Valse avec Bachir d'Ari Folman.
2006 en Israël, un vétéran du Liban essaie de remonter à la source des ses cauchemars. A la rencontre d'autres vétérans qui lui racontent leur histoire, et de psys qui se penchent sur le stress post-traumatique, il revient à ce massacre de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, perpétré par des phalangistes chrétiens alliés d'Israël en 1982, après l'assassinat du président élu Bachir Gemayel. D'où le titre du film, qui paraît d'autant plus ésotérique qu'on avait l'habitude en français de graphier Béchir Gemayel. Mais bon.
Voilà un film, comment dirais-je, assez peu banal. Genre qui ne ressemble à rien de ce que vous avez pu voir. Genre qui crée son propre genre sous l'appellation intriguante de documentaire d'animation.
Parler d'animation peut paraître un peu abusif, vu que l'image a parfois été redessinée à base d'interviews et de prises de vues réelles (ou reconstituées... ???). Non sans un certain talent d'ailleurs. Mais c'est tout de même un peu l'équivalent cinématographique du dessin d'après photo. J'avais donc quelques préventions, (surtout que j'avais en tête le résultat pitoyable du long-métrage 3D branchouille français Renaissance).
Eh bien chapeau, surtout d'ailleurs au directeur artistique David Polonsky, parce que graphiquement le résultat est surprenant, très équilibré, très convaincant. Presque trop, car du coup on est un peu distrait par la beauté des images, qui ne contribue pas au début à accrocher à un contenu à plusieurs niveaux, récit, séquences de rêve, interviews, et à remettre en ordre le dialogue à base de psychanalyse un peu bavarde. Et en fin de compte, le graphisme dessiné, qui permet à Folman une grande liberté de représentation de diverses horreurs, aboutit malgré tout à une forme d'esthétisation de ce qu'il dénonce. Les dernières images du film sont de véritables archives de télévision. Finalement c'était vraiment vrai.
Le film aborde de face un certains nombres de problèmes essentiels liés à la guerre, en général, et son rapport à l'identité israélienne. Il ose même mentionner (sans d'ailleurs l'entériner) le parallélisme entre le comportement des soldats israéliens et le sort fait à leurs parents juifs d'Europe quarante ans avant, ce qui traduit assez le niveau de liberté d'expression dont jouit Israël par rapport à, disons, la France.
Crash-test :
Et pour finir, une petite interview d'Ari Folman piquée sur le site du Monde.
Plus largement, le film évoque les cauchemars récurrents des rescapés de la guerre...
Une psychiatre, chargée de recherches sur le stress post-traumatique, dit dans le film qu'il y a des dizaines de milliers d'Israéliens qui survivent ainsi, avec des souvenirs refoulés de ce qu'ils ont vécu.
Comment s'est opérée votre thérapie ? Grâce à vos séances de psy ou grâce au film ?
La quête de souvenirs traumatiques enfouis dans la mémoire est une forme de thérapie. La mienne a duré quatre ans, au cours desquels j'oscillais entre la dépression engendrée par ce qui resurgissait et l'euphorie du projet de film. Les deux méthodes ont été efficaces, douloureuse pour la partie médicale et agréable pour la partie artistique. Avant de faire le film, je me sentais déconnecté de toute image de moi à 19 ans, comme si ce jeune homme appartenait à une autre vie. Aujourd'hui, j'accepte que ce soit mon histoire, et je sais qu'elle est derrière moi.
Quel a été le processus de création ?
Il n'y avait à mes yeux qu'un seul moyen de faire ce film : par l'animation. Je n'aurais jamais trouvé le budget pour tourner une fiction, et l'hypothèse du documentaire me semblait une mauvaise solution, en particulier parce que la guerre est irréelle. Seule l'animation, avec sa part d'imaginaire, me permettait de montrer ce que je voulais montrer, avec une telle liberté. On échappe aux règles, à l'obsession du vrai et du faux, on peut figurer un rêve, une hallucination, inventer un visage à quelqu'un que vous avez interrogé, mais qui ne veut pas apparaître...
Pourquoi la mer est-elle omniprésente dans le film ?
Je suis marin, c'est toute ma vie. Les images de rêves ne pouvaient pas être situées ailleurs. Pour les psys du film, elle représente la peur. Pour moi, c'est la liberté totale, la vie, la belle vie. Un lieu de paix quand je veux m'échapper. L'image du soldat qui échappe aux milices et rentre à la nage à sa base m'émeut parce qu'elle est antihéroïque. Ce type a répondu à une annonce que nous avions publiée dans le journal pour glaner des témoignages : cela faisait vingt-cinq ans qu'il attendait de pouvoir raconter son histoire à quelqu'un.
Vous avez une façon particulière d'évoquer la guerre comme un acte de virilité. Il y a ce soldat qui vient d'être quitté par sa fiancée, ce rêve du séducteur complexé, cet officier qui regarde une cassette porno...
Les gens deviennent des guerriers pour de mauvaises raisons. Cela a moins à voir avec l'idéologie, souvent, qu'avec les histoires personnelles. Certains partent à la guerre pour épater les filles, d'autres pour régler un problème d'identité. Le cas du type qui s'engage parce qu'il n'a pas de petite amie est assez banal. Pour l'officier, j'ai dû batailler. Certains pensaient que cette séquence détournait le film de l'essentiel. Au début des années 1980, il n'y avait pas de magnétoscopes en Israël. J'ai voulu montrer la découverte de ces machines par les soldats au Liban.
Pourquoi finissez-vous le film par des images réelles ?
Il aurait été dommage que le public reparte en n'ayant vu que de l'animation graphique. Je tenais à lui montrer que les images dessinées étaient peut-être belles, mais qu'il y avait eu des milliers de personnes qui étaient mortes, hommes, femmes, enfants, vieillards...
Propos recueillis par Jean-Luc Douin.
26 juin 2008
Requiem pour un massacre
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5 commentaires:
comme d'habitude, en te lisant, j'essaie de deviner combien d'étoiles tu as décernées:
Et bien aujourd'hui , j'ai bon.
Après " Persepolis", cet exercice de style fait envie d'être vu.
l'article que tu cites complète bien ta critique , toujours remarquablement rédigée.
On se sent moins con quand on te lit.
c'est grave docteur?
C'est marrant ça : sur mon blog, c'est plutôt le contraire.
C'est quoi votre blog , docteur Totoche ? histoire que je teste.
Peut être est ce écrit d'une manière un peu leste .
j'aurais du écrire: " ON se sent moins con après t'avoir lu".
on est "instruit ", quoi.
Effectivement.
vu aujourd'hui . bien d'accord avec ta critique.
par paresse et par désespoir de faire mieux , surtout au niveau des fautes , j'oriente les esprits forts sur ton bilan par un lien.
tu es mon" nègre occasionnel " en quelque sorte. Et en tout cas ma référence critique ne matière de cine.
Le nègre occasionnel te donne blanc-seing.
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