encore pourquoi aujourd'hui, de lire les résultats non pas globalement mais île par île. Mayotte s'étant prononcée pour le maintien sous souveraineté française, elle devint ainsi, toutes proportions gardées, notre Irlande du Nord à nous quand les trois autres îles sont devenues indépendantes en 1975 sous le nom de République fédérale islamique des Comores. Les Comores sombrent comme de droit dans l'anarchie, le chaos, la pauvreté, l'influence sud-africaine, deviennent brièvement un royaume mercenaire, avant de revenir à la relative normalité d'anarchie, chaos, pauvreté et coups d'Etat. Pendant ce temps, à Mayotte, la vie est rythmée par le séchage des Post-It® et le concours annuel de pétanque au retour des cousins de Marseille.

Aussi aujourd'hui, Mayotte est avec la Guyane le principal point noir de l'immigration clandestine en France, les Comoriens n'hésitant pas à risquer de se faire bouffer par les requins pour aller y chercher un peu de douceur française, un bon boulot d'esclave, ou un accouchement à la maternité de Mamoudzou avec peut-être des papiers pour le petit. On manque de Post-It® pour comptabiliser ces clandestins dont personne ne connaît le nombre exact, d'autant moins qu'on ne les distingue pas toujours franchement des Mahorais "de souche" dont l'état civil s'est envolé avec le dernier cyclone, sans compter que les familles ont souvent des ramifications dans tout l'archipel.

Alors voilà, bienvenue dans la République, les gars, bien joué. Bien joué le bras d'honneur adressé aux Comores, à l'Union africaine et à l'ONU. Bien joué la manipulation des politiciens métropolitains, les doigts pris dans l'engrenage de l'absurde, acculés à l'inévitable pour récompenser votre indéfectible attachement à la France. Si vous avez des réclamations concernant notre service en première classe, le caractère halal du champagne, ou sa fraîcheur, parlez en au LKP, en Guadeloupe.

7 commentaires:

Li-An a dit…

Il est assez intéressant d'écouter les reportages sur France Inter et France Cul sur le sujet: il n'est jamais abordé les difficultés éventuelles de cette départementalisation. La symétrie avec les problèmes guadeloupéens porte à réfléchir. La raison d'État a une logique bien personnelle.

Hobopok a dit…

La Guadeloupe n'a évidemment rien de vraiment comparable avec Mayotte hormis ceci : la croyance que l'Etat français peut se contenter d'une simple réponse institutionnelle pour se dédouaner de toute autre responsabilité dans une situation post-coloniale. Avec le succès que l'on a vu.

Appollo a dit…

95% de oui c'est bien, 62% de participation, c'est quand même un peu... heu... étonnant pour une question aussi cruciale pour l'île. Surtout que j'imagine que le tiers des habitants, anjouanais pour la plupart, n'a pas pu aller voter.
Bizarrement, quand il s'était agi de savoir quel avenir statutaire allait prendre la Nouvelle-Calédonie après les "évènements", touta le France avait été sollicitée lors d'un référendum.Pas pour Mayotte.
N'y avait-il pas d'autre réponse au désir légitime de rattrapage de Mayotte que la départementalisation ?

l'inegalable vivie a dit…

Article et illustration totalement ravissants et indispensables , qui corrigent la partialité de certains médias , dont nous fait justement part li-an.

Fort opportunément ce matin , je causais avec mes 3 émes de la nécessité de varier les sources d'informations..afin de développer une information précise et critique.

Pour le reste , le point de vue évoqué ici , me semble effectivement présenter des réelles questions:quel est l'objectif du gouvernement dans cette réforme , vu la particularité de cette île qu'on voudrait "nationale" et 'républicaine" , je suppose?
géostratégique?

Question connexe. pour quoi supprimer des étages ou "doublons "administratifs dans le plan Ballamou ,( genre fusionner la Loire et le Rhône ) pour créer de nouvelles collectivités territoriales hors métropoles?

On veut faire des économies de gestion ou pas?

Hobopok a dit…

@Vivie : en route vers la simplification administrative, en effet. Je crois qu'au fond ça se résume, du point de vue mahorais, à une affaire de gros sous, une averse de liquide devant s'abattre sur l'île, notamment des fonds européens.

@Appollo : je crois que tu viens de trouver à l'insu de on plein gré la solution au problème d'élargiseement de l'Union européenne : faire de la Turquie le 102ème département français, et le tour est joué.

Totoche Tannenen a dit…

Je viens seulement d'entendre parler de "Droit du sol", le dernier bouquin de Charles Masson, dans l'édition du 6 avril "Et pourtant elle tourne" sur France Inter L'as-tu lu ?

Hobopok a dit…

Je l'ai seulement croisé à la FNAC (le bouquin) mais j'ai du mal à accrocher au dessin de Charles. Je n'avais pas percuté que ça parlait de Mayotte. En ce qui concerne le droit du sol, les autorités françaises, par la voix du motodidacte Estrosi alors ministre des DOM-TOM, avaient un temps pensé régler le problème de l'immigration en modifiant le droit à la citoyenneté et faisant exception au droit général pour Mayotte. Ça n'aurait évidemment plus lieu d'être avec le statut de DOM. Ou bien ?