12 mai 2009

Chroniques martiennes

The ACME Novelty Library 19 de Chris Ware.

Est-ce que Chris Ware ne pourrait pas dessiner et surtout lettrer encore un petit peu plus petit ? J'ai beau, aveuglé par une admiration béate, acheter tout ce que produit l'industrieux génie paranoïaque mais dramatiquement presbyte de la BD, il faut l'imaginer s'autoflageller à deux pouces de sa feuille de papier à dessin : "Oh ben c'est peut-être nul ce que je dessine mais ne s'en rendront compte que les lecteurs munis d'une loupe à la puissance de grossissement proche du téléscope spatial Hubble". Peut-être imagine-t-il son lectorat pourvu des mêmes culs-de-bouteille que lui, ou, pire, pense-t-il autistement ne dessiner que pour lui... Bon, passé ce léger problème technique, il faut bien reconnaître qu'on a affaire à l'habituel chef d'œuvre annuel de Chris Ware.


Autour du personnage de Rusty Brown, prof de collège un peu minable, rouquemoute (carrot-top) ventripotent et bigleux, alter ego de l'auteur, trois récits se succèdent dans ce livre. Primo, une histoire de science-fiction, aventure martienne qui n'est autre qu'une œuvre de jeunesse de notre personnage, reflet de l'épisode qui suit (deuxio), la jeunesse de Rusty découvrant l'amour de façon particulièrement désastreuse, épisode auquel réfléchit ensuite tristement (troisio) le ventripotent et désabusé professeur, qui a oublié sa promesse d'une carrière d'auteur de science-fiction. La dépression n'est pas loin.


Une fois de plus, Ware qui n'a inventé la bande dessinée pas plus qu'il ne l'a révolutionnée, prouve en tout cas qu'il est aujourd'hui un de ceux qui savent le mieux en tirer toute la substantifique moëlle. Son habileté diabolique dans l'imbrication scénaristique, sa profondeur psychologique à faire pâlir bien des littérateurs dont j'aurai la charité de taire le nom, sont servies par un découpage dont l'apparente complexité n'a d'égale que l'apparente simplicité du dessin. Simplicité qui est un choix délibéré, comme le sait quiconque a lu ses célèbres et virtuoses carnets de croquis. Bref, il n'est plus permis de douter, en refermant ce bouquin comme ses prédécesseurs, qu'on a affaire à un auteur majeur (notez comment je ne précise pas "de bande dessinée").


J'aurai enfin l'outrecuidance de rappeler l'indispensable lecture (en anglais ou en français) de son indispensable Jimmy Corrigan, et aussi la monographie (en anglais) que lui a consacrée Daniel Raeburn, et j'irai jusqu'à suggérer la lecture de cette interview (en french).

9 commentaires:

Totoche Tannenen a dit…

Plaisir de myope.

Hobopok a dit…

J'y vois pourtant à peu près clair.

Nanor a dit…

Très beau petit livre chez Cornélius

Hobopok a dit…

Peux-tu préciser, Nanor ?

l'inegalable vivie a dit…

Et oui , "myope + minable prof de collège ( presque) ventripotant(e) "... le sujet n'est pas si neuf?
sinon , je te fais marcher.
bel article qui traduit bien tous les degrés de ton admiration.

sans outrecuidance , bien sûr.

Glorb a dit…

Je rajouterai que ce récit spatial est (dans ce que j'ai pu lire) le premier du genre à être aussi décalé au niveau de l'univers, habituellement plutot citadin, semi-contemporain (exception faite des petits récits sur le robot, pis les cowboy, pis dieu) et que son style mélancolico dépressif survit pleinement à ce nouveau cadre et en ressort plus fort encore.

par contre c'est vrai qu'il faut avoir un éclairage décent pour arriver à lire toutes les petites choses écrites dans ces livres.

Jean-no a dit…

À un moment j'ai commencé à trouver que tout le monde écrivait trop petit : les jaquettes de DVD, Chris Ware, etc. Eh be c'était la quarantaine et la presbytie en fait. Une fois les bonnes lunettes sur le nez, tout est rentré dans l'ordre. Je croyais que quand on était presbyte la vie ressemblait à un flou gaussien mais pas du tout. On croit qu'on voit bien, mais on lit de moins en moins, les petits caractères noir sur blanc deviennent gris,...

Hobopok a dit…

Oui enfin dans le cas de Chris Ware, on finit vraiment par se demander s'il n'a pas lui aussi des parts dans Optic 2000.

Hobopok a dit…

@ Glorb : Ware est quand même assez travaillé par l'idée d'aventure spatiale, en tant que métaphore de la solitude, comme le démontrent ses Rocket Sam et leurs robots sentimentaux.