14 décembre 2009

Killing an Arab

L'étranger de Luchino Visconti.

Un film à vous dégoûter du vin de Bourgogne. Meursault, un pauvre type vivant à Alger au temps béni des colonies, aquoiboniste forcené, incapable de sentiments, entraîné dans un règlement de compte qui ne le concerne pas, coupable du meurtre improvisé d'un indigène arabe, est condamné à la guillotine pour n'avoir pas pleuré quelques jours avant à l'enterrement de sa mère. Le monstre.

Les candidats à la panthéonisation auront reconnu dans l'argument quasiment mot pour mot celui du célèbre roman d'Albert Camus, dont ce film constitue l'adaptation, si mes souvenirs de lecture sont à croire, fidèle. Tellement fidèle que c'en devient un exercice de formalisme un peu raide, avec de longs passages de voix off, et un traitement au fond très - trop - littéraire, pour ne pas dire littéral. C'est vrai que l'atmosphère étouffante de l'été algérois est particulièrement bien rendue. On y devine en filigrane le contexte colonial où les musulmans ne sont guère que des silhouettes au second plan. Et Marcello Mastroianni donne un Meursault exceptionnellement désincarné. Visconti fait de son mieux, avec quelques belles idées de mise en scène, notamment au début autour de la mort de la mère. Il est moins convaincant dans la scène cruciale du meurtre : difficile il est vrai de rendre en quelques secondes d'action tout le trouble et l'incongru des tourments assaillant Meursault, ce que Camus peut faire sans être limité par les mots... Mais le film est surtout desservi par une photographie imprécise, avec beaucoup de rattrapages de point mal assurés, de mouvements de caméra cahoteux, et un gros grain de pellicule, qui donnent un aspect non pas noblement ancien mais vieillot. Côté son, on entend un peu trop une musique peu inspirée, et la traditionnelle post-synchronisation à l'italienne rend un peu ridicule une pourtant belle brochette d'acteurs français, Georges Géret, Anna Karina, Georges Wilson, Bernard Blier, Bruno Cremer... Tout cet apprêt un peu dépassé finit par nuire au propos et à la force générale du film.

Au total on se retrouve un peu, malgré le renom du réalisateur et des interprètes, avec une sorte d'Etranger pour les nuls, pouvant en une heure et demie épargner de se taper le roman à quiconque voudra briller à son club de lecture, résumant fidèlement les thèmes du vide existentiel, d'une forme de lévitation morale détachée du substrat social, de l'imposture religieuse, mais échouant à recréer sur l'écran une œuvre artistique de portée équivalente ou supérieure à celle de Camus. Les bons livres ne font pas forcément les bons films.

Curieusement, je n'avais jamais entendu parler de L'étranger dans la filmographie de Visconti, et je suis entré dans la salle comme si j'allais voir le nouveau film d'un grand réalisateur interprété par les meilleurs comédiens du moment. Ma relative déception n'a pas suffi à effacer ce petit plaisir cinéphilique.

Crash-test :

6 commentaires:

Appollo a dit…

"celui du roman éponyme d'Albert Camus" : nt nt, pas toi, Jean-Christophe... Le héros est éponyme, pas le roman.

Hobopok a dit…

Par contre en fait d'actrice française, tout le monde sait qu'Anna Karina est une petite sirène danoise.

l'inegalable vivie a dit…

Killing an arab" : the Cure?

même les génies du cinéma ne sont pas toujours géniaux; ça rassure.

On m'a farouchement déconseillé le dernier Resnais aussi.

Hobopok a dit…

Mais oui bravo, the Cure en effet. Quant au Resnais, un critique le jugeait beaucoup moins rigolo qu'Hiroshima mon amour.

l'inegalable vivie a dit…

Rigolo?

Hobopok a dit…

Pas rigolo.