23 avril 2008

Ach Paris !

Avec le bruit que ça commence à faire, et vu les menaces de prochaine fermeture, je me suis rendu à la bibliothèque historique de la Ville de Paris pour voir l'exposition de photographies Les Parisiens sous l'Occupation. 270 clichés en couleurs, restaurés numériquement, pris par un certain André Zucca entre 1940 et 1945, les dernières vues datant donc d'après la libération de la ville.

Salarié grassement par le journal allemand Signal, et à ce titre alimenté par les frisés en introuvables pellicules couleurs, Zucca a pris consciencieusement des images de propagande au service de l'occupant. Du travail de collabo soigné. Pas vraiment sauvé par ses quelques photos de la Libération, Zucca partit se faire oublier à Evreux sous un nom d'emprunt pour éviter d'être tondu. Réagissant un rien tardivement, l'adjoint au maire de Paris chargé de la culture, Christophe Girard (PS), a demandé l'arrêt de l'exposition.

André Zucca, malgré un certain talent technique et artistique, n'est quand même pas à la photographie ce que Céline est à la littérature. On peut à juste titre trouver discutable de mettre ainsi en valeur son nom et son travail, avec un assez strict minimum de mise en perspective et de contextualisation tant dans la présentation générale de l'expo, que dans les cartels accompagnant chaque photo.


Les photos en elles mêmes ne manquent pourtant pas d'intérêt. D'abord par l'impression globale que produisent des images en couleurs de cette période. Immédiatement, on se sent temporellement beaucoup plus proche d'elles, comme si elles dataient seulement d'avant-hier. Partant de là, elles paraissent presque plus réelles que d'autres rares photos en noir et blanc documentant par exemple la rafle du Vel d'Hiv', ce qui est assez troublant... Ensuite parce qu'elles prêtent cette apparence de vérité un à certains nombre de détails typiques de la période, comme les chaussures en bois, les vélos-taxis, les cinémas aux armées allemands, ou les portraits de Pétain dans les vitrines.


Je me demande si finalement ce qu'il y a de plus dérangeant aujourd'hui dans ces photos, ce n'est pas qu'elles montrent des Parisiens occupés à survivre, à vivre, et même pour certains d'entre eux, quel toupet, à se distraire (Goebbels lui-même leur en avait en quelque sorte intimé l'ordre, ayant trouvé la ville trop triste lors de sa visite fin 1940). Autrement dit assez loin de l'image véhiculée par la Libération d'une nation ployant sous le joug de l'oppression mais résistante dans l'âme.


Je crois qu'un visiteur averti saisira la portée des images, qui ne suffiront pas à lui rendre sympathique l'occupation allemande. Mais un peu plus d'honnêteté et d'engagement de la part de la direction de la bibliothèque et du commissaire de l'exposition n'auraient pas été de trop. De là à vouloir régler le problème par l'interdiction, la censure...

La gêne ou le malaise suscités par l'exposition en l'état ont sans doute en eux-mêmes des vertus éducatives quand ces photos sont montrées aux citoyens responsables que nous sommes. Le débat suscité, la polémique même, sont sans doute plus enrichissants qu'une brutale mesure d'interdiction. Et on est invité à réfléchir sur la nature d'une image de propagande, sa portée, aussi bien pour la période représentée que pour aujourd'hui...


Encore un épisode qui révèle comment les plaies ouvertes par la seconde guerre mondiale sont loin d'être refermées, et plus de soixante ans après, continuent de définir les contours de la société française actuelle. C'est Caran d'Ache : ils en ont parlé ! Lâchez le mot "occupation" et aussitôt les familles se déchirent.

Enfin pour mémoire, Christophe Girard est dans le civil directeur de la stratégie luxe du groupe LVMH. Un groupe que personne ne suspecterait de collaboration avec, disons, Pékin, par exemple.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Citer Caran d'Ache sur ce sujet relève de la haute voltige ...

Anonyme a dit…

Sans doute mon article préféré sur ce blog.
De loin.
c'est vrai que l'histoire , c'est mon rayon et que ce sujet me motive particulièrement.
j'admire de plus la finesse et la richesse de l'analyse , à laquelle j'adhère globalement.
( hormis sur la réserve pékinoise.
Allez , je ferai un petit article chez moi là dessus..)

je pense qu'interdire cette exposition , ce serait comme interdire le porno. ce serait penser que nous ne pouvons pas faire la part des choses.
Or comme le montre Hobopok , les esprits forts et libres vont au delà; Et supprimer l'expo , ce serait penser que nous ne faisons pas la différence entre réalité et propagande.

Quoique la propagande est une forme de réalité à ne pas méconnaitre... Jusque dans notre blanche démocratie, d'ailleurs.


fermer cette expo , ce serait juste de la censure: " vous étés trop cons pour comprendre , donc vous ne pouvez pas voir" en quelque sorte. c'est ridicule!
c'est presque une forme de mépris des visiteurs.
le propos de l'exposition me semble justement être , de voir au de la de cette apparence de réalité mise en scène par l'occupant ; c'est riche en informations historiques, à plusieurs niveaux , et je vois mal pourquoi on nous en priverait.
je comprends donc le réflexe d'hobopok qui s'est rué sur la visite, avant un éventuelles censure.

Merci pour les photos publiées , qui donnent aux "modestes provinciaux " une petite idée de la chose.
Effectivement, la couleur donne une impression de proximité et donc de " réalité " surprenante.

Anonyme a dit…

ça me fait penser aux simples d'esprit qui veulent interdire "Tintin au Congo".

Hobopok a dit…

Comme quoi plus c'est long plus c'est bon. L'article.

Pour la voltige, je suis diplômé de l'école du cirque, je saute dans des cerceaux enflammés au moindre coup de fouet.

Quand aux interdictions, je suggère de proscrire Le temps béni des colonies. A moins qu'une petite fatwa...

Li-An a dit…

On voit des soldants allemands acheter des bricoles à un revendeur à la sauvette !!! Rien que cette image, c'est surréaliste tellement on est habitué à voir des Allemands aboyer, courir avec un fusil à la main ou assis derrière un bureau à la Kommandatur. Ce qui est drôle, c'est que c'est censé être de l'image de propagande alors que c'est visiblement de l'image de carte postale. On continue à voir aussi pire dans les agences de voyage...

Glorb a dit…

On peut leur reprocher de pas avoir évoqué l'aspect "commande" des photos, mais de là à censurer l'expo en se disant "bon sang, c'est tellement réaliste que les gens vont croire que toute la France était collabo", c'est quand même un brin abusif.

J'ai eu une prof d'histoire géo qui aimait à nous rappeler de temps en temps que sous l'occupation, on pouvait compter à peu près 5% de collabos, autant de résistants, et que tout le reste (90% des français)* se contentait de vivre sans trop se poser de questions.

Alors, pour la semaine prochaine :
"L'inaction est-elle trahison ?" ou
"Le désengagement politique est-il collaboration"

*les pourcentages cités ont pu s'émousser quelque peu avec le temps.

Totoche Tannenen a dit…

Un point de détail de l'Histoire :'est Dreux et pas Evreux !

Si j'ai bien compris, ces photos couleurs n'ont finalement pas été publiées dans "Signal". ?

Hobopok a dit…

Dreux... Evreux... M. Totoche, les Français, s'attachent-ils vraiment à des détails aussi triviaux ? J'ai là des chiffres qui prouvent le contraire. Assez de duplicité ! Non je ne me tairai pas !

Et non Signal ne les a pas publiées vu, entre autres, qu'il imprimait si je ne m'abuse seulement en noir et blanc (en ces périodes de pénurie, fallait quand même pas pousser). Mais c'est l'intention qui compte.