31 janvier 2013

Spy vs Spy

Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow.

Allez hop ! Exécution ! De 2001 à 2012, le récit à froid de la traque d'Oussama Ben Laden, ennemi public numéro un des Etats-Unis, et cible numéro un de la CIA, occasion de mettre des visages sur une guerre au terrorisme qui n'a rien de chirurgical.

Argo, de Ben Affleck.

Rapatriement sanitaire. En 1980 à Téhéran, l'opération d'exfiltration de six diplomates, qui ont réussi à échapper à la prise de l'ambassade étasunienne et se sont réfugiés à la résidence de l'ambassadeur du Canada, par un cow-boy de la CIA solitaire et taiseux qui les fait passer pour une équipe d'Hollywood.

Il était bien tentant d'établir un parallèle entre ces deux films à la gloire (encore que) de la CIA, avec deux scénarios basés sur des faits historiques plus ou moins célèbres, et avec deux traitements, deux intentions, et deux finalités bien différentes.

Le plus ambitieux et le plus réussi des deux est bien évidemment celui de Kathryn Bigelow, déjà oscarisée pour un film de guerre, Démineurs, et qui redouble de testostérone dans ce récit d'une traque de onze ans qui aboutit à l'assassinat-exécution de Ben Laden.

L'intérêt de son film est de donner, certes du point de vue strictement étasunien mais sans aucun parti-pris patriotique, un compte rendu très froid, presque clinique, du travail de renseignement. On y voit les moments de doute que traversent non seulement les agents de terrain, mais aussi toute la chaîne de commandement. On y voit une organisation bureaucratique qui a du mal à faire le tri dans ses priorités, soumise à de fortes pressions politiques en tous sens, et qui malgré tout parvient à laisser une place à l'initiative individuelle, seule apte à dénouer les situations les plus inextricables. On y voit, mise en scène de façon très habile pour un sujet aussi ésotérique, la difficulté qu'il y a non seulement à récolter de l'information, mais surtout à la décoder, l'analyser, et la comprendre.

On y voit, décrite sans vraiment la juger, l'utilisation intensive de méthodes de torture que l'agence niera un temps, planquant cette activité occulte dans des pays amis, avant d'y renoncer officiellement plus ou moins. Curieusement, partisans et opposants de la torture sont tombé à bras raccourcis sur le film, les uns lui reprochant d'en faire état, les autres d'en faire l'apologie. On peut imaginer qu'en mécontentant tout le monde Bigelow a visé juste.

Tout le film avec ses multiples implications, sur une longue période de temps, tient fagoté grâce au personnage central de l'agente, plus ou moins authentique, qui, seule contre tous, avait soutenu depuis le début la piste du messager de Ben Laden qui a finalement permis de remonter à sa maison d'Abbottabad. La scène finale de l'assaut y est extrêmement impressionnante de réalisme. Et tout ça pour ça : deux douzaines de bidasses entassés dans un hélico chancelant autour d'un body-bag contenant le plus célèbre barbu du monde.

Mais là où Bigelow a fait de son personnage principal un simple procédé narratif, ne lui donnant que le peu de substance qu'une femme dépourvue de vie personnelle peut laisser transparaître, et s'en sert en fait pour bâtir son film autour, Ben Affleck fait l'inverse : il hypertrophie son personnage d'agent cool et génial, lui inventant une histoire personnelle de famille brisée aussi éculée qu'inutile, et oublie, en servant les morceaux de choix à son interprète principal (un certain Affleck, Ben), l'essentiel de son sujet.

Car c'était là qu'était le véritable intérêt de ce film, basé sur des faits aussi véridiques qu'invraisemblables et méconnus : le huis-clos de ces six diplomates, vivant cachés pendant des mois, se levant chaque jour en croyant que c'est le dernier, coupés du monde, et doutant de la volonté de leur gouvernement de les récupérer. Les détails de l'opération, avec un crochet un peu humoristique par Hollywood en compagnie de John Goodman et Alan Arkin, ne sont qu'anecdote, ou alors leur trivialité aux frontières du clownesque aurait dû servir à contraster le drame humain.

Bien décidé à accaparer la caméra, Affleck a d'ailleurs choisi les interprètes des diplomates pour leur ressemblance physique avec leurs modèles dans la vraie vie, ce qui n'avait strictement aucun intérêt s'agissant de quasi inconnus. Résultat : une brochette de seconds couteaux qui ne risquent pas de la ramener ou de faire de l'ombre à Affleck, qui peut alors se pavaner comme une réincarnation de John Wayne.

D'ailleurs on y coupe pas, le film se finit par une remise de médaille et un hymne national. Et Affleck repart, seul à nouveau, dans le soleil couchant.

Crash-test :

Zero Dark Thirty
Argo

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