Un prophète de Jacques Audiard.
Film d'application des peines. Un gamin vingtenaire entre en prison pour la première fois, et il va y gravir tous les échelons à la force du poignet, jusqu'à devenir le genre d'homme qu'on peut devenir en prison, c'est à dire quelqu'un de tout de même pas très recommandable.
Enthousiasmé par d'autres films d'Audiard, Un héros très discret, ou surtout De battre mon cœur s'est arrêté qui m'avait totalement transporté, je me suis laissé un peu monter le bourrichon par les critiques qui faisaient précéder ce nouveau film de la mention "attention, chef d'œuvre". Du coup mes attentes étaient-elles peut-être un peu excessives, et ma déception fut bien réelle malgré les immenses qualités de ce Prophète.
Commençons par les qualités. Il s'agit d'un des meilleurs films jamais faits sur la prison, décrivant une réalité peu reluisante avec une précision quasi documentaire. Et le tableau qui en est dressé, loin de conforter le moindre romantisme criminel, fait assez franchement horreur, et devrait dégoûter tout candidat au séjour. Les petits rien de la vie quotidienne, la violence qui fait loi, la hiérarchie sociale, les groupes organisés, les trafics, la corruption, les visites... tous les spécialistes qui ont eu affaire au monde carcéral s'accordent à reconnaître la justesse de la reconstitution d'Audiard. Ensuite le propos, sur la construction dévoyée d'une identité par un gamin presque innocent parti de rien pour devenir caïd, est habilement porté par le récit, sans parler des interprètes, le jeune Tahar Rahim, et surout Niels Arestrup, qui en impose furieusement en parrain corse. Un propos dont la force oblige à réfléchir sur la nature de la prison, le sens d'une peine, et ses objectifs. Pour faire court, on voit dépeinte une académie du crime dont la société dans son ensemble pourrait peut-être se passer. Plus crûment, on doit se demander si l'abandon de fait dans lequel se trouvent les détenus, n'a pas in fine un coût social supérieur aux économies de bouts de chandelle qui sont faites sur leur dos au nom du contribuable. Et puis la mise en scène est assez brillante, avec des parti pris oniriques aussi casse-gueule que réussis, et une scène d'action au milieu du film où le temps semble s'emballer.
Malheureusement, tout ça ne passe pas comme une lettre à la poste. Un écueil qu'a rencontré Audiard c'est qu'en voulant, nécessairement, faire sentir l'écoulement du temps derrière les barreaux, il a dû étirer un peu la durée du film, de façon si palpable qu'on doit bien regarder sa montre plusieurs fois au cours de la projection. C'est un peu trop long, même si on comprend ça comme une obligation. La musique un peu lourdingue par moments vient renforcer encore ce sentiment. Et surtout, alors qu'on est pris par l'histoire, proche des personnages, presqu'incarcéré soi-même, voilà-t-y pas qu'on nous rajoute de grosses incrustations sur l'écran, avec le nom d'un personnage, ou d'un lieu, ou d'une période de l'année, affiché en gros caractères. Comme si un écrivain nous livrait son dernier roman avec les passages les plus importants passés au surligneur fluo pour les mal-comprenants. Effet de distanciation désastreux, qui nous rappelle soudain qu'on est assis bien au chaud dans un fauteuil de cinéma, et plus entre les quatre murs lépreux de Fleury-Mérogis.
Enfin le film déjà long, compte une scène de trop, celle de la sortie de prison, qui n'ajoute strictement rien vu que tout a déjà été dit, mais qui frise le happy end hollywoodien le plus sirupeux que c'en est presque ridicule, exigence de producteur peut-être, mais qui nous laisse sur une impression négative. Depuis le début du film on se doutait un peu de comment ça allait finir, pas besoin d'enfoncer les portes de prison ouvertes.
Crash-test :
8 octobre 2009
Entre les murs
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5 commentaires:
J'ai hésité à chroniquer le film (qui n'a pas suscité une unanimité parmi les critiques) pour les quelques réticences que tu soulèves (ça se soulève une réticence ?). C'est aussi un film français qui est sous-titré au moins à 50%, histoire de rappeler que la France est très métissée et que ça remonte à loin. Audiard est très fort pour faire un portrait saisissant et pas cucul/déprimé de gens que l'on voit peu sur les écrans (il parle d'une mosquée de banlieue. Quand est-ce qu'on a vu ça dans un film français ???). Et en effet, il y a des longueurs vers la fin. Pas inutiles au récit lui-même mais bon, ça aurait pu couper. Bon Audiard reste mon metteur en scène préféré en France... et dans les meilleurs dans le monde.
Les lecteurs de Télérama doivent être avantagés par rapport à ceux des quotidiens vespéraux.
Globalement d'accord avec ta critique.
Mon etat d'esprit particulièrement pernicieux s'est assez amusé de la confrontation des extrémistes corses et musulmans , mais c'est juste parce que j'ai vraiment un sale esprit petit bourgeois.
Jean-Louis Murat de Télérama a été enthousiaste. C'est au Masque et la Plume que ça a été plus frais (pour des raisons un peu surprenantes: l'absence de "moralité" du personnage , le fait qu'il n'y ait pas de rédemption. Le retour de la morale, les zamis).
Moui, un peu curieux. D'autant qu'il y a bel et bien une rédemption. Pas très catholique, certes, mais le gars qui était à la dérive se trouve une famille et un but dans la vie.
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