16 septembre 2008

Grenelle, mensonges, et vidéo

Un week-end de Ligue 1 ordinaire : un coup-franc et un pénalty généreusement accordés à l'Olympique Lyonnais face à l'OGC Nice, et le résultat du match s'en trouve quelque peu, comment dire, inversé. Là-dessus, le sang de Muriel Marland-Militello (ne retenez pas son nom), députée UMP des Alpes-Maritimes, ne fait qu'un tour. Elle interpelle le gouvernement pour réclamer, tenez-vous bien : un Grenelle de l'arbitrage ! (Je sais même pas pourquoi je me fatigue à mettre encore une majuscule à "Grenelle" tant l'expression se retrouve à toutes les sauces pour désigner toute réunion de plus de deux personnes à des fins non reproductrices).

Sous-entendu : j'ai bien vu à la télé, y avait pas plus coup-franc que pénalty, l'arbitre aurait du être remplacé par un car-régie ! Sous-entendu : le résultat escompté de ce bon sang de Grenelle de l'arbitrage est de faire en sorte que l'OGC Nice devienne septuple champion de France et que ça saute !

Le débat est donc ouvert : l'arbitrage vidéo dans le foot. Et la position de notre rédaction est ferme : over the dead body de Michel Platini. Et comme je suis pas chiche, je m'en vais même vous expliquer pourquoi.

Ceci n'est pas un pipeau.

Essentiellement, introduire le vidéo-arbitrage ne règlerait pas les problèmes, mais ne ferait que les déplacer. Une image, et notamment une image vidéo, est à la vérité ce qu'un Magritte est à une pipe. Certains cas seraient résolus par la vidéo, d'autres non, et les arguties reprendraient deux yards plus loin, on ne serait pas tellement plus avancés. Coupe du monde 1998, Brésil-Norvège, pénalty : les vingt et quelques caméras placées autour du stade n'ont pas vu ce que seul l'arbitre a vu, à savoir ce joueur norvégien ceinturé dans la surface. La vidéo a parlé : l'arbitre s'est trompé. Le lendemain, une seule caméra mobile de reportage, dans un angle pas possible, a vu l'action comme l'arbitre l'a vue. La vidéo révèle : l'arbitre ne s'est pas trompé. La vidéo, très bien, mais laquelle ?

Ensuite qui va au cours d'un match réclamer la vidéo et à quelle occasion ? L'arbitre ? Les joueurs ? Les entraîneurs ? Et pourquoi pas aussi le public pour rendre le jeu "interactif" ? Autant distribuer directement 80 000 manettes de PlayStation. Déjà si n'importe qui sauf l'arbitre peut demander la vidéo, y a plus besoin de porte-sifflet, un réalisateur de télé (tout aussi incorruptible...) fera très bien l'affaire. Et moi qui croyais qu'on voulait renforcer l'autorité des arbitres. Faudrait savoir. Et puis à quelle occasion la vidéo ? Pour savoir si le ballon est bien entré dans le but ? Pour savoir s'il y a faute dans la surface ? Pour savoir s'il y a faute à 40 mètres des buts (on a déjà vu des coups-francs marqués de plus loin) ? Pour savoir à qui est la touche (on a déjà vu, etc...) ? Dès qu'un joueur touche le ballon ? On en finit pas. Les matches vont durer trois heures. Même si l'arbitre reste maître de la vidéo, la pression sur lui sera telle qu'il sera tenté de se couvrir constamment.

Une nouvelle tenue pour les arbitres.

Derrière tout ça on voit une nouvelle application de l'illusion technologique, qui me désole, et qui consiste à croire que tout ira mieux quand il y aura des machines partout. Déjà je trouve consternant qu'on se soit résolu, comme au dernier Euro, à afficher les images du match en direct sur les écrans géants des stades. Outre qu'en faisant ça on transforme les spectateurs en autant d'arbitres, si on vient au stade, c'est quand même pour voir des vraies gens courir après une vraie baballe, pas pour regarder la télé. On peut faire ça à la maison. Mais la force de l'image animée est telle qu'on ne peut s'empêcher de tourner la tête vers l'écran, comme pour valider la réalité qu'on a pourtant sous les yeux. Comme si l'image vue par le prisme de la vidéo avait plus de réalité que celle transmise par nos seuls yeux, ce qui est une affolante ineptie.

Anecdote : lors des derniers JO, France 2 filmait l'ancien rugbyman Fabien Galthié qui se baladait un peu partout sur les sites olympiques. Invité en tribune de presse, il assiste à la finale du 100 mètres messieurs, en direct dans le stade. Mais que nous montre le reportage ? Galthié, vivant à une place privilégiée un moment d'exception, ne regarde pas les coureurs sur la piste à quelques mètres de lui, mais... l'écran de contrôle des journalistes ! Puis après les dix secondes de course, il relève enfin la tête pour vérifier que la réalité est bien conforme aux images qu'il vient de voir. Au secours ! Mais mon pauvre Fabien fallait rester chez toi regarder la télé et me laisser ta place dans le stade !

On nous dit que l'arbitrage vidéo, ça marche très bien au rugby. C'est pas faux. Mais au rugby, quand il y a un tas de trente joueurs avec le ballon en dessous, on ne saurait dire, arbitre ou pas, où est le ballon là dedans sans la vidéo. C'est uniquement pour valider un essai que la vidéo entre en jeu. Et dans le rugby, un joueur peut se faire exclure dès que le moindre son sort de sa bouche en direction de l'arbitre. Ne parlons pas d'intimidation physique, courante dans le ballon rond. Voilà un rayon où le football ferait bien de balayer devant sa porte avant de songer à saper l'autorité des arbitres en les subordonnant à une machine. Avant d'introduire tout un corpus mal ficelé de nouvelles règles qui seront conspuées et bafouées à peine édictées, peut-être faudrait-t-il d'abord travailler à changer l'état d'esprit du foot, et faire du respect de l'arbitre la pierre de touche de l'édifice.

Tiens, prends ça, sale arbitre !

Même si l'issue du combat est inéluctable, il faut résister le plus longtemps possible pour préserver un sport capable d'inspirer à ses acteurs les plus folles prouesses, comme les pires sottises et les plus funestes erreurs, bref, un sport à dimension humaine. A cet égard, le football tant décrié par ailleurs, et non sans raison, reste une anomalie en période normative. L'arbitrage vidéo finirait de l'asservir aux puissances financières de la télévision. L'accepter, même sous conditions, même uniquement pour les violeurs d'enfants avec actes de barbarie, signifierait le déclin du jeu. Le ver serait dans le fruit, le loup dans la bergerie, et la main de ma sœur dans la culotte de Juninho.

Notez que Muriel Marland-Militello (ne retenez pas son nom), afin de faire croire qu'elle n'est pas en service commandé pour l'OGC Nice, demande au ministre à ce que la vidéo s'applique à tous les sports en France. Ah là, on aurait pas fini de rigoler. On imagine assez bien les parties de pétanque endiablées avec écran géant sur le Vieux port. On imagine surtout la scène à Levallois-Perret ou à Drancy : "Eh, tu viens faire un basket au terrain de quartier ? - Ah ben non, le circuit de surveillance vidéo de la ville est encore en panne !". Une petite partie de fléchettes ? Ah, zut, plus de batterie dans mon caméscope.

Souriez, vous êtes filmés.

En tant que professionnel de la profession (la vidéo, hein, pas le foot) ça me fait d'autant plus mal au derrière. En tant que supporter de Saint-Etienne, je dirais même que ça m'écorche un peu les hémorroïdes, vu que lors de cette même dernière journée de Ligue 1, l'ASSE s'est fait refuser deux buts parfaitement valables par un trio arbitral un peu, comment dirais-je, distrait. Quelqu'un m'a entendu réclamer une commission d'enquête ?

14 commentaires:

Anonyme a dit…

100% d'accord. Le tirage du Keno aussi, d'ailleurs, pourquoi on utilise la vidéo ? C'est encore uen fois la toute puissance supposée de la machine contre l'honnéteté et l'intégrité du réalisateur. Non à l'arbitrage vidéo au foot et au Keno !

Anonyme a dit…

J'en appelle donc à un Grenelle du Keno.

Hobopok a dit…

Et moi à un Grenelle des Grenelles.

Li-An a dit…

Il me semble que la vidéo est justifiée au Keno: on y comprend rien à l'action (comme dans Motus).

Anonyme a dit…

un article d'un grand professionnalisme, indubitablement.


je suis ( presque) tous les détours du ballon rond.


je comprends que cette situation schizophrénique pour l'amateur sportif et le pro des medias
et je garde l'expression pour une autre fois:
"
ça m'écorche un peu les hémorroïdes" .
poétique et ultra sensible à la fois ..


Vraiment, encore une preuve que Foot et subtilité peuvent aller de pair , ceci pour les esprits obscurs qui ne connaissent pas L 'ASSE.


Ménage toi tout de même. faudrait pas que tout nous fasse une crise cardiaque au prochain match.

badjack a dit…

Peut-être effectivement que la vidéo n'a pas sa place rue de Grenelle. Mais on pourrait sans doute y faire entrer deux arbitres (un par moitié de terrain) ou trois (un central plus un dans chaque surface de réparation). Voilà qui leur permettrait de suivre l'action de plus près et de faire baisser le chômage...

Anonyme a dit…

Pour des Grenelles de brochet !

Hobopok a dit…

@anonyme : elle vient de loin celle là ! marci pour cette indispensable contribtuion au débat.

@badjack : judiciuse proposition, qui permetrrait aux arbitres de se défendre à 4 (au lieu de 3) contre 22 an cas d'agression, et qui a comme inconvénient que la crise des vocations suscitée justement par les agressions diverses dont les arbitres sont les cibles. Et puis qu'est-ce que les télés y gagneraient ?

Totoche Tannenen a dit…

Je propose qu'on tienne ton raisonnement jusqu'au bout et qu'on coupe le mal à la racine : on supprime totalement la vidéo lors des match.
Autrement dit : fini le foot à la télé.
Et hop.
Pas con, non ?
C'est Vivie qui va être contente.

Hobopok a dit…

Ah là oui, mais non, je vais pas passer tous mes jeudis soirs à Tel Aviv !

Totoche Tannenen a dit…

Je te l'avais bien dit qu'en gougueulisant "Hobopok Hapoël", j'arriverai chez toi.

Anonyme a dit…

je me permets de saisir l'occasion de ce très intéressant article traitant de football pour rebondir sur celui d'avant-qu'-on-ait-été-ridicules-en-Suisse , qui traitait de couleur de maillots et signaler que ça ne s'arrange pas : accueillir les citoyens d'une ville aussi raffinée que Florence en tenue d'éboueurs me paraît un peu méprisant. Quant à jouer à Tel Aviv en pyjama rayé...

Hobopok a dit…

Et voilà, on est bien d'accord. Et le PSG avec sa bande horizontale, il avait pas fière allure aussi ? Ce qui me fait quand même marrer, c'est qu'une fois sur deux, le sponsor maillot principal devient illisible grâce à ces couleurs fantaisistes, et au professionnalisme des designers des équipementiers.

Anonyme a dit…

mais quelle bande de rigolos , j'vous jure.


vous entretenez ma bonne humeur. Hobopok , tu devrais demander une subvention de la sécu.

si, si ..

Et puis , continue à nous parler foot , sans quoi je n'y connaitrai plus rien en la matière ,et je serai franchement mal la prochaine fois que je verrai DOUdou.