6 mai 2008

Hello, le soleil brille brille brille !

To the Kwai and Back de Ronald Searle.

En 1941, l'artiste, jeune couillon de 21 ans frais émoulu des Beaux-arts de Cambridge qui s'était engagé dès septembre 1939 dans l'armée britannique, embarque pour Singapour. Il y parvient après un long voyage via Terre-Neuve et le Cap début 1942, juste à temps pour être fait prisonnier par les Japonais qui ont conquis la péninsule malaise en trois coups de cuiller à riz. Ci-dessous, autoportrait au début de la captivité avec encore pas mal de gras.


Malgré les conditions de plus en plus dures de sa détention, qui l'amènent à participer à la construction du titanesque, meurtrier et en fin de compte inutile chemin de fer Bangkok-Rangoon (le pont de la rivière Kwai, qui contrairement à la légende racontée par le bouquin de Pierre Boulle et popularisée par le film de David Lean, ne sera pas du tout détruit par ses constructeurs), Searle continue tant bien que mal à tenir une sorte de journal dessiné qu'il avait entamé en mer. Il rapportera, après les avoir planqués Dieu sait où, ces dessins qui racontent sa longue déchéance, sa réduction en esclavage, son corps rongé par la faim, les parasites et les maladies.


Tout est du vécu, et ça m'a mis une bonne grande claque dans la gueule. Non pas tant pour les dessins qui pourtant sont loins d'être anodins, mais sont parfois techniquement justes (mais d'où je dis ça moi, ça va pas non ?), un peu pour cause de jeunesse, et beaucoup pour disons un manque de confort dans l'exécution. Mais surtout pour les textes qui les accompagnent, que Searle, artiste adulte reconnu et comblé, a dû écrire au milieu des années 80 pour l'exposition en Angleterre qui a précédé l'édition du livre en 1988.


Aucun misérabilisme en effet alors que les faits racontés laissent clairement entendre souvent le pire, aucun héroïsme non plus, jamais le soldat Searle n'est crédité du moindre acte de bravoure face à l'adversité. Mais tout au long une langue alerte et fine, empreinte de flegme et de distance très british, comme si ce qu'il a subi avec ses camarades décimés au 4/5èmes n'avait pas été plus insoutenable qu'une après-midi sans thé. Et à peine moins d'indulgence pour ses tortionnaires japonais que pour le commandement militaire britannique.



Certains des nombreux dessins reproduits sont amputés d'un large coin : c'est qu'à la fin, les prisonniers vinrent à manquer de papier pour se rouler des cigarettes de vieux foin, et Searle avait commencé à fumer ses précieuses archives.


Finissons avec ces adorables croquis de deux chatons, les deux tiers du repas de Noël 1944.


Searle laisse pudiquement entendre à demi-mot comment il a manqué mourir à mille reprises de mille façons toutes plus inventives, et à la lecture de ce livre, on ne peut s'empêcher de penser que ses dessins eux-mêmes ont dû contribuer pour une part non négligeable à le maintenir en vie.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

article sensible et cousu à petits points serrés , à l'image de l'œuvre décrite , dans un ton très " britannique" et retenu de l'auteur.

Voilà qui donne envie de lire.

la conclusion me motive particulièrement , en ricochet de mes petits aléas actuels.

finalement, cher Hobopok , n'y aurait il pas, définitivement, une part de british en toi?

Hobopok a dit…

Comeent ? Tu veux dire que j'aurais été adopté ?

Anonyme a dit…

tu veux dire "après les avoir planqués Dieu et Quentin savent où" non ?

(j'utilise un anagramme de pseudo tant j'ai honte de ce commentaire)

Hobopok a dit…

Bravo pour le pseudo, car pour Quentin, je reste bouche bée.