20 mars 2009

Ôte-toi de là que je m'y mette !

Un nouvel organisme réunissant une belle brochette de spécialistes de la spécialité, l'Institut bourgetin des relations internationales, IBRI, nous livre en exclusivité son analyse sur la dernière crise malgache en date. Analyse particulièrement affûtée car particulièrement bien informée, attendu que les locaux de l'IBRI ont tout de même vue sur le RER.

Reprenons donc le cours des événements à Madagascar. En place, un président, Marc Ravalomanana, investi en juillet 2002, après une crise de six mois faisant suite à une élection que son prédécesseur, l'ancien dictateur communiste reconverti dans le blabla libéral-écolo-humaniste, Didier Ratsiraka, vingt ans de pouvoir, avait cru pouvoir trafiquer une fois encore. Ravalomanana avait alors été propulsé à la tête de l'Etat par un authentique élan populaire, mu par un sentiment de ras-le-bol généralisé et de vraies aspirations démocratiques, qui avait contraint l'amiral Ratsiraka à l'exil. A Neuilly-sur-Seine, soit dit en passant.

Ravalomanana lance des réformes, transforme visiblement le paysage du pays par de spectaculaires investissements dans les infrastructures routières, lutte contre la corruption, n'hésitant pas à sanctionner certains de ses affidés, et se fait réélire triomphalement en 2006 sans véritable concurrent. Là dessus, cet homme d'affaires richissime, qui a fait fortune dans le yaourt, prend le melon, et sans grande expérience politique, se voit trop beau, trop fort, trop malin, et commence à déconner sévèrement. Déjà, en lançant une nouvelle monnaie en 2003, il avait fait imprimer le logo de son parti sur les plus grosses coupures. On reproche désormais au président partisan de favoriser les entreprises de son groupe, jusqu'à créer des monopoles de fait sur le lait, l'huile, ou la farine. Miraculeusement, ses sociétés remportent appel d'offres public sur appel d'offres public. On commence à le croire plus intéressé par ses affaires que par celles du pays. Et puis deux fautes politiques viennent parachever son œuvre : l'achat d'un Boeing présidentiel à soixante millions de dollars, et surtout le sacrilège suprême au yeux des Malgaches, le projet de location de la terre des ancêtres au conglomérat coréen Daewoo en vue d'exploitation agricole intensive et sans doute pas très bio.

Parallèlement, Ravalomanana et son gouvernement se sont évertués à mettre des bâtons dans les roues du juvénile maire de la capitale Tananarive, Andry Rajoelina, ex-DJ enrichi dans la communication, élu en 2007, en qui le président se reconnaît en jeune homme pressé aux dents longues, et voit fort justement son double et donc un danger potentiel. Malheureusement, la parano de Ravalomanana, qui ferme radio et télé détenus par le maire, qu'on surnomme TGV pour souligner la vitesse de son ascension, produit l'effet inverse de celui escompté. En croyant évincer un rival, le président donne crédit à un adversaire qui se prévaut désormais de l'auréole du martyr.

Amis pour la vie.

La suite devient alors pour le moins confuse. Conforté par un semblant de mouvement populaire, en réalité une poignée de chauds partisans sortis de sa manche, Rajoelina grimpe sur une caisse à savon, se proclame calife à la place du calife, et parvient, contre toute attente, à convaincre un nombre croissant d'anciens soutiens de Ravalomanana de le rejoindre, coalisant les mécontents autour de sa jeune personne. Ne réussissant que très modérément sa tentative de soulèvement populaire, TGV passe la vitesse supérieure en précipitant ses partisans à l'assaut d'un palais tenu par la garde présidentielle, et obtient précisément ce qu'il recherchait : une faute éliminatoire, la garde tirant dans le tas, une quarantaine de morts. Plus de retour possible. Ravalomanana se réveille bien seul, ses jours sont désormais comptés, l'armée balance du côté de l'opposition, et depuis mardi, c'est fini, le pouvoir est passé entre les mains de Rajoelina, après un bref transit entre celles d'un quarteron de généraux.

Difficile de croire que la seule insatisfaction populaire, chronique dans un pays parmi les plus pauvres du monde, habitué à courber l'échine sous le joug de diverses dictatures, ait suffi à faire basculer le pouvoir. Difficile de croire que Rajoelina, trente-quatre ans, inconnu voilà trois mois, soit le seul maître de son propre destin. Déjà aujourd'hui, des militaires semblent plutôt enclins à remplacer celui qui apparaît comme un simple homme de paille répondant à de mystérieux commanditaires pour qui il était sans doute l'instrument leur permettant de se défaire de Ravalomanana. Difficile de croire qu'une armée neutre n'ait basculé qu'au dernier moment dans un camp, sans aucune préparation d'au moins certains de ses éléments...

Quelle que soit la nature du nouveau pouvoir qui s'installe à Tananarive, on attend encore, après trois mois de crise, de découvrir la première de ses intentions en matière d'économie, d'organisation institutionnelle, de relations extérieures. Manifestement, il s'agit du dernier des soucis des nouveaux venus, chez qui le pouvoir pour le pouvoir semble être le seul horizon.

Un des restaus en vogue des quartiers chics de Tana s'appelle facétieusement le Kudeta. Prononcer coup d'Etat. Le menu n'est pas affiché à l'extérieur.

9 commentaires:

Appollo a dit…

Il faut aussi rajouter que Rajoelina a promis des électios dans... 24 mois. Ben voyons. Pourquoi 24 mois ? On ne le sait pas, il ne l'a pas expliqué, il est trop occupé à expliquer que ce n'est pas un coup d'état.
Autre chose, il semble bien que l'armée n'ait pas vraiment agi comme un seul homme, et que la confusion a pas mal régné.
Ratsiraka père et/ou fils, derrière tout ça ?

Hobopok a dit…

24 mois, le temps de modifier une constitution qui a été, excusez mon français, violée par tous les trous, et fixe notamment l'âge minimum d'un nouveau président à 40 ans révolus.

Appollo a dit…

"Last night a DJ saved my life" est devenu l'hymne officiel de la Grande Île.

Anonyme a dit…

bonjour
je rajouterais que Rajoelina est le fils d'un général sous ratsiraka et qu'il avait le soutien de l'armée bien avant de commencer à jouer au sauveur, bref ça n'a pas fini d'allé mal à mada pour le peuple

Totoche Tannenen a dit…

En attendant, les petits cancéreux du service pédiatrique de l'hôpital de Tananarive n'ont toujours pas de yaourt à leur repas.

Hobopok a dit…

On va tous mourir, comme ta profession devrait t'enjoindre de croire. Le tout est d'avoir bien mangé avant.

Hobopok a dit…

@Christophe : et merci pour les éclairants compléments biographiques.

Li-An a dit…

J'avais suivi ça de loin mais pour le coup, je suis perplexe (et je reçois des commentaires de futurs exilés politiques sur mon blog).

l'inegalable vivie a dit…

Malheureusement ce schéma n'est pas inconnu en terre africaine. Colonisation , communisme , sous développement, guerre civiles et maintenant ce que tu nous renseignes..
malédiction?