9 août 2008

Du riz et des jeux

Alors voilà, c'est parti pour quinze jours de Jeux olympiques. Il fallait bien que ça finisse par arriver, depuis le temps qu'on nous rebat les oreilles avec la Chine ceci, la Chine celà. Et le Tibet. Et les droits de l'homme. Ben maintenant, je crois que c'est trop tard, hein, on va pas tout décommander.

Il faut donc avoir une pensée pour tous ceux qui du fond de leurs confortables rédactions parisiennes, ou pour d'autres même depuis le zinc du Balto, réclamaient à cor et à cris un boycott, ne se résolvant qu'à contrecœur à sacrifier sur l'autel de la vertu quatre ans de la vie d'athlètes dont la carrière au plus haut niveau est souvent brève. Les droits de l'homme certes. Et il n'y a rien à retirer au travail effectué par des organisations telles que Reporters sans frontières ou Amnesty International, qui remplissent parfaitement leur mission d'éveil des consciences et de rappel des faits. RSF est encore bien jeune, mais on entendait déjà la voix d'Amnesty en 1978 lors de la Coupe du monde de foot en Argentine, ou en 1980, lors des JO de Moscou.

Et justement, on peut être tenté d'observer le parallèle avec Moscou en 1980. Boycott de la plupart des nations occidentales, emboîtant le pas aux Etats-Unis, à l'exception notable de la France, d'ailleurs. Mais il ne s'agissait pas de protester contre la nature inhumaine et oppressive du régime soviétique, connue et dénoncée de longue date, mais de réagir à un fait bien précis : l'invasion de l'Afghanistan fin 1979. Malgré la répression particulièrement soignée du printemps dernier au Tibet et dans les provinces voisines, rien de très nouveau en vérité cette année en Chine, la situation, quoique déplorable, était bien connue depuis bien longtemps, notamment en 2001 lorsque le Comité international olympique a attribué les jeux à Pékin.

Et quand on pense droits de l'homme, on pense toujours laogai (version locale du goulag), dissidents, censure, contrôle politique, peine de mort, toutes choses évidemment choquantes pour tous démocrates, occidentaux ou autres. Mais curieusement, les mêmes, dans les rédactions, dans les bistrots, paraissent un peu moins moins choqués des conditions de travail, proches de d'esclavage, des millions de travailleurs, bien souvent des travailleuses, qui font tourner l'atelier du monde, dans ce paradis socialiste où les syndicats sont interdits. Une partie des bas coûts de nos produits de consommation courante est directement le fruit de cette dictature abhorrée qui piétine les droits de l'homme. Qui entend-on réclamer le boycott de H&M, Zara, Go Sport, Ikea, Mattel, Berchet, etc... ?

Evidemment, le pouvoir chinois en fait des tonnes, espérant profiter de cette vitrine inégalée pour toiser le reste du monde. Il fallait voir (je ne l'ai pas vraiment vue) cette cérémonie d'ouverture grandiose, tout à fait dans la tradition qui consiste à faire toujours plus et mieux que la fois d'avant. Et quand il s'agit de manifestations de masse, les Chinois, avec davantage de modernité que les désuets et fauchés Nord-Coréens, savent discipliner leurs troupes. C'est l'avantage de la dictature.

Même s'il est toujours permis de regretter ces jeux de Pékin, il faut reconnaître que ça avait de la gueule, cette luxueuse affirmation de puissance un peu en forme de doigt d'honneur. Et ça avait de la gueule ces 204 délégations sportives qui défilaient bêtement heureuses devant l'humanité rassemblée devant le téléviseur.

Je sais pas si les Russes et les Géorgiens se sont retrouvés à la buvette après, mais on sentait bien que s'étalaient là malgré eux des valeurs d'universalisme qui dépassent peut-être la courte vue des dirigeants chinois. La Chine n'est guère plus démocratique que ne l'étaient l'URSS en 1980, l'Allemagne de 1936. Même les Etats-Unis ségrégationnistes de 1904 à Saint-Louis ou 1932 à Los Angeles ne rentreraient pas dans les clous selon les normes actuelles. Les choses changent, elles changeront en Chine, ce n'est qu'affaire de temps. Et il est encore trop tôt pour dire si ces jeux auront été un bien ou un mal.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve l'attitude de RSF, qui consiste à vexer les chinois, assez contre-productive. Apparemment ça sert surtout à couper les éventuels ponts entre Chine et Europe au bénéfice des américains qui financent RSF. L'ONG est française mais financée par la CIA et par George Soros - et ce n'est pas un délire d'altermondialiste parano (fuck Attac), l'information est publique... Tout comme la déclaration de Robert Ménard, le directeur, à qui on demandait pourquoi il avait abandonné la ligne JC Guillebaud (son prédécesseur) qui s'intéressait aussi aux pressions financières contre la liberté de la presse et aux questions de déontologie des journalistes. La réponse (Marianne, 5 mars 2001) : « Parce que, ce faisant, nous risquons de mécontenter certains journalistes, de nous mettre à dos les grands patrons de presse et de braquer le pouvoir économique. Or, pour nous médiatiser, nous avons besoin de la complicité des journalistes, du soutien de patrons de presse et de l'argent du pouvoir économique »
Reporters sans froid aux yeux, quoi.
Je ne défends pas les chinois, mais ils progressent dans certains domaines, on doit choisir entre les accompagner dans le progrès ou les traiter de manière vexante...

Hobopok a dit…

Je sais que le sujet ne s'y prête guère et qu'il ne faudrait pas rire de tout (ou bien ?) mais je trouve RSF assez rigolo, avec ses entrées de champ à Olympie, et ses escalades de la Tour Eiffel, le côté poil à gratter spectaculaire.

Pour la CIA et Soros, je ne tiens pas à entrer ici dans ce débat qui encombre suffisamment de pages du net.

Quant à savoir qui vexe qui dans nos rapports avec la Chine, on prenait un peu moins de gants avec l'Afrique du Sud d'il y a vingt ans, ou avec la Birmanie de ces dernières années, pour dénoncer la situation des droits de l'homme. Cela traduit tout simplement un rapport de force qui dans le cas de la Chine n'est pas en notre faveur.

Totoche Tannenen a dit…

Le point commun entre les militaires et les sportifs (qu'ils soient de Chine ou du reste du Monde), c'est leur amour pour les médailles : tout cela devrait donc finir par s'arranger. :-)

Li-An a dit…

Perso, je sens que je vais avoir du mal à me passionner pour ces Jeux pendant que Russes et Georgiens se demandent si on peut foutre l'Europe à feu et à sang...
Je trouve Jean-No un peu optimiste (en cas de décrochage de l'économie mondiale, la Chine et les Chinois surtout vont morfler grave...ce qui pourrait donner un resserrage de boulons). Mais on ne peut pas nier l'envie des Chinois de se sentir partie prenante du monde (ce qu'ils sont déjà dans les rayons de nos grandes surfaces mais pas assez d'un point de vue médiatique. Ce qui doit expliquer l'excitation française. Les Français n'aiment pas que les autres aient de l'importance).

Hobopok a dit…

Et moi et moi et moi...

Anonyme a dit…

Sur Backchich.info (je vous laisse trouver où) il y a un intéressant extrait d'un courrier confidentiel de diplomate français en Chine qui raconte que les chinois cherchent le mode d'emploi, qu'ils ont de mauvais réflexes et une certaine maladresse mais que, à tous les niveaux, ils ont envie de changer. Et tous les gens que je connais qui rentrent de Chine m'ont dit qu'ils ne reconnaissent rien. Ils se sentent pourtant fragiles (selon ce diplomate).
Je ne comparerais pas à la situation sud-africaine. Pointer l'Apartheid du doigt a forcé des pays qui entretenaient des liens économiques avec ce régime à avoir un peu honte d'eux.
Mais là, un boycott global est inenvisageable, je ne vois pas pourquoi établir un rapport de force quand on est si petit que la France ou que l'Europe. De plus ce n'est pas une légende, les chinois ont un grand besoin qu'on ne les embarrasse pas, c'est à dire qu'on leur dise les choses de manière vraiment diplomatique. J'ai vraiment l'impression qu'ils n'ont jamais été aussi prêts à écouter, alors pourquoi les brutaliser avec des trucs qu'ils ne comprennent pas toujours (rétablir la sanglante théocratie des lamas, peu connus pour leur droit-de-l'hommisme cinquante ans après l'annexion du pays semble curieux pour les chinois, ils ont une toute autre vision de la chose). La liberté de la presse a beaucoup progressé en Chine, d'une manière tordue (le contrôle remplace peu à peu la censure binaire) mais effective.
Je ne veux pas faire du relativisme culturel, mais il me semble que c'est le moment de leur donner leur chance, d'y aller avec pédagogie et séduction plutôt que de leur donner des leçons comme à une ex-colonie.

Hobopok a dit…

Dans les critiques faites par les supporters des droits de l'homme, dont l'universalisme ne devrait pas être mis en cause, il faut distinguer les reproches adressés aux pays qui prétendent les soutenir. S'il n'y a pas grand chose à attendre de la Chine, c'est une autre chose que de voir les démocraties s'asseoir sur leurs principes et avaler des chapelleries entières pour un plat de lentilles. Quelle est la frontière entre les munichois et les réalistes ?

Ceci dit, sans aller jusqu'à parler de néo-colonialisme, il y a une forme de méconnaissance et d'incompréhension totale de l'Occident pour la Chine, qui brouille assez le débat. Dans un pays qui de transforme de façon exponentielle, se faire un tableau complet d'une "réalité chinoise" semble une gageure hors de portée de beaucoup, sans doute en Chine même, sans doute au sein des élites communistes mêmes.

Anonyme a dit…

Munichois, on l'est depuis De Gaulle quand on affire qu'il n'existe qu'une seule Chine (message : si vous envahissez Taïwan, on ne bougera pas un sourcil), mais les chinois sont compliqués, car ce signe d'allégeance de De Gaulle a débloqué les rapports entre la Chine et les autres, et Taïwan n'a toujours pas été annexé. Je connais plusieurs taïwanais qui en parlent avec fatalisme : pour eux aussi il n'y a qu'une seule Chine, ils trouvent l'idée d'être annexés un jour normale même si ils ont tout à y perdre et qu'ils en ont peur. Bref, compliqué... Il me semble qu'avec les chinois il faut mettre les formes et à titre personnel, individuel (et je pense que ça s'applique au niveau collectif), ils rendent très bien l'amitié dont on fait preuve envers eux, il faut prendre ça en compte. La presse à Pékin est moins libre que l'ORTF sous Pompidou, mais celle de Shanghaï l'est peut-être plus. Ils ont du retard, des millénaires de régimes despotiques (sans lesquels le pays aurait explosé depuis longtemps) ne permettent dans un premier temps que de distinguer si on est en guerre ou pas, si on subit une famine ou pas. Pour l'instant les autorités chinoises sont un peu gauches avec la notion de liberté d'expression ou celle de liberté tout court. Et le désordre leur donne le vertige (tout plutôt que ça). Pourtant ils n'ont jamais été si proches de nous... Alors ces jeux finalement, c'est bien, c'est un symbole positif.
Si deux semaines avant la Chine avait attaqué Taïwan, s'y rendre serait indigne. Mais justement ils n'en sont pas là.

Bon par ailleurs, si les JO avaient quelque chose à voir avec la démocratie, ça se saurait :-)

Anonyme a dit…

désolé pour les fautes de frappe

Anonyme a dit…

je serai (presque) brève :
article lumineux!

la preuve : le nombre de commentaires . un vrai blog qui fonctionne ...

peut être bientôt un blog mythique!

1-je suis en tous points d'accord avec toi;

la dictature , ses apparences , ses vérités qu'on ne veut pas voir , ses liens avec la mondialisation..

la mondialisation n'est pas d'essence démocratique de toute façon ;
qu'est ce qui peut s'y opposer?
qui le souhaite?

2- d'accord aussi avec jean - no: la bonne conscience des blanches démocraties peut couter son prix. faire preuve d'un peu de diplomatie et éviter la mépris auprès d'une civilisation millénaire pourrait ne pas être inutile ; et puis le moustique qui s'attaque au mammouth de la sorte , ça me semble risqué.

3- Aussi et effectivement , comme le dit Hobopok , RSf est limite " muppet show" dans certaines de ses actions.

Reste à savoir si les chinois ont le même humour que nous. ce dont je doute...

leur puissance et notre dépendance économique par rapport à eux explique qu'on ne les traite pas comme l'Afrique du sud. rappelons que ce sont eux qui remplacent les européens en Afrique actuellement. ils rafflent les ressources narurelles exploitent les populations , sans se soucier des droits de l'homme et du "qu' en dira t on"


4- Pour la chine , le nationalisme passe effectivement par la compétition à tous les niveaux.ces jeux sont une mise en scène de leur puissance, des progrès qu'ils ont accomplis .. le fait qu'ils nous est refilé des images "parfaites , tournées à l'avance , au cas où" à la place de ce qu'on pouvait effectivement voir pour les festivités d'ouverture en est la preuve.
ça vaut peut être mieux que l'usage des armes.

5- je trouve aussi la dernière remarque de Li-an particulièrement vraie..

6- tout comme celle de hobopok sur notre appréhension des droits de l'homme et notre coté -définitivement munichois".


7- au bilan , je me demande si la France ne commence pas à tenir du toutou arrogant qui grogne en montrant les dents.. ou tout simplement qui " pète plus haut que son cul", et qui nous aveugle, toujours dans la nostalgie d'une puissance rayonnante ensevelie et d'une réputation internationale fragilisée.

Il n'y a qu'à voir le stress que l'on colle à nos athlètes " medaillables",comme si on leur collait la mission de " faire briller" toute une France dans l'espoir de croire encore en nous . : voir le " on a gagné" de 1998,et à l'inverse, les désillusions de 2008( Manaudou, la pauvrette écrasée par sa mission de jeanne d'arc..) .

8- bien venu à jean no au club des fautes de frappe.. mais il est n'est pas encore près de me piquer la médaille d'or..