31 janvier 2013

Fahrenheit 453

Lecteurs, sans doute, de nos précédentes publications, des Espagnols à l'humour un peu pince-froid ont produit cette désopilante (enfin je crois) vidéo, signalée par nos envoyées spéciales permanentes dans le Forez.

Spy vs Spy

Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow.

Allez hop ! Exécution ! De 2001 à 2012, le récit à froid de la traque d'Oussama Ben Laden, ennemi public numéro un des Etats-Unis, et cible numéro un de la CIA, occasion de mettre des visages sur une guerre au terrorisme qui n'a rien de chirurgical.

Argo, de Ben Affleck.

Rapatriement sanitaire. En 1980 à Téhéran, l'opération d'exfiltration de six diplomates, qui ont réussi à échapper à la prise de l'ambassade étasunienne et se sont réfugiés à la résidence de l'ambassadeur du Canada, par un cow-boy de la CIA solitaire et taiseux qui les fait passer pour une équipe d'Hollywood.

Il était bien tentant d'établir un parallèle entre ces deux films à la gloire (encore que) de la CIA, avec deux scénarios basés sur des faits historiques plus ou moins célèbres, et avec deux traitements, deux intentions, et deux finalités bien différentes.

Le plus ambitieux et le plus réussi des deux est bien évidemment celui de Kathryn Bigelow, déjà oscarisée pour un film de guerre, Démineurs, et qui redouble de testostérone dans ce récit d'une traque de onze ans qui aboutit à l'assassinat-exécution de Ben Laden.

L'intérêt de son film est de donner, certes du point de vue strictement étasunien mais sans aucun parti-pris patriotique, un compte rendu très froid, presque clinique, du travail de renseignement. On y voit les moments de doute que traversent non seulement les agents de terrain, mais aussi toute la chaîne de commandement. On y voit une organisation bureaucratique qui a du mal à faire le tri dans ses priorités, soumise à de fortes pressions politiques en tous sens, et qui malgré tout parvient à laisser une place à l'initiative individuelle, seule apte à dénouer les situations les plus inextricables. On y voit, mise en scène de façon très habile pour un sujet aussi ésotérique, la difficulté qu'il y a non seulement à récolter de l'information, mais surtout à la décoder, l'analyser, et la comprendre.

On y voit, décrite sans vraiment la juger, l'utilisation intensive de méthodes de torture que l'agence niera un temps, planquant cette activité occulte dans des pays amis, avant d'y renoncer officiellement plus ou moins. Curieusement, partisans et opposants de la torture sont tombé à bras raccourcis sur le film, les uns lui reprochant d'en faire état, les autres d'en faire l'apologie. On peut imaginer qu'en mécontentant tout le monde Bigelow a visé juste.

Tout le film avec ses multiples implications, sur une longue période de temps, tient fagoté grâce au personnage central de l'agente, plus ou moins authentique, qui, seule contre tous, avait soutenu depuis le début la piste du messager de Ben Laden qui a finalement permis de remonter à sa maison d'Abbottabad. La scène finale de l'assaut y est extrêmement impressionnante de réalisme. Et tout ça pour ça : deux douzaines de bidasses entassés dans un hélico chancelant autour d'un body-bag contenant le plus célèbre barbu du monde.

Mais là où Bigelow a fait de son personnage principal un simple procédé narratif, ne lui donnant que le peu de substance qu'une femme dépourvue de vie personnelle peut laisser transparaître, et s'en sert en fait pour bâtir son film autour, Ben Affleck fait l'inverse : il hypertrophie son personnage d'agent cool et génial, lui inventant une histoire personnelle de famille brisée aussi éculée qu'inutile, et oublie, en servant les morceaux de choix à son interprète principal (un certain Affleck, Ben), l'essentiel de son sujet.

Car c'était là qu'était le véritable intérêt de ce film, basé sur des faits aussi véridiques qu'invraisemblables et méconnus : le huis-clos de ces six diplomates, vivant cachés pendant des mois, se levant chaque jour en croyant que c'est le dernier, coupés du monde, et doutant de la volonté de leur gouvernement de les récupérer. Les détails de l'opération, avec un crochet un peu humoristique par Hollywood en compagnie de John Goodman et Alan Arkin, ne sont qu'anecdote, ou alors leur trivialité aux frontières du clownesque aurait dû servir à contraster le drame humain.

Bien décidé à accaparer la caméra, Affleck a d'ailleurs choisi les interprètes des diplomates pour leur ressemblance physique avec leurs modèles dans la vraie vie, ce qui n'avait strictement aucun intérêt s'agissant de quasi inconnus. Résultat : une brochette de seconds couteaux qui ne risquent pas de la ramener ou de faire de l'ombre à Affleck, qui peut alors se pavaner comme une réincarnation de John Wayne.

D'ailleurs on y coupe pas, le film se finit par une remise de médaille et un hymne national. Et Affleck repart, seul à nouveau, dans le soleil couchant.

Crash-test :

Zero Dark Thirty
Argo

30 janvier 2013

Le temps maudit des colonies

Tabou de Miguel Gomes.

Poussière d'empire. De nos jours à Lisbonne, une vieille dame gentiment raciste, abandonnée par sa fille unique, perd la boule et emmerde sa femme de ménage cap-verdienne et sa voisine. Après sa mort resurgit un homme, fantôme du passé, qui soulève le voile sur les tumultueuses jeunes années de la dame en Afrique, à l'époque d'une colonie qu'on devine être le Mozambique, juste avant l'indépendance.

Voilà un film qui ne s'offre pas facilement. La faute en est à une atmosphère lente, confinant parfois au hiératisme, soulignée par un noir et blanc magnifiquement photographié mais qui contribue à distancier le spectateur du spectacle sur l'écran. Ceci sied évidemment à décrire la vie d'une vieillarde qui ne s'échappe de son appartement que pour aller au casino, mais Gomes n'évite pas non plus certaines longueurs, même quand il laisse percer quelques pointes d'humour acide un peu absurde. Et quand on bascule dans le récit du passé colonial, la distanciation est à son comble, puisque le récit se fait alors entièrement en voix-off, façon presque glaciale de servir une histoire qui pourtant déborde de passion, de feu, de sang et de larmes : mais bien sûr, cette époque n'existe plus, ce n'est déjà plus qu'un souvenir, ce ne sera bientôt plus qu'un rêve.

Il doit exister mille façons de lire ce film, qui embrasse généreusement presque autant de thèmes. L'une d'elles serait d'établir le parallèle avec le film de Murnau auquel il emprunte son titre, et, dans le désordre, les sous-titres des ses deux parties : Paradis perdu et Paradis (encore aurait-il fallu trouver un cinéphile suffisamment averti au sein de la rédaction de cette cyber gazette). Une autre est de relever la simultanéité entre la fin abrupte d'une passion amoureuse, qui cause elle-même sa propre perte, dont elle portait le germe en elle, et l'indépendance des colonies, comme si cette fin d'empire, aussi prévisible qu'inéluctable, était elle-même un gros chagrin d'amour, inconsolable, une plaie jamais refermée qui sous-tend le Portugal d'aujourd'hui.

Crash-test :

28 janvier 2013

Reliefs sous-marins

Jim Curious de Matthias Picard.

Il va vous falloir chausser à nouveau vos lunettes stéréoscopiques pour pouvoir apprécier toute la qualité de cet album réalisé dans un noir et blanc incroyablement riche en vue d'un rendu en relief. Car en fait Jim Curious est un scaphandrier qui part en exploration sous marine, et dont le monde, tout plat au dessus du niveau de la mer, devient d'une insondable profondeur dès qu'il met la tête sous l'eau. Il suffisait d'y penser.


Matthias Picard y a pensé et l'a réalisé avec une application méticuleuse pour donner vie à un luxe de détails, qui avaient fait de cet album original (même si on se souvient que Marc-Antoine Mathieu notamment avait déjà utilisé le procédé), dépourvu de dialogue, l'une des vedettes du dernier salon du livre jeunesse de Montreuil. Pourtant le spectacle d'un réalisme irréel qui emplit ses pages séduit et fascine aussi bien la vieillesse.

27 janvier 2013

La guéguerre du feu

Silex and the city d'après Jul, chaque soir sur Arte.

Petite note rapide pour signaler ce programme court qu'Arte insère dans sa grille juste avant son prime time. Il s'agit de l'adaptation de la BD éponyme de Jul, où une famille d'homo sapiens préhistorique se débat dans des problèmes quotidiens qui rappellent furieusement ceux de notre époque.

Si nous prenons la peine d'en faire mention, ce n'est pas pour son étouffante drôlerie, laquelle se limite en fait à une succession ininterrompue d'anachronismes incohérents (tantôt les personnages attendent l'invention de l'écriture, tantôt ils lisent le journal), ha ha ha... mais c'est pour la qualité de sa production. En effet, alors que la bande dessinée originale se complaît dans le dessin "mal dessiné" décomplexé et assumé, la série TV parvient, avec peu de moyens, à donner un style et un sens graphique maîtrisés et plaisants, qui suffisent à rendre digestes ces trois minutes de potacheries à la graisse d'auroch.

Cadeau bonus : l'authentique voix originale de José Bové qui double son ancêtre alter-darwiniste à la moustache en folie (ah ben tiens, c'est pas un anachronisme, ça).

26 janvier 2013

Pampa King

Ultimo Elvis d'Armando Bo.

Désespoir désespérant. A Buenos Aires, un sosie d'Elvis un peu minable court le cacheton, se déchire avec son ex-femme, tente un rapprochement avec sa fille... il s'est évidemment perdu lui même à force de vouloir devenir un autre. Une seule issue possible.

C'est pas que le sujet soit pas intéressant (on est heureusement à des lieues de l'indigent Podium de Yann Moix), c'est pas que les acteurs soient mauvais (le sosie pas ressemblant est épatant et vibrant dès qu'il se met à chanter), c'est pas que le film manque de qualités formelles (le long plan-séquence d'ouverture est admirable et le réalisateur a un vrai talent pour savoir quand laisser parler l'image et à quel moment couper)... mais c'est quand même passablement barbant, dans le genre désespérant, amer comme un vieux maté. On a malheureusement l'impression d'être confronté à une sorte de Dardennerie un peu exotiquecomme une Rosetta australe qui se serait acclimatée à la pampa, et où le spectateur est invité à assister, impuissant, à l'inexorable déchéance de personnages écrasés par leur destin.

Oh certes, l'homme de la pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité oblige à le dire : son Elvis finit par nous les briser menu.

Crash-test :

25 janvier 2013

MMXIII

La rédaction d'Hobopok Dimanche est heureuse de présenter ses vœux à ses lecteurs, en leur souhaitant une nouvelle année remplie de merveilleuses lectures gothiques électroniques à la petite semaine.

24 janvier 2013

Musée bas

The Museum of Everything, 14 boulevard Raspail à Paris jusqu'au 24 février.

Le succès a appelé une prolongation, on a donc encore un mois pour aller découvrir dans une ancien local industriel cette exposition consacrée à l'art brut, art du pauvre, art naïf, où des artistes, qui ne le sont officiellement pas et ne s'en prennent pas pour, donnent naissance à des œuvres dune force créatrice puissante et authentique, apte à vaporiser un parfum de frelaté sur 95% du contenu des vrais musées.


En fait de musée, il s'agit de l'exposition parisienne d'un concept né à Londres, dont le but est de rassembler côte à côte les créations d'artistes amateurs, inconnus, méconnus, comme ignorés presque oubliés. L'exposition est très riche, et évidemment éclectique : peinture, dessin, collage, sculpture. Des Anglais, des Américains, des Russes, des Japonais, des Allemands, du début du XIXe siècle à nos jours, tous ces gens avaient en commun d'avoir un petit grain dans la tête, voire des conditions psychiatriques sévères pour certains. La production d'œuvres graphiques constituait pour eux un exutoire, une pulsion, une forme d'écriture automatique, sans aucun calcul ni aucune pose. Sincérité garantie, chez des types pour la plupart sans éducation formelle, sans diplôme des beaux-arts, voire pour certains carrément analphabètes.

L'intérêt de cette exposition, à prix fort modique, comme pour en souligner l'aspect intrinsèquement populaire, est donc autant de montrer et faire connaître ces artistes et leurs œuvres, que de questionner le sens et la valeur de l'art, sa fonction sociale, sa valeur marchande, voire de ricaner sournoisement des grands airs qu'arbore un marché de l'art qui n'est trop souvent qu'une fumisterie en vase clos.

On admirera, œuvres involontaires ou non, les magnifiques chaises en bois de palette, prévues pour les gardiens, mais où le visiteur peut aussi poser son auguste cul, car il y reste dessus.

22 janvier 2013

You Don't Nomi

The Nomi Song d'Andrew Horn.

Merci Arte pour ce petit bijou de documentaire à la gloire des années 80, souvent facilement vilipendées et dont le retour à la mode se fait un peu attendre. Andrew Horn revient sur le destin exceptionnel et tragique de Klaus Nomi, chanteur allemand inclassable, météoritique star de la pop adulée pour son interprétation d'airs d'opéra avec une voix de fausset, disparu prématurément des suites d'une maladie nouvelle et innommable.

Petit gars de la Ruhr atterri à New-York, après un crochet par Berlin le temps de se déniaiser, Nomi, pâtissier amateur, gagnait son biscuit en vendant des Linzertorten et des forêts-noires en attendant de libérer sa passion pour l'art lyrique. Fréquentant les cabarets branchés à la mode de l'East Village, il commença à hypnotiser les foules par un mélange improbable d'opéra et de cold-wave, tout en construisant petit à petit, grâce notamment à un sens visuel développé pour les costumes et la chorégraphie, un personnage unique, excentrique, novateur, synthétisé en une silhouette d'allure un peu extra-terrestre. S'il n'avait pas à lui seul inventé les années 80, du moins peut-on lui reconnaître le talent d'en avoir donné la plus audacieuse définition. Une gloire internationale attendait Klaus Nomi, aussi intense que brève, avant qu'il ne succombe à ce qu'on appelait alors le cancer homosexuel, un mal encore inconnu et suffisamment effrayant pour que ses amis se détournent de lui et le laissent crever seul comme un chien.

Au-delà du personnage exceptionnel qui fait l'objet de ce film, il faut aussi souligner le talent du réalisateur, qui a su, à travers son regard très personnel, donner à voir de façon transparente la personnalité complexe de son sujet. Horn parvient à recréer de façon convaincante l'atmosphère bouillonnante d'un temps révolu, utilisant avec brio les documents d'archives, parfois rares, transformant la piètre qualité technique des vidéos de l'époque en atout esthétique. Et surtout, chose rare à la télévision, il a laissé à plusieurs reprises l'écran noir pendant plusieurs secondes. Les silences entre les notes sont aussi de Klaus Nomi.



Séance de rattrapage nocturne dans la nuit de vendredi à samedi à 2h10 sur Arte.

19 janvier 2013

Lune ou l'autre

Jean de la Lune de Stephan Schesch.


Thème astral. Aspirée par une comète, l'ombre bonhomme qui vit sur la Lune échoue sur la Terre, où dès lors les enfants ne peuvent plus s'endormir en contemplant son visage, où un infâme dictateur mégalomane rêve de conquête spatiale, où un inventeur oublié sauve sa science grâce à un peu de conscience. Un conte nocturne très inspiré, par nul autre que Tomi Ungerer.

Cette production franco-allemande au service du génie alsacien ne laissera pas un souvenir impérissable par la qualité de son animation, à la raideur souvent germanique, et d'un niveau parfois proche d'une série animée télévisée. La bande son fait bien aussi une utilisation parfois un peu hasardeuse de vieux tubes rock... Heureusement, on y retrouve malgré tout l'esthétique si particulière d'Ungerer, et, surtout, le film parvient malgré ses petits défauts formels à recréer l'atmosphère rêveuse et allégorique du conte d'origine. On voit là la force inébranlable des créations d'Ungerer, qui a eu la gourmandise de prêter sa voix reconnaissable entre mille à la narration en voix-off : son univers résiste à tout, et au-delà de ses qualités graphiques, il le doit essentiellement au talent de conteur d'un homme qui n'a jamais vraiment cessé d'être un enfant.
Au bout du conte, le charme opère toujours, et c'est bien là l'essentiel, sur les grands comme sur les petits, y compris ceux qui sont toujours dans la lune.

Crash-test :

16 janvier 2013

Le barde des sceaux

Le Tampographe Sardon par Sardon.

Le Tampographe (admettons-lui la circonstance atténuante du nom propre qu'indique l'usage de la majuscule) doit être le fruit des amours impossibles d'un tamposcribe  et d'une sigillographe : un scandale étymologique sans équivalent depuis quadrichromie. Abstraction faite de ce néologisme un peu monstrueux, peut-être influencé par la pataphysique dont l'auteur se réclame non sans justification, il faut bien admettre qu'on tient ici entre les mains, sous cette somptueuse couverture, un des meilleurs ouvrages parus ces dernières années, toutes catégories confondues.

Les lecteurs de ces colonnes ne s'étonneront pas d'ailleurs d'en trouver ici mention, puisque le blog éponyme, tenu par le même auteur, est dûment référencé ci-contre parmi les lectures électroniques chaudement recommandées, et depuis belle lurette.


Ça a été le génie de Jean-Christophe Menu (ex-ponte de L'Association dont les vertus de gestionnaire lui ont valu d'en être évincé) d'avoir vu dans ces pages virtuelles la matière à glisser dans un sandwich de papier pour faire un livre pour de vrai. Sardon a obtempéré, et a fait le tri dans son matériau pour offrir ce florilège de la meilleure littérature imagée qu'il ait été donné de lire depuis longtemps. Car tout comme l'écrivain Vercors était un dessinateur égaré dans les lettres, le dessinateur Sardon est un littérateur qui s'ignore. On rit à gorge déployée au récit de ses misères quotidiennes, tissu d'obsessions malsaines, décrites avec une hargne d'autant plus amusante quand l'auteur la retourne impitoyablement contre lui-même, ce dont il ne se prive pas.


Sardon devrait être interné, s'il ne convertissait ses désopilants ratiocinages de maniaco-dépressif sous camisole chimique en créations compulsives et drôlatiques, condensés d'humour absurde, qui prennent essentiellement la forme de tampons en caoutchouc qu'il fait cuire lui-même dans une presse dont la pestilence manque de l'occire. Il y gagne ses galons de véritable humoriste, en proposant une vision du monde, quand bien même putride, hostile et dégénéré, qui est à se tordre de rire.

Sardon, oubliant momentanément la tampographie, est à son meilleur lorsqu'il écume en safari-photo les défilés du 1er mai, traquant les plus beaux colliers de barbe en guise de trophées. Hommage à la gauche éternelle à vomir.

15 janvier 2013

Mali : The Long Con

Le mot con en anglais, qui n'a rien à voir avec l'anatomie féminine, est l'abréviation de confidence trick, qu'on pourrait traduire par abus de confiance, et désigne en fait une arnaque pratiquée par un escroc à la grande ou à la petite semaine, le con artist. Deux catégories : le short con, escroquerie vite faite bien faite, comme par exemple embrouiller sur la monnaie rendue à la caisse d'un magasin, et le long con, escroquerie raffinée à plusieurs étages et à gros rapport, où l'escroc n'hésite pas à engager ou perdre un peu d'argent dans l'espoir de rafler beaucoup à la fin, et où surtout il parvient à persuader le pigeon qu'il est lui-même le plus malin, comme dans le film L'arnaque. Le spectacle auquel nous assistons au Mali depuis ce week-end appartient évidemment à la deuxième catégorie : un long con.

Car les fripouilles islamistes, coupeurs de mains et lapidateurs fanatiques, ramassis de quelques milliers d'hommes tout au plus, pour beaucoup venus d'autres pays, Algérie, Libye, Nigeria, etc... armés dans les arsenaux de Kadhafi, et financés par les pétromonarchies du golfe Persique, se soucient au fond du Mali, et des Touaregs dont ils ont usurpé le combat, comme de leur premier tapis de prière. Peu leur chaut d'avoir pu hier botter les fesses à une armée malienne en capilotade. Peu leur chaut aujourd'hui de se faire éparpiller par quelques tirs de missiles d'hélicoptères ou de Rafale. Leur vraie victoire, c'est d'avoir entraîné dans ce conflit l'armée française, perçue comme l'armée coloniale de la Françafrique.

Vous reprendrez bien un petit peu de désert ?
Quelle meilleure justification du djihad, quelle meilleure propagande, quelle meilleur argument pour convaincre et recruter demain de nouveaux partisans, que cette opposition frontale avec l'Occident chrétien ? Sur l'échiquier mondial du djihad, le Mali n'est qu'un pion qui peut être sacrifié pour remporter d'autres victoires demain. Les brillants stratèges qui, eux, ne risquent pas leurs vies dans les dunes du Sahel, n'ont pas pour horizon une campagne de quelques semaines, mois ou même années. Ils comptent leur temps en dizaines d'années, s'efforçant de le faire jouer en leur faveur.

Toutes les rodomontades occidentales, les coups d'épée dans l'eau, les mouvements de menton, les déclarations de guerre au terrorisme, au demeurant un peu ineptes, toute acceptation du conflit dans les termes posés par les djihadistes eux-mêmes, doivent, espèrent-ils en tout cas, les servir à plus ou moins long terme.

Mais alors, vous direz-vous à la lecture de cette pénétrante analyse, comment se fait-il que les dirigeants français, politiques comme militaires, qui ne sont pas complètement idiots et ne prennent pas leurs leçons de géopolitique en lisant ces colonnes, soient tombés tête la première dans le panneau ? Mais tout simplement parce qu'ils n'avaient pas le choix. Eux qui réclamaient depuis des mois une intervention armée pour reconquérir le nord du Mali, comment pouvaient-ils laisser prendre Mopti, puis tomber Bamako ? On voit par là la qualité de l'entourloupe, où l'escroc islamiste garde la parfaite maîtrise des rouages de son machiavélique mécanisme, pour ne laisser aucune échappatoire au pigeon. Du travail d'artiste.

12 janvier 2013

Cases africaines, épisode 3

Notre intérêt pour la collection de BD africaine que dirige Christophe Cassiau-Haurie chez L'Harmattan ne faiblit pas tant ces albums sont bien faits. Ce mois-ci, deux nouveaux titres venus du Niger et de Côte d'Ivoire.

Un guerrier dendi de Sani.

Voilà encore un pays, le Niger, où les auteurs de bande dessinée se comptaient sur les doigts d'un manchot. Et puis, boum, miracle ! Surgi de nulle part, voilà que déboule Sani, caricaturiste de presse, peintre, et surtout rêveur impénitent, qui jette sa vie sur le papier en une suite de dessins qui bientôt donnent corps à un récit épique, poétique, onirique, très personnel et très universel à la fois, avec des qualités de conteur qui sont celles d'un griot légèrement alcoolique. Son coup d'essai est un coup de maître, car Sani domine intuitivement la narration graphique et la met au service de sa voix, qui à son tour invite le lecteur à l'écouter et lui commande de ne plus lâcher ce livre avant d'arriver au mot fin.


Les envahisseurs de Benjamin Kouadio.

Voici un petit format à l'italienne, au prix très étudié, qui s'adresse avant tout aux plus jeunes lecteurs. Professeur d'arts plastiques, Benjamin Kouadio dessine avec un trait à la fois très sûr et très dynamique, et une réelle aisance avec son medium. Son histoire est une petite fable typiquement africaine, qui met aux prises une famille mononucléaire moderne et urbaine avec les membres de la famille élargie, sangsues arriérées et sans scrupule qui débarquent de la brousse à Abidjan. On y trouve côte à côte profanités éhontées et louanges au créateur de toute chose, mélange de genres qui paraîtra délicieusement exotique au lecteur européen.

Précédemment dans Cases africaines.

5 janvier 2013

La petite souris et le grand méchant ours

Ernest et Célestine de Benjamin Renner, Stéphane Aubier, Vincent Patar.

Déclassification des espèces. Un gros ours mal léché et une souricelle dégourdie vont vivre leur belle amitié, en dépit des préjugés des membres de leur gent respective.

Voilà cette fois une production franco-belge qui va ravir les amateurs de cinéma d'animation : les réalisateurs de Panique au village ont fait équipe avec un troisième larron pour réaliser ce chef d'œuvre de poésie délicate et profonde, enlevée et élégante, mais aussi drôle et intelligente, merveille pour les yeux comme pour les oreilles, à des lieues pourtant de la loufoquerie déjantée qui les avait fait connaître. On voit par là que leur talent n'avait rien de circonstanciel ou d'accidentel, mais qu'on a affaire à des gens qui la connaissent, leur affaire, et savent fignoler de l'animation quels que soient le style ou le genre, en s'adressant d'une même voix aux publics de tous âges

Tout l'aspect esthétique du film est splendide, avec un coloriage à l'aquarelle époustouflant, au point qu'il est, chose rare en animation, bien difficile de déceler une différence de traitement entre le décor et les personnages. La musique est aussi discrète qu'efficace et subtile, tout au service de l'image, notamment dans le morceau de bravoure du film, transition entre l'hiver et le printemps inspirée des poèmes visuels d'Oskar Fischinger.

On n'enlèvera pas d'étoile au crash-test pour un défaut pourtant horripilant : le dialogue truffé de l'expression grand méchant ours prononcée méchan hourse, au lieu de méchantourse. Si le syndrome du hiatus purulent, dû à l'euro, se répand comme une lèpre jusque dans nos films d'animation, refuges de notre âme d'enfant, on ne va plus beaucoup rigoler. Charitablement, nous mettrons cette peccadille sur le compte d'un belgicisme de mauvais aloi.

Crash-test :