22 mars 2009

Dix centimes

Depuis lundi dernier, sans tambours ni trompettes, le quotidien gothique du soir Le Monde a augmenté son prix de vente au numéro de 1,30 € à 1,40 €. Dix centimes d'augmentation, soit +7,7%, l'euro a décidément bon dos. Après une refonte en catimini de la maquette fin janvier, qui a permis une nouvelle fois de réduire la surface éditoriale à pagination égale, il s'agit du deuxième acte fort du règne d'Eric Fottorino à la tête du journal. Fottorino s'imagine peut-être que ses lecteurs ont été augmentés de 7,7% depuis trois ans. Le directeur de la publication s'est en tout cas fendu d'un édito pour expliquer que non, vraiment, il ne pouvait décidément pas faire autrement, mais que promis, juré, tout ça c'était pour le bien des lecteurs, que la pub pouvait pas tout payer, et que les correspondants et les envoyés spéciaux partout autour du monde, fallait bien les payer, et l'information ça a un prix, et un jour on le remercierait pour tous ses bienfaits. Je résume, hein. Fottorino n'a pas fait mention de l'endettement faramineux du groupe Le Monde, acculé au bord du précipice par la gestion hasardeuse et la frénésie d'investissements et de diversification de l'ancien président du directoire, l'inénarrable Alain Minc.

D'ailleurs, démonstration : il a fallu attendre cette semaine pour voir un envoyé spécial, Jean-Philippe Rémy, dépêché à Tananarive pour couvrir d'un peu plus près la crise malgache, trois mois d'âge, qui était auparavant du ressort de Sébastien Hervieu, correspondant à Johannesbourg (orthographié Johannesburg dans Le Monde, c'est tellement plus branché, mais moi ça me défrise). J'aime autant vous dire qu'on en sait autant depuis le Bourget.

1979, un franc quatre-vingts, vingt-sept centimes d'euro.

Le même jour dans la même édition où Fottorino tentait de nous amadouer avec ses verroteries, deux informations cohabitaient à quelques pages de distance. D'une part, la presse quotidienne nationale se vantait d'avoir en 2008 augmenté sensiblement son lectorat, champagne pour tout le monde, et appel du pied appuyé du côté de nos amis annonceurs. Succès en trompe l'œil, car d'autre part, on apprenait un peu plus loin que, dans le même temps, les ventes continuaient leur baisse ininterrompue qu'on observe depuis des temps immémoriaux, et qu'aucune augmentation du prix au numéro, aucun nouveau supplément débile, aucun encart publicitaire en quadrichromie, aucune réduction de l'offre éditoriale, aucune prise de participation dans un concurrent gratuit ne semble curieusement à même d'enrayer.

Les ridicules états généraux de la presse, réunis par le régime en place pour s'assurer que tout le monde avait bien le doigt sur la couture du pantalon, ont trouvé la solution au problème endémique de la presse française : davantage de soumission aux pouvoirs économique et politique, davantage de fadaises imprimées, et donc, ils l'espèrent, davantage de lecteurs. Mais bien sûr.

A la lecture régulière du Monde, on sent comme une empathie généreuse pour les problèmes des banlieues, le quotidien n'étant jamais à court de trémolos pour dénoncer l'abandon de leurs populations, le mépris dans lequel on les tient, et soutenir des visions volontaristes de fraternité, de désenclavement, de développement prioritaire. C'est bien simple : Fottorino ? Une caillera ! Depuis mon installation en 2005 dans ma riante banlieue du Neuf-Trois, j'ai vu Le Monde disparaître des points-presse en ville, le quotidien du soir n'y étant plus distribué que le lendemain de sa parution, traitement auparavant réservé aux lointaines sous-préfectures pyrénéennes. Pour trouver le journal l'après-midi de sa sortie, il faut pénétrer à ses risques et périls sur le quai de la gare du Bourget (la SNCF ne vend plus de tickets de quai depuis belle lurette) pour en faire l'emplette au kiosque Relay H. Pour dix centimes de plus.

1 commentaire:

l'inegalable vivie a dit…

j'aime bien quand tu es en colère comme ça .. ton style gagne encore en "épaisseur". On déguste d'autant plus la saveur particulièrement informée et vigilante de tes articles.
pour le fond , ne peut on pas dire que la concurrence ( parfaitement deloyale!) de gazette telle celle ci , finit par faire du tort à la vieille dame de papier?


Sans rire , je crains d'être d'accord avec toi .

Allez, achète toujours "Le Monde" même plus cher. tu feras une B.A pour tenter de sauver le Titanic devant l'iceberg internetif.