16 mars 2008

A la bonne heure

J'aime bien savoir l'heure qu'il est. J'ai plusieurs montres et des pendules partout dans la maison. Toutes à cadran et aiguilles, bien entendu, car je ne supporte pas les instruments à affichage numérique de l'heure.

Quand j'étais gamin, j'ai vu un jour mon oncle débarquer au dominical gigot-flageolets chez mes grands-parents avec une volumineuse Seiko à quartz digitale : de somptueux numéros rouges clignotaient sur son poignet, et pouvaient même encore surbriller sur commande au cas où il se trouvait enfermé dans une cave, une grotte, une tombe, et qu'il ait encore la présence d'esprit de se demander, tiens ! quelle heure peut-il bien être ? A mon avis l'Enterprise venait d'atterrir dans ce village de la campagne roannaise. Personne n'avait jamais rien vu d'aussi moderne. Sauf que vraisemblablement, il fallait une brouette pour transporter la batterie, qu'on devait changer toutes les trente minutes. C'était les années 70.

Trente ans après, l'illusion technologique est toujours là, et tout le monde n'a pas encore percé à jour la supercherie que constitue l'idée même d'affichage numérique de l'heure, qui est à peine tolérable dans certaines applications (informatique en général) pour des raisons de format. On sait l'heure qu'il est, et puis c'est tout. Tandis que l'affichage classique par aiguilles nous donne certes l'heure qu'il est, mais constitue en plus un tableau synoptique complet de notre journée, permettant de nous situer mentalement par rapport aux douze heures écoulées, et aux douze heures à venir. L'information est infiniment plus riche. Où suis-je ET d'où viens-je ET où vais-je.

La même ineptie se répète sur les tableaux de bord de nos voitures, qui préfèrent se contenter de nous indiquer, numériquement, la vitesse à laquelle on roule maintenant, au lieu de nous renseigner en plus sur celle à laquelle on roulait, ou sur celle à laquelle on pourrait rouler, et sur le rapport des unes aux autres. Si on est à 150 km/h numériques, bon, ben, on est à 150, quoi, et alors ? Si on est à 150 km/h sur cadran, purée, l'aiguille commence à trembloter, on atteint la zone rouge, tout le chemin qu'il va falloir faire pour la ramener à 0 ! C'est une toute autre information.

L'affichage numérique, c'est un peu comme une carte qui ne nous indiquerait que l'endroit où l'on est, sans nous montrer tout le voisinage, toutes les possibilités de déplacement. C'est une symphonie d'une seule note. C'est une belle idiotie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un très bel article , de la métrique,de l'espace- temps , de l'harmonie qui en découle en forme de poésie métaphysique.
A ce rythme , tu vas finir dans les manuels de français.

je partage tout à fait ton analyse sur les dérives de l'illusion technologique, sur la perte de sens qu'elle induit pour l'humanité ,réduisant notre survie consumériste à une dépendance facile, mais vide .
Un monde unidimensionnel qui bride nos sensations , nos capacités à nous approprier le monde et a en goûter les saveurs autrement qu'en appuyant sur un bouton "marche".

l'"horloge numérique" , c'est le "plat congelé" dans une civilisation où tout va de plus en plus vite , au point qu'on ne sait plus ce qui mérite que nous nous arrêtions: personne, objet , travail , rêverie , création, enfants ..
c'est une forme de la pensée unique, qui encadre la réflexion en la limitant à une observation mécanique dans un espace plan.

Belle métaphore de notre vie quotidienne..

En quelque sorte, quel reste le sens de la vie dans le monde de l'horloge hallucinante et numérique , mon petit père?

Anonyme a dit…

t'as pas eu d'autres commentaires , là? c'est pas normal, là . ya des jaloux; je vois que ça.