C'est à la lecture de cet excellent ouvrage, L'atlas des atlas, co-édité par Courrier international et Arthaud, une éclairante compilation de points de vue cartographiques à géométrie variable sur notre monde, que j'ai fait une découverte qui stupéfiera historiens, géographes et autres collectionneurs d'atlas non-avertis : l'existence d'un projet tout à fait dément proposé le plus sérieusement du monde à la fin des années 20, Atlantropa.
Dans un esprit à la fois scientiste, humaniste (hum...) et pacifiste qui irriguait certains milieux intellectuels au lendemain de la première guerre mondiale, l'architecte allemand Herman Sörgel, passé par le Bauhaus, conçut une idée à la fois simple et belle, qui n'avait à ses yeux que des avantages : l'abaissement du niveau de la mer Méditerranée grâce à un ensemble de barrages gigantesques. Le gain de nouvelles terres ainsi dégagées devait permettre au vieux continent de trouver de nouveaux espaces de développement, lancer de nouveaux projets urbains propres à unifier pacifiquement les peuples qui venaient de s'entretuer si joyeusement, et de les unir aux nègres du continent d'en face, pour le plus grand bien de ces derniers, qui auraient eu le plaisir de voir passer sur leur savane l'express Berlin-Le Cap.
Sörgel, qui publia ses premières théories sur le sujet en 1928, gagna à sa cause de nombreux scientifiques, ingénieurs, et industriels, qui planchèrent sur les détails, dessinant des modèles de barrages, de canaux, de villes nouvelles, maintenant l'utopie en vie pratiquement jusqu'à la disparition de son initiateur en 1952. La Méditerranée, séparée de l'Atlantique par un barrage à Gibraltar, devait ainsi être coupée en deux bassins séparés par deux autres gigantesques retenues entre la Calabre, la Sicile et la Tunisie, et fermée à l'est par un dernier barrage sur les Dardanelles. Sörgel prévoyait d'abaisser le bassin occidental de 100m, et le bassin oriental de 200m. Les barrages devaient être couplés à de gigantesques usines hydroélectriques qui auraient apporté la lumière, la paix, et les bienfaits de la civilisation sur les deux rives de l'étang. Les vieux ports historiques désormais enclavés, comme Venise, auraient été maintenus les pieds dans l'eau grâce à des bassins artificiels et reliés à la nouvelle côte par des canaux. Accessoirement, d'autres barrages devaient être construits en Afrique sur les cours du Congo et de l'Oubangui, noyant des pays entiers sous les eaux de retenue, pour rétablir une sorte d'équilibre hydrique avec les nouvelle terres méditerranéennes, et permettre l'irrigation du Sahara.
Bon, ben je crois que là, Sörgel avait bien bien fait le tour de la question et apporté des solutions sans failles à tous les problèmes qui se posaient. On ne voit vraiment pas ce qui aurait pu foirer ! Jésus Marie Joseph ! C'est sûr que c'est facile de rigoler aujourd'hui, quand on a pu observer de visu les catastrophes hallucinantes engendrées par des modifications hydrologiques comparativement bénignes qui ont eu lieu sur le Jourdain ou l'Amou Daria, avec leur conséquences sur la mer Morte ou la mer d'Aral. Mais évidemment l'écologie passait alors loin derrière les considérations économiques et sociales, dans la recherche d'un homme nouveau qui devait ici ou là provoquer les plus grandes tragédies, toujours pour le plus grand bien de l'humanité.
Durant l'épisode hitlérien en Allemagne, Sörgel crut dans un premier temps pouvoir gagner à sa cause des gens aussi entreprenants, volontaristes, et somme toute prometteurs, que les nazis. Mais ceux-ci finirent par se lasser de ses élucubrations pacifistes, peu en adéquation avec leurs propres théories sur l'espace vital et leur vision, disons plus conflictuelle, des rapports humains. Sörgel fut aimablement prié de la boucler à partir de 1942.
Le tout-puissant dans son infinie miséricorde réserva au malheureux Sörgel une fin tout aussi absurde que ses projets avaient pu sembler, puisqu'une voiture le renversa alors qu'il se rendait à vélo à son boulot à l'université, ladite voiture disparaissant sans laisser de traces. Heureusement pour nous, Atlantropa a laissé des traces cartographiques passionnantes.
2 mars 2009
Atlantropa : dingo nostrum
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7 commentaires:
boulversifiante nouvelle pour les historiens géographes , en effet.
une preuve de plus que faire "la no life" sur le net , comme le disent mes enfants n'est pas totalement inutile.
mon sentiment personnel .
1- on était encore bien optimiste à l'époque. projet pharaonique.
2- En parlant de pharaon , pour ne pas dire fanfaron , ajoutons que le barrage prodigieux d'Assouan ne fut pas qu'un succès écologique et économique.
3- tout cela a comme un relent presque saint simonien ( époque du canal de suez), et vraiment utopiste , à l"époque du surréalisme.
4 - En aparté totale, je vois avec bonheur que tu ne renies pas tes origines d'amateur éclairé d"histoire geo . tout cela est bien instructif sur les mentalité de l'époque. Wunderschön!
Ha , souvenirs , souvenirs , d'une bien belle époque tout de même.
5- " l'homme nouveau " . veux tu dire par là " Ecce homo"? le nietzschen , le prométhéen?
ça me fait penser , en arborescence divagatrice, , que notre riton national m'a confié se bidonner franchement sur l'ouvre citée ci dessus, pensant que certains concepts ont un peu mal vieilli , tout comme ce projet , apparemment.
Ha , oui jésus marie joseph!
l'exclamation s'impose.
Reste que nous serions bien peu de choses sans la Teutonie tout de même. Wunderbar!
J'avoue quelques lacunes en Saint-Simonisme et en Nietzschisme, mais voilà, il s'agit bien d'un avatar d'une croyance en la suprématie de l'homme sur la nature, sur la planète, comme on dirait aujourd'hui, la science de l'un permettant de dominer, pour ne pas dire asservir, l'autre. Le prolongement quasi colonial en Afrique est d'ailleurs assez révélateur de cet état d'esprit. Et effectivement le rappel des grands travaux en Egypte s'imposait aussi.
Dans le genre, il y avait Le Corbusier qui projetait de recouvrir la Seine à Paris par une autoroute...
Bon d'accord, à côté, ça fait petit joueur...
En plus je vois vraiment pas le problème...
Pour les lacunes , il ne vaut mieux pas que je ramène ma fraise , maître Capello.
Je n'y connais rien en nitchisme ou en sinsimonisme. Ca me fait penser à Superman avec C. REEVES, mais à l'envers (quand le méchant veut faire sauter la Califormie avec des ogives nucléaires qu'il enverrait dans la faille de San Andreas pour que ses terres pourries de Death Valley soient au bord de la mer).
Uh huh. Enfin là je ne crois pas que Sörgel ait conçu ça comme une simple opération de spéculation foncière. Mais effectivement, on imagine bien les possesseurs de parcs à huîtres devenant du jour au lendemain propriétaires de marinas les pieds dans l'eau. Après tout va savoir, il avait peut-être des intérêts dans le bigorneau.
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