2 juin 2008

De la bombe

Barefoot Gen, de Keiji Nakazawa.

En français Gen d'Hiroshima, chez Vertige Graphic. Reçu dans la boîte aux lettres cette semaine le tome 6. Pour une fois, si je le lis en anglais, ce n'est pas par snobisme, d'autant que l'édition n'est pas terrible, mais primo parce que j'avais acheté le premier volume voilà vingt ans dans la très belle édition Penguin (voir couve ci-dessous), et secundo parce l'édition française est imprimée à l'envers (c'est à dire de droite à gauche, dans le sens japonais) et qu'il faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards laqués.

Je reste personnellement hermétique au manga, en général, mais là, ça vaut vraiment la peine de se faire violence.

Keiji Nakazawa dans les années 70.

Barefoot Gen raconte sans avarice de détails la vie d'une famille japonaise d'Hiroshima, quelques semaines avant le 6 août 1945, et de ce qui reste de cette famille dans les années qui suivent la tragédie.

Sur le plan graphique, ça ne casse pas des briques, ça n'est à l'évidence pas le mieux dessiné des mangas, comme si Nakazawa se contentait de sacrifier aux codes les plus éculés du genre, piquant même probablement poses et expressions à ses collègues plus talentueux.

Sur le plan du scénario, c'est une toute autre limonade. C'est le travail d'une vie, celui d'un survivant d'Hiroshima qui a réussi à mixer son expérience personnelle aux récits collectés auprès d'autres survivants pour en tirer un récit d'une force exceptionnelle, d'une émotion sans tricherie, et sans parti pris ni a priori politique, dénonçant en vrac les militaires japonais, l'empereur lui-même, les occupants américains et leur épouvantable Commission des victimes de la bombe atomique, les paysans spéculateurs, les yakusas sans scrupules (quel avenir aurait d'ailleurs un yakusa avec scrupules ?) et les va-t-en-guerre d'avant-guerre transformés comme par magie en démocrates pro-américains après guerre.

La crise exceptionnelle causée par la bombe atomique, l'effondrement moral et social consécutif à la défaite, révèlent les pires bassesses de l'humanité tout en provoquant les plus beaux élans de noblesse et de générosité. Avec au cœur du récit une chronique familiale faite de tragédie, de mort et d'espoir comme il ne doit pas y en avoir beaucoup sur cette planète, ça prend aux tripes comme peu de livres.


Dans le tome 1.

Dans le tome 2.


Dans le tome 5.

Profitons-en pour rendre une nouvelle fois hommage au président Chirac, l'ami des sumos, qui en 1995 avait choisi avec la délicatesse qui le caractérise de célébrer les cinquante ans d'Hiroshima en appuyant sur le champignon nucléaire. Banzai !

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Si tu as apprécié ce manga, je te conseille de lire aussi "Les trois Adolph" de Tezuka et "Les vents de la colère" de Yamagami.
Les JT de TF1 ou de France 2 nous présentent souvent les japonais comme des racistes nostalgiques de l'occupation en Mandchourie, incapables d'auto-critique sur les périodes les plus sombres de leur histoire, mais comme par ailleurs ils pensent que les mangas sont uniquement faits pour les gamins violents et/ou les débiles mentaux, ils ne risquent pas de changer d'avis de sitôt.

Hobopok a dit…

Mouais, je vois quoi, chez Tonkam, mais c'est sûrement dans le mauvais sens. Faute !

Anonyme a dit…

Mon vieux Jicé, ça me fait vraiment plaisir de voir quelqu'un d'autre que moi qui vitupère le sens de lecture absurde imposé par les mangas traduits en français.

Li-An a dit…

Ben si ils faisaient un peu leur auto critique, ces Japonais...

Totoche Tannenen a dit…

Je ne l'ai pas sous les yeux, mais je crois bien que la réédition de "L'histoire des 3 Adolf" est dans le sens de lecture européen afin d'en faciliter la lecture, les héritiers de Tezuka ayant fait leur auto-critique.

Totoche Tannenen a dit…

Si tu l'as lu dans l'autre sens, il est donc normal que tu n'aies rien compris.

Anonyme a dit…

La Toyota, en voilà une auto critique !