24 janvier 2009

Los choristos

Paracuellos de Carlos Giménez.

Cette intégrale vient de sortir chez Fluide Glacial, reprenant les planches de deux albums déjà parus dans les années 80, et y ajoutant le contenu de quatre autres albums plus récents parus en Espagne mais pas de ce côté-ci des Pyrénées. Des récits courts, souvenirs d'enfance dans les internats de l'Auxilio social de l'Espagne franquiste des années 40-50.


Une édition massive de trois-cents pages, chouettement reliée avec ruban marque-ta-page, dotée d'un nouvelle couve inspirée des éditions espagnoles (où l'on peut regretter la typo manuscrite de l'auteur des précédentes éditions françaises...), imprimée sur du joli papier couché blanc cassé, et agrémentée d'une passionnante introduction de l'auteur et d'une poignée de fac-similés de crayonnés, le tout pour la modique somme de trente-cinq brouzoufs (ça peut paraître chérot, mais c'est l'équivalent de six albums de cinquante pages). Pour les afficionados, dont je suis, c'est la fiesta au pueblo !


L'Auxilio social (assistance sociale), sur le modèle d'une organisation similaire de l'Allemagne nazie, était une œuvre charitable franquiste affiliée au parti unique national-catholique de la Phalange espagnole (notez l'emblème : un joug traversé de cinq flèches). Elle avait été créée à l'origine pour venir en aide aux petites victimes de la guerre civile espagnole, et notamment aux enfants des fusillés par les troupes franquistes...


Dans les années 50, Giménez passa huit longues années dans les internats de cette institution, dépotoirs de l'enfance espagnole où se retrouvaient orphelins, indigents, bâtards, victimes de recompositions familiales, gosses de prisonniers politiques (les rouges), etc... et où les privations le disputaient aux sévices en tout genre.
Le titre Paracuellos vient de l'un de ces centres de la périphérie madrilène. Giménez ayant mis en exergue de ses premières planches le nom de chaque endroit, ce sont les lecteurs eux-mêmes qui imposèrent ce titre pour toute la série, bien qu'elle mentionne aussi d'autres établissements.
Je connaissais les premières planches parues au début des années 80 dans Fluide Glacial et rassemblées en deux albums, et benoîtement je m'étais imaginé que les histoires mises en images provenaient directement des souvenirs, voire de la fertile imagination de Giménez et hop, sur le papier ! Ouh que non, il a bossé, le bougre, invitant chez lui des anciens de l'institution autour de quelques cervoises pour des discussions à bâtons rompus qu'il enregistrait soigneusement, retaillant ensuite les personnages, croisant les anecdotes, pour aboutir aux scénarios si poignants de ses BD. Autrement dit, tout est vrai. Et des fois, ça fait un peu froid dans le dos.


Bref, l'un dans l'autre, voilà le genre d'ouvrage qui fait honneur au neuvième art (pour ceux qui savent compter jusqu'à neuf). Le dessin est d'une qualité remarquable, Giménez, passé par la dure école de l'industrie des comics espagnols (voir sa série Les professionnels), ayant de la technique à revendre, mais aussi et surtout du style, son style. Même si le trait, d'abord influencé par la tendance "hachures" en vogue au début des années 70, Bilal, Moebius, s'est progressivement épuré en même temps que tendu. Et sur le plan du récit, c'est ce que les anglo-saxons appellent avec à-propos un "page-turner" : quand j'ai entamé la première page, je n'ai plus pu lâcher le bouquin avant d'avoir terminé la dernière. Quand je pense que j'ai failli de prime abord regimber aux lettrages informatiques des quatre derniers opus (pas "dei"), ceux traduits plus récemment, ha ha ha ! je ris encore de mon impudence !


Giménez, dans son introduction, met son travail en perspective avec pertinence : si les établissements de l'Auxilio social sont à ce point violents et répressifs, ce n'est pas qu'ils constituent des îlots de non-droit au sein d'une Espagne suintant la joie de vivre, c'est au contraire qu'ils sont à l'unisson d'un pays retenant sa respiration sous la botte franquiste. Quoique parfaitement authentiques, les récits des Paracuellos et leurs portraits d'une enfance humiliée, éplorée, affamée, apprenant la cruauté d'adultes experts en la matière, mais jamais complètement désespérée, forment donc une microcosmique parabole de l'Espagne de l'époque. On en avait bien un peu l'intuition à la lecture, et c'est cette profonde humanité qui fait la force exceptionnelle de cette œuvre.

10 commentaires:

Jean-no a dit…

Enfin réédité ! Excellente nouvelle.

Li-An a dit…

En effet, la "mode" des rééditions en intégrale à de bons côtés...

Hobopok a dit…

Enfin là c'est assez réussi. Je connais des "intégrales" auxquelles manque la fin et en plusieurs volumes (donc pas plus intégrales que les éditions originales).

Anonyme a dit…

Belle chronique ! Comme je possède déjà les 2 albums édité par Audie, j'hésitais beaucoup à les acheter ... mais tu m'a convaincu. :-)

Hobopok a dit…

Et je ne suis pas hispanophone, mais mention spéciale aussi au traducteur Richar Lobet, parce qu'à aucun moment on ne voit les coutures de son travail.

Totoche Tannenen a dit…

On attend toujours une intégrale en français de "Espana una, grande, libre", que Glénat Espagne publie pourtant là-bas et dont un seul tome a été traduit chez nous (chez MC productions, je crois).
Le dessin de Gimenez y est plus caricatural mais ses nanas ont toujours d'aussi gros seins. C'est ça qu'est bien.

http://www.edicionesglenat.es/asp/serie.asp?pSer=22

Totoche Tannenen a dit…

Ah non, c'était déjà chez Soleil
sous le titre "Coco, facho and co". La traduction me parait pas terrible, mais le dessin est formidable. (la puissance du noir et blanc...)


Mais tu dois forcément déjà connaitre...

http://www.bedetheque.com/serie-6451-BD-Coco-Facho-and-cie.html

Hobopok a dit…

Ah ben non, encore un truc que je connaissais pas. Mais que font les éditeurs, nom d'une pipe ?!

Totoche Tannenen a dit…

Une adaptation au cinéma serait sérieusement à l'étude :
http://youtu.be/i36B_dyuyo8

(comment ai-je pu louper ce festival ???)

Hobopok a dit…

Avec Kad Merad ?