11 avril 2008

Sous-Boks

Pendant ce temps là, en Afrique du Sud, une jolie polémique à tendance politiquement correcte, comme le pays les aime, commence à enfler autour de l'équipe nationale de rugby, championne du monde, faut-il le rappeler, depuis l'an dernier, et de son emblème de toujours : le springbok, gracile petite antilope bondissante des pampas australes.

Le projet est dans les tuyaux depuis un petit bout de temps mais à en croire la correspondante d'une concurrente gazette gothique et vespérale, Fabienne Pompey (qui pour une fois n'écrit pas sa dose habituelle de carabistouilles), le springbok sur les maillots verts pourrait bien ne pas terminer l'année. L'ANC veut remplacer la gazelle, soupçonnée de nostalgie pour l'apartheid, par le protea, fleur nationale qui orne seule les maillots des sélections dans tous les autres sports, et accompagne déjà le springbok depuis 1994 pour le rugby. Le parti au pouvoir feint ainsi d'oublier que le springbok a été l'emblème des équipes de rugby sud-africaines depuis 1906, c'est à dire 42 ans avant l'instauration officielle de l'apartheid.

Les Springboks de 1906.

Bon certes, le pays n'était pas non plus un modèle de démocratie multiraciale avant 1948, et comme en atteste le cliché ci-dessus, on aurait évidemment été bien en peine de trouver dans l'équipe un joueur qui ne soit pas blanc comme neige. Mais prêter une idéologie politique au quadrupède doré est peut-être un peu à côté de la plaque. On peut davantage suspecter l'ANC de soulever un débat national de nature purement émotionnelle afin de faire oublier, à un an des élections générales, les insuffisances du gouvernement en matière d'économie, de sécurité, ou encore même plus récemment d'approvisionnement énergétique. On voit aussi dans cette affaire la tentation un soupçon totalitaire de faire table rase du passé, et réécrire l'histoire au goût du jour.
Dieu soit loué, ce n'est pas en France qu'on verrait des choses pareilles !

Si le rugby sud-africain a effectivement des problèmes de racisme à régler en son sein, ils sont si profonds et généralisés que ce n'est pas une mesure cosmétique qui les règlera. Ça ressemble plutôt une façon bien commode de ne pas s'attaquer au mal en profondeur. La réalité sud-africaine est aussi que le rugby a toujours été un sport d'Afrikaners, et qu'il faudrait payer cher bien des noirs pour leur faire botter un ballon ovale. Alors quoi, on va les obliger ?

Jake White avec une veste datant de 1906.

En fait la question raciale dans le rugby avait déjà été largement au menu de l'après coupe du monde, puisque le coach champion du monde, Jake White (on n'a pas idée de s'appeler comme ça aussi), avait été remercié comme un malpropre dès le lendemain de sa victoire à la tête de troupes d'une trop éclatante blancheur. Le malotru s'imaginait pouvoir continuer à sélectionner les meilleurs joueurs, sans égard pour leur couleur de peau. Les dirigeants de la fédération lui ont bien fait comprendre qu'ils ne mangeaient pas de ce pain là, et l'ont prestement remplacé par un nouvel entraîneur, plus ouvert aux nouveaux concepts de sélection, métis de surcroît (pour les photos). Et donc l'objectif clairement annoncé, et soutenu par la principale force politique du pays, est que l'équipe reflète la diversité nationale.

Est-ce que je rêve ou bien est-ce qu'on a pas eu le débat exactement inverse en France lorsque de grands penseurs comme Jean-Marie Le Pen ou Georges Frêche se sont laissés aller à des considérations douteuses sur le nombre de joueurs noirs trop élévé en équipe nationale de football, et son manque de représentativité ? L'indignation, assez justifiée, avait été à son comble. Tout le monde s'accorde encore pour reconnaître que les meilleurs doivent jouer. Point barre.

L'équipe de France avant France-Italie en août 2006.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors là , cher hobopok,

C'est la grande classe cet article! toutes mes félicitations à la rédaction!
Et d'un , je suis tout à fait d'accord avec toi. Nous sur la même longueur d'onde.
Et de deux , cet article est rédigé avec un petit air de ne pas y toucher diablement efficace qui n'est pas pour me déplaire. j'ai pouffé de jubilations plusieurs fois en te lisant.

et puis toujours ce coté pédagogique et éducatif .. j'apprends des trucs ( que je recase en cours en faisant croire que j'ai de la culture..)

ça , c'est du grand hobopok millésimé comme on l'aime.

un site incontournable.

je note l'expression " carabistouille" qui me plait diantrement et que je compte bien placer en classe à la première occasion..ce sera facile , je pense.

franchement Riton ne sait pas ce qu'il manque , le pauvre..

Hobopok a dit…

Un éclairage complémentaire (en anglais) :
http://constitutionallyspeaking.co.za/?p=388

Anonyme a dit…

Bonjour
J'aime aussi l'expression carabistouille. Je regrette juste que vous m'accusiez d'en distiller chaque jour une dose vespérale...
et je suis curieuse de savoir quelles "carabistouilles" vous avez ainsi débusquées dans mes articles gothiques.
Fabienne Pompey

Hobopok a dit…

Chère Fabienne ! Mais où étiez vous donc passée ? Veuillez excuser l'ironie froide et confraternellement gothique de mes commentaires, hommage déférent à vos carabistouilles. Mais si je n'en ai pas tenu l'inventaire exhaustif, il m'a bien semblé à vous lire après votre arrivée à Johannesbourg que vos premiers articles comportaient parfois quelques imprécisions ou contresens sur la société sud-africaine. Je suis désolé si votre réputation (ou même votre bien légitime orgueil) a pu souffrir. Vous trouverez sur ce blog quelques autres articles concernant l'Afrique australe ou la zone Océan indien, que vous avez parcourue abondamment, région qui intéresse nombre ce nos lecteurs, et nécessairement cette publication spécialisée en tout

Merci pour votre intérêt, un peu de votre gloire gothique et vespérale rejaillit sur nous.